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Le médecin et son patient migrant

DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.21819
Date de publication: 30.08.2023
Bull Med Suisses. 2023;104(35):18

Déontologie Le groupe de déontologie de Médecins-action-santé-migrant·e·s (MASM) constate depuis quelques années que des médecins contreviennent au code médical dans la phase de renvoi des requérants d’asile. Un malaise éthique que dénonce l’association.

En tant que médecins, nous nous targuons de cadrer notre action par une déontologie qui nous confère une autorité morale. La santé du patient est le but suprême de l’acte médical; tout est entrepris dans le respect de la dignité humaine. En début de carrière nous prêtons serment et des codes jalonnent notre pratique. L’autonomie, la bienfaisance règnent en maîtresses peu contestées. Notre morale professionnelle rejoint ici la pensée sociétale dominante qui privilégie la liberté. Nos textes légaux (Constitution, Code civil, Code pénal) sont clairs: on ne touche pas à la liberté, l’autonomie, l’atteinte à l’intégrité corporelle ni au consentement éclairé d’un patient. Ces injonctions ne prennent-elles pas racine dans le serment d’Hippocrate et son actualisation, la déclaration de Genève, ainsi que dans le code de Nuremberg, dont la filiation révèle les dérives possibles?

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Le suivi médical des migrants en phase de renvoi peut constituer un défi sur le plan moral.

© Monkey Business Images / Dreamstime

Où le bât blesse-t-il?

Si la profession est tenue de respecter strictement ces principes, nous constatons néanmoins des manquements avec nos patients requérants d’asile. En effet, certains médecins contreviennent de manière répétée à la déontologie médicale dans le cadre de la légalisation de mesures de contrainte. Ces décisions juridiques, souvent disproportionnées, envers des personnes non criminelles, mais en instance de renvoi, n’ont pas pour objectif une bienfaisance raisonnablement escomptée par le patient. Au contraire, elles sont destinées à rendre possible un acte dommageable pour la santé, telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé. Le fait même qu’une présence médicale soit demandée lors de l’exécution d’un renvoi confirme les risques, somatiques et psychiques, qui y sont liés et qui pourraient contre-indiquer cette mesure.

De la responsabilité du corps médical

Cette présence médicale enlève une lourde responsabilité aux administrations en charge de l’exécution d’un renvoi forcé. En réalité, elle la déplace sur le corps médical. Comment le clinicien, mandaté par les autorités pour estimer quels éléments médicaux devraient être pris en compte en cas de renvoi, peut-il évaluer son patient avec le soin requis par les règles de notre profession? Comment peut-il simplement envisager le renvoi forcé de son patient? Donc œuvrer contre son intérêt? Comment ne peut-il pas s’attacher à la santé de son patient plutôt qu’aux attentes des autorités? Comment ne peut-il pas s’appuyer sur l’avis du médecin traitant du patient, ou alors lui opposer une expertise digne de ce nom? Les choses deviennent particulièrement complexes lorsqu’il s’agit de troubles psychiques, de telles souffrances ne se laissant pas facilement décoder. Des vies sont en jeu, nous en avons fait la douloureuse expérience. Nous, médecins, courons le risque d’atteindre une zone d’inhumanité, voire de commettre une faute médicale.

Face à de telles situations, nous sommes souvent pris de court, pressés par les autorités. Pour garder le cap, revenons à notre déontologie:

Nous avons fait le choix de nous engager pour protéger les malades.

Nous avons fait serment de respecter chaque homme «libre ou esclave», et notre code de déontologie: «le médecin traite tous ses patients avec la même diligence, en dehors de toute considération de personne. La position sociale du patient, ses convictions religieuses, ou politiques, son appartenance ethnique et sa situation économique ne jouent aucun rôle pour le médecin.»

Nous devons parfois courageusement choisir le droit essentiel de dire «non», de refuser l’inacceptable.

Quelles que soient nos opinions politiques, nous devons nous souvenir que nous sommes d’abord médecins face au patient, face à sa souffrance, face à sa dignité. Notre dignité à nous est à ce prix.

Pour le groupe de déontologie de MASM (Médecins-action-santé-migrant·e·s)

Dr méd. Pierre Corbaz, Lausanne

Dre méd. Saskia von Overbeck Ottino, Lausanne et Genève

Dr méd. Paul Schneider, Sainte-Croix

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