Je dis chat, tu comprends cochon

Cabinet malin
Édition
2023/22
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21827
Bull Med Suisses. 2023;104(22):80-81

Publié le 31.05.2023

Communication médecin-patient Qui dit communication dit malentendus. Certes, nous ne pouvons pas empêcher notre interlocuteur d’interpréter l’information donnée à sa guise. Savoir communiquer permet toutefois d’éviter les quiproquos.
Les chroniques précédentes ont surtout mis en évidence la dimension dialogique de la communication et ont démontré son importance à l’aide d’exemples. Aujourd’hui, il sera question d’une mission qui semble contradictoire: la personne la mieux informée doit renseigner son interlocuteur en espérant que les connaissances nouvellement transmises l’aideront à prendre des décisions judicieuses [1]. Comme on le verra, cette voie présumée à sens unique devra elle aussi être élargie à deux voies. Transmettre des informations de A à B requiert en effet de fermer la boucle: «Qu’ai-je compris de ce que tu m’as dit, qu’as-tu compris de ce que je t’ai dit?»
© Luca Bartulović
J’ai déjà évoqué les problèmes de capacité du côté du destinataire dans la chronique sur la prise de décision partagée [2]. Or, il existe une problématique qui, à mon avis, est trop rarement prise en compte. J’aimerais l’expliquer en prenant l’exemple du jeu de Tangram: comme la plupart le savent probablement, il se compose de sept formes géométriques différentes obtenues en découpant un carré. Les sept formes peuvent être décrites individuellement et sont probablement faciles à mémoriser, d’autant plus qu’elles sont extrêmement simples et leurs bords lisses – un carré, cinq triangles et un parallélogramme. L’ennui réside dans le fait que ces formes simples peuvent être utilisées pour créer un nombre incroyable d’objets différents: bateau, chat ou cochon. Que faire? Nous ne pouvons pas empêcher notre interlocuteur d’user de sa liberté pour interpréter les informations à sa guise. Il n’existe qu’un seul moyen de savoir ce que l’interlocuteur a compris: vous vous en doutez, il faut lui poser la question! Et nous voilà embarqués sur une communication à double voie. Un exemple: «Je vois que vous avez parfaitement compris les différentes informations, j’aimerais maintenant savoir ce qu’elles signifient pour vous.»

Un grand impact, à moindre frais

Ce type de questionnement a été étudié empiriquement sous le terme de «teach back» et les résultats sont très encourageants: les patients qui quittent les urgences après avoir bénéficié d’une intervention de type «teach back» reviennent nettement moins souvent aux urgences dans un délai de sept jours à quatre semaines, ils ont beaucoup mieux compris ce que l’on a trouvé et quel est le traitement à suivre. Les patients atteints de diabète de type II et d’insuffisance cardiaque chronique sont également mieux informés, ont une meilleure qualité de vie et une meilleure observance du traitement. Voilà pour les bonnes nouvelles. La mauvaise: aucun spécialiste ou presque ne pratique le «teach back», et c’est dommage si l’on considère le bénéfice et l’investissement limité à fournir. Cela est peut-être dû au fait que, tout au long de notre formation initiale et continue, nous n’avons appris qu’une approche très professorale du contrôle des connaissances: «Alors, Monsieur Langewitz, qu’avez-vous appris?» Voici une meilleure alternative: «Quand vous rentrerez chez vous, quelqu’un vous demandera probablement de quoi nous avons parlé. J’aimerais bien savoir ce que vous lui raconterez...»
Peut-être une technique de communication que l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) pourrait rendre plus populaire? Un dernier point, même s’il risque d’aller à l’encontre de notre honneur professionnel: même nous, spécialistes, ne comprenons pas toujours quel motif notre interlocuteur avait en tête lorsqu’il nous a décrit les différents éléments. Nous devrions donc mettre notre compréhension à l’épreuve et récapituler ce que nous avons compris en termes de contenu et de signification.
Wolf Langewitz
Il est professeur émérite en psychosomatique à l’Hôpital universitaire de Bâle et écrit régulièrement dans cette rubrique sur la communication médecin-patient.