Nous avons posé la question à l’asmac

La course aux places de sous-assistants

Article de fond
Édition
2023/16
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21707
Bull Med Suisses. 2023;(16):14-17

Publié le 19.04.2023

Sous-assistanat Dans les spécialités prisées, les postes de sous-assistants sont complets pour les trois prochaines années. Conséquence: les étudiants en médecine doivent se décider pour certaines disciplines avant même de les avoir découvertes. Face à cette situation, l’Association suisse des étudiants en médecine (swimsa) réclame un nouveau système d’attribution.
Pour se lancer dans la pédiatrie, il faut commencer à chercher un poste dès le tout début de sa carrière. En effet, les postes de sous-assistants sont attribués des années à l’avance. Aujourd’hui, les étudiants intéressés doivent commencer à postuler dès leur deuxième année s’ils veulent garder toutes les options ouvertes. À l’Hôpital universitaire pédiatrique des deux Bâle, par exemple, les postes en pédiatrie classique, en chirurgie pédiatrique et en orthopédie pédiatrique sont pratiquement tous pourvus jusqu’en 2026. Même tableau à l’Hôpital pédiatrique de Zurich.
La forte concurrence pour les postes de sous-assistants angoisse de nombreux étudiants en médecine.
© Austrian National / Unsplash
Les spécialités les plus prisées, comme la dermatologie, l’ophtalmologie ou la neurochirurgie, ne sont pas les seules à afficher complet à de nombreux endroits, et ce pour plusieurs années. Les postes dans les grands hôpitaux universitaires sont très recherchés de manière générale. Une récente enquête nationale réalisée par l’association estudiantine swimsa auprès de ses membres révèle que dès la première année d’études, un étudiant ou une étudiante sur trois se sent sous pression à cause de la recherche d’un poste de sous-assistant ou sous-assistante. En deuxième année, 66% des étudiants se disent stressés par la recherche de poste.
La forte concurrence pour les postes de sous-assistants n’est pas due à un nombre trop important d’étudiants suisses en médecine, mais au grand intérêt des étrangers pour la formation en Suisse.

Des postes attrayants pour les Allemands

Les étudiants allemands ont un attrait particulier pour la Suisse et optent souvent pour un stage de formation clinique ou une année pratique (année d’études à option de 4 mois) dans un hôpital de notre pays. L’une des raisons est la rémunération, bien meilleure en Suisse: les sous-assistants reçoivent en général entre 1000 et 2000 francs par mois. En Allemagne, le salaire moyen est nettement inférieur, soit entre 200 et 400 euros par mois. Certains ne reçoivent parfois rien.
De plus, les médecins-chefs et cheffes en Suisse sont considérés comme étant plus faciles d’accès en raison des hiérarchies horizontales. Par ailleurs, les sous-assistants peuvent en général participer aux opérations et effectuer davantage de tâches sous leur responsabilité, ce qui est plutôt attrayant après cinq ans de médecine théorique. Il n’est donc pas surprenant que quelque 20% des médecins travaillant en Suisse aient un diplôme allemand, selon la statistique médicale de la FMH [1]. Alors que ce type de stage n’existe pas dans les universités suisses, presque tous les hôpitaux suisses proposent des informations sur les stages de formation sur leur site internet.
L’incompatibilité des systèmes de formation allemand et suisse devient problématique. En Allemagne, les étudiants ne peuvent choisir qu’une seule spécialité. Ils doivent passer quatre mois consécutifs dans cette dernière pour qu’elle soit reconnue. En Suisse, en revanche, il est d’usage de découvrir beaucoup plus de domaines et de suivre en particulier les «petites spécialités» pendant un ou deux mois maximum. Ainsi, lorsqu’une étudiante allemande vient en Suisse pour un poste de sous-assistante en urologie, elle occupe un poste pour jusqu’à quatre étudiants suisses.
La lutte pour les meilleurs postes ne réduit pas seulement la liberté de choix des étudiants suisses, elle pose également des problèmes aux hôpitaux. Le manque de places de formation dans certaines spécialités a conduit de nombreux étudiants suisses à postuler les rares places disponibles, sans avoir d’intérêt particulier pour la discipline. Les postes en neurochirurgie étant prisés, les étudiants y réservent une place dès la fin de la première année d’études – avant même d’avoir fait de l’anatomie et de savoir si cette spécialité les intéresse. Selon une enquête de l’Association suisse des étudiants en médecine swimsa, plus de 40% des étudiants ont postulé l’année dernière pour une spécialité qu’ils ne connaissent pas encore.
Le problème: peu avant l’entrée en fonction, de nombreux étudiants refusent le poste pour le remplacer par une spécialité qui les intéresse davantage. Pour les hôpitaux, cela complique la planification. «Nous rencontrons aussi ce problème», indique Philipp Lutz, porte-parole de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, où 70 postes de sous-assistants dans 20 cliniques sont actuellement proposés. Malgré un nombre important de postes, les refus sont problématiques. «Ils entraînent des goulets d’étranglement au niveau de la planification, ce qui se traduit par une charge de travail accrue pour les médecins des services. Il est difficile de résoudre ce problème», explique Philipp Lutz. Les hôpitaux de tout le pays s’y attaquent au moyen de mesures très diverses.

Privilégier les candidatures suisses?

