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L’union fait la force
Médecine de famille La Land-Permanence du Weinland zurichois est le premier et unique cabinet de ce type en Suisse: 24 médecins de famille s’y partagent le service d’urgences. Un modèle qui présente de nombreux avantages, pour les praticiens comme pour leurs patients.
Pour l’instant, la seule «urgence» à la Land-Permanence de Henggart est la voiture mal garée d’un patient, comme le signale gentiment mais résolument un riverain. Pendant ce temps, le cabinet d’urgences et de médecine de famille, installé dans une jolie maisonnette, se réchauffe paisiblement sous le soleil radieux du matin. À l’intérieur aussi, tout est calme. Sous la direction d’Anne Sillmann, les trois assistantes médicales présentes ce jour-là s’occupent de tâches administratives et prennent des rendez-vous par téléphone. Deux patients se trouvent dans la salle d’attente. L’un d’eux sera soumis à un examen radiologique tandis que l’autre quittera la consultation avec une boîte de médicaments.


© Nicolas Zonvi
Ce matin-là, une médecin-assistante est de service avec Andreas Hablützel, fondateur et aujourd’hui président du conseil d’administration de Land-Permanence AG. Cet homme aux allures de coureur de fond, qui tenait auparavant un cabinet individuel à Marthalen, se considère comme un médecin de famille de la vieille école, avec les valeurs correspondantes. Il fait partie de ceux qui voient en la médecine de famille un rempart essentiel contre l’explosion des coûts de santé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a créé la Land-Permanence…
Des conditions peu attrayantes
Le Weinland zurichois est divisé en trois rayons d’urgence. Il y a dix ans, les médecins de famille de chaque rayon devaient assurer environ 60 services d’urgences par an, se souvient Andreas Hablützel, soit un jour par semaine et dix week-ends et jours fériés par an. Puis une réorganisation a eu lieu à l’initiative de la Société des médecins du canton de Zurich, avec la participation des médecins de famille concernés. Un numéro d’urgence unique, accessible 24 heures sur 24, 365 jours par an, a été mis en place à cette occasion. Il permettait à la patientèle d’entrer en relation avec un centre de triage qui les aiguillait vers le bon endroit en fonction de leurs symptômes. «Les médecins de famille n’avaient donc plus à assurer les services d’urgences de nuit», explique le docteur Hablützel. À partir de 22 heures, les demandeurs étaient orientés vers un hôpital ou bénéficiaient d’une visite médicale à domicile. «Mais le nombre de jours où nous devions assurer le service d’urgences n’a pas diminué pour autant. Et comme les nuits représentaient la charge la plus légère, cette réorganisation m’a semblé trop peu efficace. Je craignais qu’à moyen terme, après le départ à la retraite des plus âgés, il devienne difficile de trouver suffisamment de jeunes médecins de famille prêts à travailler dans ces conditions dans le Weinland», indique-t-il. C’est ainsi qu’il a eu l’idée de la Land-Permanence: «Nous répartissons les services d’urgences de manière à ce qu’il n’y en ait plus que deux à cinq par an et par personne, selon le taux d’activité.»
Le cabinet de Henggart est le premier et pour l’instant le seul de ce type en Suisse. Ailleurs, les cabinets de permanence n’existent qu’en ville. La structure a ouvert ses portes en 2019, après seulement 15 mois de gestation. Andreas Hablützel avait auparavant demandé aux 35 médecins de famille de la région s’ils souhaitaient devenir actionnaires. 24 d’entre eux ont accepté et se répartissent depuis lors les services d’urgences.
Une situation centrale
Le cabinet est ouvert tous les jours de 7 heures à 22 heures et accueille à la fois les urgences et les patients de médecine générale (enfants et adultes) sur cette plage horaire. Il propose en outre des consultations de gynécologie. Pour une bonne coordination des urgences et des «cas ordinaires», un créneau sans rendez-vous est prévu tous les jours afin de prendre en charge la patientèle non planifiée. Une grande partie des assistantes médicales et certains médecins travaillent à temps partiel, ce qui est rarement possible dans les autres cabinets de médecine de famille à la campagne. La population a rapidement accepté la nouvelle structure médicale et apprécie de disposer d’un lieu fixe vers lequel se tourner en cas d’urgence. Le cabinet assure aussi les remplacements des médecins de famille affiliés pendant leurs vacances. En quatre ans d’activité, la permanence s’est déjà tellement développée qu’un local supplémentaire a dû être acheté et qu’une construction, qui devrait également se situer à Henggart, est envisagée. Andreas Hablützel a choisi cette commune parce qu’elle est située au centre du Weinland, ce qui réduit les temps de trajet pour la majorité de la patientèle.
Pendant sa brève pause-café, Anne Sillmann, l’une des assistantes médicales, raconte qu’elle apprécie beaucoup la variété de tâches qu’offre son travail à la permanence. Elle est infirmière et, après vingt ans dans un service hospitalier, elle a eu envie de voir autre chose. «Avec le service d’urgences, nous ne savons jamais qui va franchir la porte. Un enfant qui s’est coupé? Un accident du travail?» Les assistantes médicales sont les premières interlocutrices des patientes et patients. Elles déterminent de manière autonome l’urgence des cas et décident à qui les adresser en interne. Elles prennent elles-mêmes en charge les blessures mineures. «Le plus grand défi auquel nous faisons face est de ne devoir refuser personne lors d’un afflux soudain», explique Anne Sillmann. Mais déjà, on la réclame ailleurs: une assistante médicale a besoin de son aide.


