Renforcer la coordination plutôt que la réglementer

Aktuell
Édition
2023/1415
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21690
Bull Med Suisses. 2023;104(1415):26-30

Affiliations
a Directrice de H+; b présidente de la FMH; c présidente de medswiss.net; d cheffe de la division DDQ, FMH; e président de mfe; f Senior Expert public affairs & politics, pharmaSuisse; g présidente de pharmaSuisse; h responsable du département Politique, H+; i collaboratrice scientifique de la présidente, FMH

Substance active discutée

Publié le 05.04.2023

Politique de la santé Les discussions sur les «réseaux de soins coordonnés» ont fait ressortir différents arguments contre le nouveau type de fournisseur de prestations que le projet de loi vise à établir. Il existe cependant de nombreuses autres options pour renforcer les soins coordonnés qu’il faudrait approfondir.
Le 7 septembre 2022, le Conseil fédéral a présenté les onze pages de modifications législatives prévues dans le deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts. Un des projets, celui de «la promotion ciblée des soins coordonnés» [1] semblait très prometteur avant qu’une lecture plus détaillée suscite la déception. En prévoyant la création d’un nouveau type de fournisseur de prestations piloté et réglementé par l’État, la loi ajoute un silo supplémentaire dans notre système de santé. Ce nouveau venu porte le nom de «réseau de soins coordonnés», mais n’a rien à voir avec les réseaux tels que nous les connaissons en Suisse. Il s’agit d’une structure parallèle qui n’apporte pas de valeur ajoutée tangible, et ne fait que gonfler la bureaucratie [2].
Communication of people in the business of the company. Delegation of work and responsibilities. Functioning of departments and divisions of the company. Decentralized networking. Teamwork cooperation
Plusieurs possibilités de promouvoir les soins coordonnés existent, le nouveau fournisseur de prestations prévu n’en fait pas partie.
© Andrii Yalanskyi / Dreamstime

Un coup d’arrêt?

La loi risque donc de mettre un coup d’arrêt aux innovations à la base des avancées réalisées au cours de ces dernières décennies pour mieux coordonner les soins. Les premiers modèles HMO et du médecin de famille du début des années nonante se sont développés en un vaste choix de modèles alternatifs d’assurance (MAA) qui permettent aujourd’hui à plus de deux tiers de la population d’économiser en moyenne plus de 1000 francs de primes chaque année [3]. Un rapport de l’Obsan relève que «malgré des incitatifs limités [...], les initiatives identifiées en Suisse sont remarquablement nombreuses, diversifiées et réparties dans tout le pays» [4] et que «la mise en œuvre de soins intégrés connaît une accélération depuis quelques années: 50% des 162 initiatives incluses ont été lancées» avant la publication de ce rapport.

Opposition des intéressés

Les acteurs qui s’engagent en faveur des soins coordonnés connaissent les défis pratiques des réseaux et ils ont vite compris que le nouveau fournisseur de prestations prévu n’apporterait aucun progrès, mais seulement un nouveau corset étatique, et donc administratif, sans pour autant encourager la collaboration interprofessionnelle. Il n’est donc pas surprenant que l’audition de la Commission de la sécurité sociale et de santé du Conseil national (CSSS-N) en octobre 2022 ait montré que «l’approche proposée par le Conseil fédéral […]» était «vivement contestée par les acteurs concernés» [5]. La commission a donc demandé à l’administration «d’organiser des tables rondes visant à examiner une solution apportant une plus-value au système de santé [et] susceptible de réunir une majorité auprès des acteurs concernés, tels que les médecins et les autres professionnels de santé, les assureurs, les services hospitaliers et ambulatoires, les patients ainsi que les cantons» [5]. Par la suite, l’OFSP a invité les acteurs à trois tables rondes en janvier, février et mars 2023: ARTISET, curafutura, fmc, FMH, CDS, H+, Forum suisse des consommateurs kf, medswiss.net, mfe, ospita, pharmaSuisse, pro-salute, santésuisse, Spitex, FSAS.

Le mandat

Le mandat consistait à «élaborer une proposition de consensus à l’intention de la CSSS-N relative à la mise en œuvre de la mesure ‘réseaux de soins coordonnés’» [6]. En parallèle, un rapport complémentaire de l’OFSP destiné à la commission devait, si possible, venir préciser la manière de concevoir le nouveau fournisseur de prestations. La situation de départ était donc difficile. Comme la grande majorité des acteurs invités rejetaient le nouveau fournisseur de prestations, ils auraient préféré discuter de nouvelles solutions pour promouvoir les soins coordonnés indépendamment de ce projet de loi. Leur objectif principal, à savoir faire avancer la coordination des soins, n’a donc été que partiellement abordé vu que la discussion n’a porté que sur le nouveau fournisseur de prestations proposé par le Conseil fédéral.
La problématique, les arguments contre le projet de loi et les solutions alternatives présentées sont résumés ci-après du point de vue des auteurs.

