Le mot de la fin
(In)consciemment incompétent
L’effet Dunning-Kruger signifie que les personnes peu compétentes dans un domaine spécifique ont tendance à se surestimer, car elles ne sont pas à même de reconnaître leurs lacunes ou leur manque de compétences. Elles n’en sont tout simplement pas conscientes. «Cela arrive», me direz-vous et vous l’avez peut-être souvent constaté, principalement dans le domaine médical et surtout chez les autres.


Stefan Kuster
Prof. Dr. méd., médecin-chef en infectiologie et hygiène hospitalière, à l’hôpital cantonal de St-Gall, membre de l’Advisory Board du Bulletin des médecins suisses
À l’heure où j’écris, les vacances d’été approchent à grands pas - une période de l’année qui, pour nombre d’entre nous, rime avec fatigue et envie de se détendre. Laisser l’esprit vagabonder, découvrir de nouvelles choses, quitter son bureau. Avez-vous de la facilité à lâcher prise et à laisser les activités quotidiennes derrière vous? Je viens d’avoir un échange de courriels avec un confrère qui, dès son premier message, m’a adressé de «cordiales salutations de la plage». Êtes-vous capable de ne pas emporter votre ordinateur, d’ignorer les messages du cabinet ou de laisser votre téléphone portable dans votre chambre d’hôtel? (Je pars bien évidemment du principe que vous n’êtes plus une adolescente ou un adolescent). Vous me répondrez sans doute: «Mais bien sûr». Vraiment? Vos collaborateurs et vos proches sont-ils du même avis?
Le système de santé implique un perpétuel lâcher-prise: il arrive qu’une ou qu’un patient décède ou préfère changer de médecin, que certaines manières de voir remplacent d’autres ou que les nouvelles technologies supplantent des habitudes bien ancrées afin de nous faciliter la tâche ou qu’une jeune apprentie aspire à plus de responsabilités, voire qu’on remette définitivement la clé du cabinet à sa ou son successeur. Dans de telles situations, nous répondrons sans doute tous que nous n’avons généralement aucun mal à lâcher prise. Mais qu’en est-il de l’effet Dunning-Kruger? Ne se retrouverait-il pas aussi à la plage?
Le revers de la médaille concerne les situations où nous exigeons précisément des autres qu’ils laissent tomber le connu pour tenter autre chose, tout en finissant par constater avec étonnement que nos souhaits ou idées novatrices sont accueillies avec scepticisme, voire rejetées par la majorité des utilisateurs tardifs («late adopters») ou traînards («laggards») qui figurent en queue de peloton des adeptes du changement. Combien de fois avez-vous entendu des remarques telles que «Nous avons toujours procédé ainsi. Pourquoi changer?» ou «Rien ne sert de s’affoler pour prendre le train en marche, c’est juste un effet de mode» et combien de fois avez-vous manifesté votre agacement parce que votre idée était vraiment bonne et votre demande urgente était justifiée? Et vous, quand avez-vous eu recours à ce genre de remarque pour la dernière fois?
Je vous souhaite de rentrer de vacances les batteries chargées à bloc et de réussir encore mieux à lâcher prise et à initier ou accepter les changements. N’hésitez pas à vous jeter à l’eau, même en automne, car c’est rafraîchissant et ça en vaut la peine!
Et pour terminer, j’avoue que mon ordinateur portable est déjà dans ma valise. J’ai toujours agi ainsi, même si je sais que c’est inutile. Ma femme emporte aussi le sien et un seul suffirait, mais je le fais quand même parce que, grâce à mes collègues de la clinique, je suis sûr que je n’en aurai pas besoin. Mais la prochaine fois, je vous promets, je le laisserai chez moi, car je suis convaincu de pouvoir lâcher prise.
Copyright
Published under the copyright license
“Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”.
No commercial reuse without permission.
See: emh.ch/en/emh/rights-and-licences/