La lutte pour les places de de formation s’invite même dans les débats politiques en Suisse orientale. Suite à une interpellation du groupe du centre à ce sujet, le gouvernement cantonal a fait savoir qu’il n’avait pas encore pris de décision: «Les candidatures des étudiants inscrits dans des universités suisses sont privilégiées.» Mais cela semble insuffisant pour améliorer la situation comme en témoigne le portail pour les candidatures de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall. Pour l’année 2024, la grande majorité des postes sont déjà pourvus.
Le gouvernement saint-gallois demande donc aux étudiants de faire preuve «d’une certaine flexibilité en termes de période et de spécialité souhaitées». Il ajoute: «Si les candidatures devaient être encore plus nombreuses, des postes supplémentaires seraient créés pour les étudiants des universités suisses, en accord avec les médecins-chefs.»
En Suisse centrale, certaines places sont réservées à certaines universités suisses. Ainsi, le service d’hématologie de l’Hôpital cantonal de Lucerne ne propose qu’un seul poste de formation, en principe réservé aux étudiants de l’Université de Berne. Linus Estermann, porte-parole de l’hôpital, explique: «L’expérience montre que les étudiants en médecine suisses recherchent des postes à court terme, alors que les étudiants allemands planifient généralement leur formation à long terme. L’Hôpital cantonal de Lucerne en est conscient et s’efforce d’en tenir compte lors de l’attribution des postes.»
À l’Hôpital de l’Île de Berne, la situation varie selon la spécialité. En chirurgie viscérale, par exemple, les candidatures d’étudiants nationaux et étrangers sont acceptées, comme l’indique expressément sa page internet. Le service d’anesthésie écrit en revanche que des places sont attribuées à des étudiants externes seulement après que les étudiants en médecine bernois ont été pris en compte.
Le tableau est tout autre en Suisse romande: les universités sont responsables de l’affectation à un «stage» en sixième année d’études. Ils tiennent une liste de toutes les spécialités et de tous les postes parmi lesquels les étudiants peuvent choisir leurs favoris. Les étudiants intéressés doivent s’enregistrer sur un portail en ligne [2] et sélectionner leurs préférences pour l’année suivante. Les facultés attribuent ensuite les places disponibles aux étudiants, ce qui assure à ces derniers de trouver une place de formation.

Le corps estudiantin propose une solution

Les mesures prises par les hôpitaux n’ont jusqu’à présent pas permis d’éviter que les candidatures doivent être déposées toujours plus tôt. L’association swimsa a donc lancé l’idée d’un nouveau système parmi une série de mesures. Selon une enquête réalisée auprès de presque 1000 étudiants, plus de 90% des futurs médecins plébiscitent l’exigence que les postes soient mis au concours au maximum un an avant l’entrée en fonction. Cela permettrait de garantir une plus grande équité dans l’attribution des places et de réduire considérablement le problème des postes réservés en double.
Par ailleurs, la swimsa demande l’introduction d’un créneau de candidature en automne et au printemps valable pour tous les hôpitaux suisses. La proposition de l’association prévoit que les étudiants puissent, à l’avenir, postuler à partir du 1er mars et du 1er septembre pour les postes de sous-assistants au semestre de printemps ou d’automne de l’année suivante. Les postes ne seraient ni publiés ni attribués avant.
Les plans de la swimsa ont le soutien des associations locales de toutes les universités suisses et ont été présentés à la mi-mars à la Commission interfacultaire médicale suisse. De très rares services, comme la médecine interne de l’Hôpital cantonal de Lucerne, pratiquent déjà ce système avec succès. Mais la mise en œuvre au niveau national s’avère difficile, car chaque hôpital est actuellement chargé de l’attribution des postes de sous-assistants. L’association appelle donc les hôpitaux à modifier leur pratique d’attribution des postes sur la base de sa proposition.
Mais pour qu’un changement de système au niveau national aboutisse dans les années à venir et que le marché de l’emploi se détende, il faut avant tout la volonté de changement des médecins-chefs au sein des différents hôpitaux. Car ce sont eux qui continuent de décider de la pratique de recrutement pour les postes de sous-assistants.
Nora Bienz, y a-t-il aujourd’hui suffisamment de postes de médecins-assistants en Suisse?
En principe oui, certaines petites cliniques ont même du mal à pourvoir les postes. Il existe toutefois certaines spécialités pour lesquelles la demande de postes d’assistants est plus importante que l’offre.
Plus de 40% des médecins hospitaliers en Suisse viennent de l’étranger. Les médecins suisses ressentent-ils une certaine concurrence?
Comme la Suisse ne forme pas assez de médecins, les médecins venant de l’étranger sont actuellement indispensables au système de santé. Une situation de concurrence peut se présenter dans les disciplines chirurgicales, dans lesquelles il s’agit d’acquérir certaines compétences et d’effectuer un certain nombre d’interventions.
Faut-il privilégier les candidatures nationales pour pourvoir les postes de médecins-assistants?
Oui et non. Comme je l’ai dit précédemment, il n’y a actuellement pas un nombre insuffisant de postes de médecins-assistants, mais plutôt trop peu d’assistants et trop peu de diplômés en médecine. Pour éviter une pénurie imminente de médecins, il s’agit plutôt de former davantage de médecins en Suisse et d’améliorer les conditions de travail. De nombreux médecins-assistants raccrochent leur blouse avant la fin de leur formation postgraduée car les conditions de travail ne sont pas adaptées aux besoins actuels. Il est certainement souhaitable de réduire plutôt la part de personnes formées à l’étranger, notamment parce que ce recrutement pose également des problèmes éthiques. Chaque pays devrait prendre en charge les coûts de ses médecins.
Quelles autres solutions seraient envisageables pour résoudre le problème de la pénurie de postes dans certaines spécialités?
Les médecins-assistants continuent de passer beaucoup trop de temps à effectuer des tâches administratives. Pouvoir se concentrer davantage sur l’activité médicale et le service au chevet des patients avec la redistribution et la rationalisation de l’administration devrait faire partie de la solution.
Dre méd. Nora Bienz
Vice-présidente de l’association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (asmac)