Quel problème faut-il résoudre?

L’OFSP a formulé deux défis au regard des soins coordonnés: d’une part, toutes les personnes qui pourraient éventuellement bénéficier de soins coordonnés ne sont pas assurées dans un MAA, comme les personnes âgées ou les malades chroniques. D’autre part, les MAA ne proposent pas toujours de vrais soins coordonnés. Le nouveau type de fournisseur de prestations viserait à améliorer cette situation en pratiquant les soins coordonnés mais, soulignons-le, indépendamment du modèle dans lequel une personne est assurée. La nouvelle réglementation entend garantir des soins «sous un seul toit» grâce au regroupement interprofessionnel de fournisseurs de prestations ambulatoires. Nous résumons ici en neuf points plusieurs arguments contre ce nouveau fournisseur de prestations en tenant compte du scepticisme manifeste des acteurs du système de santé.

Quels sont les arguments contre?

Comment promouvoir la coordination?

Même les acteurs qui ne partagent pas ou qu’en partie la critique à l’encontre du nouveau type de fournisseur de prestations sont d’avis qu’il existe de nombreuses options pour promouvoir ou améliorer la coordination interprofessionnelle sans ce fournisseur de prestations. De nombreuses pistes concernent les conditions-cadres pour développer avec succès les MAA et la coordination des soins de santé. Il reste à éliminer des incitatifs négatifs. L’un d’eux, la compensation des risques autrefois inappropriée, a déjà été éliminé, ouvrant la voie à une nouvelle dynamique positive. On peut aussi imaginer des développements du côté de la prise en charge où les nouvelles compétences attribuées aux soins infirmiers et aux pharmaciens contribueront à la coordination des soins primaires, même sans un nouveau type de fournisseur de prestations. Les approches sont résumées dans les neuf points exposés ci-après.

Conclusion: il faut renforcer la coordination plutôt que la réglementer

Le nouveau type de fournisseur de prestations prévu dans le deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts a le mérite d’avoir à nouveau attiré l’attention sur les soins intégrés. Le débat actuel montre cependant que l’entité administrative visée ne convainc pas la majorité des acteurs de la santé, car elle n’encouragerait pas la coordination, mais au contraire empêcherait les développements positifs et alourdirait la charge administrative.
Nous disposons maintenant non seulement d’arguments contre le nouveau fournisseur de prestations, mais aussi de solutions pour renforcer efficacement la coordination des soins de santé. Un grand nombre de ces approches affichent un très bon rapport coûts/bénéfices. La plupart ne nécessitent que des adaptations ponctuelles tout en promettant des effets importants. On peut donc espérer que les milieux politiques sauront entendre cette voix, celle de la pratique et du terrain, pour que les soins intégrés en Suisse puissent poursuivre sur la voie du succès. Pour l’heure, il serait préférable de s’abstenir de toute autre réglementation «top down» pilotée par la politique et de se concentrer sur les réformes en cours dans le domaine du financement et des tarifs. L’évaluation de leur mise en œuvre et l’évaluation des réformes déjà adoptées seront riches d’enseignement en vue d’identifier les options envisageables pour la promotion à long terme des soins intégrés et coordonnés.
1 Département fédéral de l’intérieur DFI, Office fédéral de la santé publique OSFP. Fiche d’information, Réseaux de soins coordonnés, 7 septembre 2022
2 Gilli Y. Quand l’administration étatique se pare de coordination. Bulletin des médecins suisses 2022;103(46):24-25; URL: https://bullmed.ch/article/doi/saez.2022.21247
3 Office fédéral de la statistique, Statistique de l’assurance-maladie obligatoire 2021 (tableau 3.03, état des données 16.8.2022)
4 Schusselé Filliettaz S, Kohler D, Berchtold P, Peytremann-Bridevaux I. Soins intégrés en Suisse. Résultats de la 1re enquête (2015–2016). Obsan Dossier 57. Observatoire suisse de la santé Obsan
5 Communiqué de presse CSSS-N, 11 novembre 2022. Réseaux de soins coordonnés: trouver une solution pérenne en consultation avec les divers acteurs du système de santé. URL: https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sgk-n-2022-11-11.aspx?lang=1036
6 Extrait du courriel de l’OFSP du 2 décembre 2022 envoyé à tous les acteurs en vue de fixer une date pour les tables rondes
7 22.062 Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (Mesures vi-sant à freiner la hausse des coûts, 2e volet) du 7 septembre 2022; URL: https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2022/2427/fr
8 Wille N, Gilli Y; Maîtriser les coûts et alléger les primes. La réforme la plus importante de notre sys-tème de santé. Bulletin des médecins suisses 2022;103(2930):932-935; URL : https://bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20923
9 Comité de direction PNR 74 (2023). Conclusions du programme national de recherche Système de santé. Fonds national suisse, Berne

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