Savoir
Médecine complémentaire: où en est la recherche?
Sciences Comme d’autres domaines de la recherche médicale, la médecine complémentaire repose sur des méthodes scientifiques reconnues. Deux experts évoquent leur expérience professionnelle et l’état actuel de la recherche basée sur les preuves en médecine complémentaire, notamment en médecine anthroposophique.
Dr méd. Matthias Kröz, directeur du département de recherche et médecin adjoint en médecine du sommeil à la clinique anthroposophique d’Arlesheim, l’affirme: «La recherche dans le domaine de la médecine intégrative s’est considérablement développée ces dernières années. Le terme de médecine intégrative décrit l’utilisation combinée de la médecine conventionnelle et de la médecine complémentaire.» La médecine anthroposophique repose sur cette approche globale. Matthias Kröz ajoute: «Les moyens financiers à disposition pour les thérapies non pharmacologiques, souvent utilisées en médecine anthroposophique par exemple, sont malheureusement limités.» En comparaison, l’acupuncture fait l’objet de nombreuses recherches, par exemple pour le traitement des maladies allergiques, la thérapie de la douleur ou le contrôle des symptômes de nausées et de vomissements liés à une chimiothérapie.
À titre d’exemple pour la recherche sur les médicaments dans la médecine anthroposophique, il cite la thérapie au gui pour les patients atteints d’un cancer du pancréas. Des recherches sont actuellement réalisées sur une substance active végétale, le bryophyllum pinnatum, afin de soulager les personnes souffrant de symptômes d’anxiété, d’autres sont en cours sur les substances amères pour les troubles gastro-intestinaux fonctionnels.
La médecine translationnelle désigne la transformation des connaissances fondamentales de la recherche dans le domaine de la biologie médicale, en technologies et méthodes applicables à la pratique clinique. Elle s’assure que les stratégies éprouvées soient finalement appliquées au sein d’une population de patients. Le savoir généré par la recherche en laboratoire a donc une influence sur la pratique thérapeutique et, réciproquement, les connaissances scientifiques obtenues concernant l’efficacité chez le patient servent à de nouvelles recherches en laboratoire. La médecine intégrative repose souvent sur la médecine empirique, qui est ensuite étudiée et développée par des approches de recherche translationnelle.
Titulaire de la chaire de médecine complémentaire translationnelle à l’Université de Bâle, Prof. Dr Carsten Gründemann étudie lui aussi les concepts thérapeutiques médicaux traditionnels en recourant aux méthodes classiques des sciences naturelles. «Les données disponibles dans ce domaine sont toujours meilleures et le réseau des chercheurs en médecine complémentaire, plus particulièrement en médecine anthroposophique, se développe; il devient plus interdisciplinaire et vivant.»
Recherche fondamentale appliquée
La médecine conventionnelle basée sur les preuves, ou médecine traditionnelle, mesure l’effet et l’efficacité d’un traitement sur la base des résultats d’études précliniques et d’études randomisées contrôlées. C’est également la méthode appliquée par les scientifiques dans le domaine de la médecine complémentaire translationnelle, souligne Prof. Gründemann: «Dans le cadre de notre recherche, nous étudions des concepts thérapeutiques, notamment issus de la phytothérapie et de la médecine anthroposophique, et nous nous intéressons au mode d’action des remèdes à base de plantes. Nous étudions également les différentes techniques d’extraction et de production pharmaceutiques et essayons de transposer l’ensemble de ces connaissances dans la pratique clinique.»


© Sippakorn Yamkasikorn / Dreamstime
Ces dernières années, la recherche en médecine anthroposophique a connu une belle dynamique. «Il faut souligner ici les recherches sur le gui dans le domaine de l’oncologie, les analyses sur le bryophyllum en obstétrique et pour les affections psychiques ou encore les recherches sur une préparation à base de citron et de coing pour le traitement de la rhinite allergique», détaille Carsten Gründemann. Prof. Dr méd. Philipp Tarr, co-médecin-chef de la clinique médicale universitaire et responsable de l’infectiologie à l’Hôpital cantonal de Bâle-Campagne, confirme: «La recherche en médecine complémentaire est aujourd’hui plus que jamais essentielle. Car il existe une demande dans ce domaine: 25 à 50% des personnes interrogées dans le cadre d’enquêtes menées en Suisse déclarent avoir recours à la médecine complémentaire. D’autre part, parce que les traitements de médecine conventionnelle sont d’une efficacité limitée ou ont des effets secondaires pour de nombreux troubles courants. Pensez aux troubles digestifs, aux troubles du sommeil, aux douleurs chroniques ou au rhume des foins sévère.»