© Nicolas Zomvi
Le calme en personne
Andreas Hablützel est lui aussi appelé. Un patient vient d’arriver en urgence et la médecin-assistante souhaite la présence de son confrère expérimenté lors du premier examen. Pas de stress pour autant: le patient est pris en charge et toutes les personnes qui ne sont pas impliquées continuent de vaquer à leurs occupations.
«Ce monsieur souffre d’une fibrillation auriculaire symptomatique. Je pense qu’elle peut être traitée avec des médicaments, mais il s’agit d’un cas limite. Si cela s’aggrave, le patient devra aller à l’hôpital», explique Andreas Hablützel en se réinstallant confortablement sur son siège. De toute évidence, rien ne lui fait perdre son calme. La médecin-assistante, désormais responsable des soins du patient, va encore entrebâiller la porte deux fois pour demander conseil à son aîné.
Des économies grâce à la médecine de famille
«En Suisse, chaque cabinet de médecine de famille est équipé de matériel d’analyse et de radiologie, d’un ECG et du reste nécessaire. L’examen du patient associé à notre expérience nous donne une vue d’ensemble de son état, et nous pouvons le soigner immédiatement puisque nous disposons aussi de médicaments. En cas de fibrillation auriculaire, un hôpital aurait depuis longtemps prescrit des examens coûteux. Les médecins de famille peuvent prendre en charge eux-mêmes la plupart des troubles qui affectent les patientes et patients. Ils ne sont peut-être pas en mesure d’effectuer tous les examens parce qu’ils n’ont pas les appareils nécessaires, mais ils peuvent très bien évaluer les résultats des examens effectués», explique Andreas Hablützel. Il ne manque d’ailleurs pas d’idées et d’opinions tranchées sur la manière dont on pourrait réaliser des économies dans le secteur de la santé. Selon lui, la mise en pratique des «valeurs de la médecine de famille» suffirait à elle seule à réaliser de nombreuses économies. Selon lui, il s’agit notamment de bien connaître les patientes et patients et leurs antécédents médicaux, de ne les envoyer à l’hôpital ou vers un spécialiste que lorsque c’est réellement nécessaire et, si tel est le cas, d’assurer le traitement de suivi soi-même. Et aussi d’avoir le courage, en cas de douleurs, d’attendre simplement de voir si elles ne disparaissent pas toutes seules, plutôt que de prescrire d’emblée un examen coûteux.
Recherche de personnel facilitée
La matinée se poursuit toujours dans le calme au cabinet d’urgences et de médecine de famille, et les symptômes de la fibrillation auriculaire diminuent grâce aux médicaments remis. Il est temps de se rendre à Ossingen pour demander au médecin de famille Florian Kuss, l’un des actionnaires, ce qu’il pense du modèle économique de la Land-Permanence et de ses services: «Le concept m’a convaincu dès le départ, parce que c’est une manière judicieuse d’organiser les services d’urgences dans le Weinland», explique-t-il. Il estime que c’est beaucoup plus simple pour la patientèle, qui n’est plus obligée de rechercher le nom du médecin de garde. La Land-Permanence, bien accessible sur le plan géographique, est désormais l’interlocuteur central. Le modèle soulage en outre le personnel des cabinets des médecins de famille affiliés, qui peuvent ouvrir plus ou moins aux heures de bureau normales. «Ces cabinets trouvent ainsi plus facilement des assistantes médicales. Sachant qu’il y a actuellement 300 postes vacants pour ce profil dans le canton de Zurich, c’est un argument de poids dans la recherche de personnel», précise Florian Kuss.


© Nicolas Zomvi
Déléguer plus de tâches
Florian Kuss a été interniste à l’Hôpital de Winterthour jusqu’en 2015 avant d’opter pour la médecine générale, entre autres pour des raisons familiales. Le cabinet d’Ossingen, dont il fait partie, est conçu comme un cabinet de groupe, de sorte que les heures de travail et les tâches de toutes les parties prenantes sont définies et réparties. Grâce à la Land-Permanence, ses services d’urgences aussi sont réglés: «je parviens ainsi parfaitement à concilier mon métier de généraliste et ma vie de famille», se réjouit-il. En tant que médecin de famille, on peut aujourd’hui proposer dans le Weinland une prise en charge de qualité, moderne et raisonnable, avec des horaires de travail réguliers. Et même faire baisser les coûts de la santé, comme le montrent selon Florian Kuss les nouveaux chiffres de la FMH pour la Suisse [1]. «Le nombre de consultations a certes augmenté, mais les coûts par consultation ont diminué. Autrement dit, les médecins de famille ont travaillé plus efficacement», explique-t-il.
Et quelles autres mesures Andreas Hablützel voit-il pour améliorer le système de santé? Il plaide notamment pour davantage de cabinets de permanence, mais moins d’hôpitaux et de fédéralisme. Et sur le plan pratique, il trouverait judicieux de pouvoir déléguer certaines tâches aux assistantes médicales ou aux infirmières spécialisées. «Cela n’a aucun sens que je sois tenu de faire moi-même tous les examens, y compris les plus simples, juste pour pouvoir les facturer. Mon personnel expérimenté pourrait très bien s’en charger, même sans avoir fait d’études de médecine. Et la pénurie de médecins de famille serait résolue du jour au lendemain», affirme-t-il avec conviction.
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