La conviction dépend de nombreux facteurs
Les convictions individuelles, la personnalité, le type de médecine complémentaire et de troubles ainsi que les attentes du bénéficiaire déterminent entre autres si une personne est convaincue par la médecine complémentaire. «Lorsqu’il s’agit de convaincre, on peut notamment renvoyer à des méthodes thérapeutiques complémentaires prises en compte dans les lignes directrices», explique Matthias Kröz. «Dans cette perspective, l’intégration de méthodes thérapeutiques complémentaires dans les lignes directrices internationales de traitement, comme par exemple les thérapies basées sur la pleine conscience telles que le yoga et autres dans le domaine de l’oncologie pour le traitement de la fatigue liée aux tumeurs, ou l’acupuncture dans le traitement de la douleur en cas de maux de dos chroniques, montre que la médecine complémentaire peut convaincre scientifiquement et qu’elle gagne également en importance à l’échelle internationale.»
En plus de la recherche fondamentale, Carsten Gründemann participe également à l’application et à la commercialisation des résultats de la recherche. Il souligne à ce sujet: «Il faudrait d’abord protéger certains acquis et certaines technologies par des brevets, afin de pouvoir continuer à faire de la recherche avec des ressources financières suffisantes. Nous souhaitons toutefois nous en détacher, car je pense que les connaissances doivent être ouvertes à tous.» L’objectif de sa recherche est de publier les résultats dans des revues scientifiques de renom dans les différentes disciplines. La sélection se fait ici selon la procédure d’évaluation par les pairs – comme c’est le cas dans les autres disciplines médicales.
Références
1 Leefmann J. Was ist Translationale Medizin? Zu Begriff, Geschichte und Epistemologie eines Forschungsparadigmas. In: Markus Wübbeler, Kristina Lippmann, Désirée Wünsch, Dominic Docter (Hrsg.): Lost in Translation? Translationsforschung in den Lebenswissenschaften. 1. Auflage. Schriftenreihe der Jungen Akademie der Wissenschaften und der Literatur – Mainz, Nr. 3. Frank Steiner Verlag, Stuttgart 2019.
2 Universitätsklinikum Ulm. ENTAiER-Studie. https://www.uniklinik-ulm.de/allgemein-und-viszeralchirurgie/forschung-studien/fachbereich-integrative-medizine/benefit-und-innovationspotential-der-projekte/projektbeschreibung/entaier.html (abgerufen am 05.05.2023).
3 Organe de coordination de la recherche sur l’être humain. Etude BASEC. https://www.kofam.ch/fr/portail-snctp/rechercher-des-essais-cliniques/etude/47080 (consulté le 05.05.2023).
4 Klein SD, Torchetti L, Frei-Erb M, Wolf U. Usage of Complementary Medicine in Switzerland: Results of the Swiss Health Survey 2012 and Development Since 2007. Lafrenie RM, editor. PLoS One. 2015 Oct;10(10).
5 Wolf U, Maxion-Bergemann S, Bornh G, Matthiessen PF, Wolf M. Use of Complementary Medicine in Switzerland. Forsch Komplementärmedizin. 2006;13(Suppl 2):4–6.
6 Ana Paula Simões-Wüst, Lukas Rist, Marcel Dettling. Self-reported health characteristics and medication consumption by CAM users and nonusers: a Swiss cross-sectional survey. J Altern Complement Med 2014 Jan;20(1):40-7. doi: 10.1089/acm.2012.0762.
7 Arbeitsgemeinschaft der Wissenschaftlichen Medizinischen Fachgesellschaften e. V. S3-Leitlinie Komplementärmedizin in der Behandlung von onkologischen PatientInnen. Kurzversion 1.1, September 2021. https://register.awmf.org/assets/guidelines/032-055OLk_Komplementaermedizin-in-der-Behandlung-von-onkologischen-PatientInnen-2021-11.pdf (consulté le 05.05.2023).
8 https://pharma.unibas.ch/de/research/research-groups/translational-complementary-medicine/
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