Actuel
Renforcer la coordination plutôt que la réglementer
a Directrice de H+; b présidente de la FMH; c présidente de medswiss.net; d cheffe de la division DDQ, FMH; e président de mfe; f Senior Expert public affairs & politics, pharmaSuisse; g présidente de pharmaSuisse; h responsable du département Politique, H+; i collaboratrice scientifique de la présidente, FMH
Politique de la santé Les discussions sur les «réseaux de soins coordonnés» ont fait ressortir différents arguments contre le nouveau type de fournisseur de prestations que le projet de loi vise à établir. Il existe cependant de nombreuses autres options pour renforcer les soins coordonnés qu’il faudrait approfondir.
Le 7 septembre 2022, le Conseil fédéral a présenté les onze pages de modifications législatives prévues dans le deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts. Un des projets, celui de «la promotion ciblée des soins coordonnés» [1] semblait très prometteur avant qu’une lecture plus détaillée suscite la déception. En prévoyant la création d’un nouveau type de fournisseur de prestations piloté et réglementé par l’État, la loi ajoute un silo supplémentaire dans notre système de santé. Ce nouveau venu porte le nom de «réseau de soins coordonnés», mais n’a rien à voir avec les réseaux tels que nous les connaissons en Suisse. Il s’agit d’une structure parallèle qui n’apporte pas de valeur ajoutée tangible, et ne fait que gonfler la bureaucratie [2].


© Andrii Yalanskyi / Dreamstime
Un coup d’arrêt?
La loi risque donc de mettre un coup d’arrêt aux innovations à la base des avancées réalisées au cours de ces dernières décennies pour mieux coordonner les soins. Les premiers modèles HMO et du médecin de famille du début des années nonante se sont développés en un vaste choix de modèles alternatifs d’assurance (MAA) qui permettent aujourd’hui à plus de deux tiers de la population d’économiser en moyenne plus de 1000 francs de primes chaque année [3]. Un rapport de l’Obsan relève que «malgré des incitatifs limités [...], les initiatives identifiées en Suisse sont remarquablement nombreuses, diversifiées et réparties dans tout le pays» [4] et que «la mise en œuvre de soins intégrés connaît une accélération depuis quelques années: 50% des 162 initiatives incluses ont été lancées» avant la publication de ce rapport.
Opposition des intéressés
Les acteurs qui s’engagent en faveur des soins coordonnés connaissent les défis pratiques des réseaux et ils ont vite compris que le nouveau fournisseur de prestations prévu n’apporterait aucun progrès, mais seulement un nouveau corset étatique, et donc administratif, sans pour autant encourager la collaboration interprofessionnelle. Il n’est donc pas surprenant que l’audition de la Commission de la sécurité sociale et de santé du Conseil national (CSSS-N) en octobre 2022 ait montré que «l’approche proposée par le Conseil fédéral […]» était «vivement contestée par les acteurs concernés» [5]. La commission a donc demandé à l’administration «d’organiser des tables rondes visant à examiner une solution apportant une plus-value au système de santé [et] susceptible de réunir une majorité auprès des acteurs concernés, tels que les médecins et les autres professionnels de santé, les assureurs, les services hospitaliers et ambulatoires, les patients ainsi que les cantons» [5]. Par la suite, l’OFSP a invité les acteurs à trois tables rondes en janvier, février et mars 2023: ARTISET, curafutura, fmc, FMH, CDS, H+, Forum suisse des consommateurs kf, medswiss.net, mfe, ospita, pharmaSuisse, pro-salute, santésuisse, Spitex, FSAS.
Le mandat
Le mandat consistait à «élaborer une proposition de consensus à l’intention de la CSSS-N relative à la mise en œuvre de la mesure ‘réseaux de soins coordonnés’» [6]. En parallèle, un rapport complémentaire de l’OFSP destiné à la commission devait, si possible, venir préciser la manière de concevoir le nouveau fournisseur de prestations. La situation de départ était donc difficile. Comme la grande majorité des acteurs invités rejetaient le nouveau fournisseur de prestations, ils auraient préféré discuter de nouvelles solutions pour promouvoir les soins coordonnés indépendamment de ce projet de loi. Leur objectif principal, à savoir faire avancer la coordination des soins, n’a donc été que partiellement abordé vu que la discussion n’a porté que sur le nouveau fournisseur de prestations proposé par le Conseil fédéral.
La problématique, les arguments contre le projet de loi et les solutions alternatives présentées sont résumés ci-après du point de vue des auteurs.
Quel problème faut-il résoudre?
L’OFSP a formulé deux défis au regard des soins coordonnés: d’une part, toutes les personnes qui pourraient éventuellement bénéficier de soins coordonnés ne sont pas assurées dans un MAA, comme les personnes âgées ou les malades chroniques. D’autre part, les MAA ne proposent pas toujours de vrais soins coordonnés. Le nouveau type de fournisseur de prestations viserait à améliorer cette situation en pratiquant les soins coordonnés mais, soulignons-le, indépendamment du modèle dans lequel une personne est assurée. La nouvelle réglementation entend garantir des soins «sous un seul toit» grâce au regroupement interprofessionnel de fournisseurs de prestations ambulatoires. Nous résumons ici en neuf points plusieurs arguments contre ce nouveau fournisseur de prestations en tenant compte du scepticisme manifeste des acteurs du système de santé.
Quels sont les arguments contre?
Un nouveau fournisseur de prestations n’équivaut pas à un modèle de soins: le projet de loi assimile le nouveau fournisseur de prestations à un modèle de soins, alors qu’il ne présente qu’une nouvelle institution qui devra être mise en place selon les conditions définies par le Conseil fédéral quant à l’organisation, au personnel, à la collaboration, à l’échange de données, à l’assurance qualité et à la coordination et qui bénéficiera de mandats de prestations cantonaux, à l’instar des hôpitaux. Ce fournisseur de prestations conçu par des bureaucrates serait-il en mesure de satisfaire aux exigences pratiques d’un «modèle de soins»? La réponse à cette question relève de la spéculation. On ne voit pas non plus pourquoi il devrait être plus efficace dans la coordination que les réseaux existants. Les «avantages» du nouveau fournisseur de prestations énumérés dans le message sont soit irréalistes, soit non étayés, soit déjà une réalité aujourd’hui.
Les traitements coordonnés ne fonctionnent que si les patients le souhaitent: le projet de loi ne tient pas compte du fait qu’un traitement dans un réseau coordonné présuppose une prise de décision éclairée, c’est-à-dire volontaire, du patient. Le succès des modèles actuels se fonde notamment sur ce principe. Celui qui souhaite profiter d’un suivi coordonné doit aussi être disposé à se laisser guider et, par exemple, s’accommoder de restrictions dans le choix des fournisseurs de prestations. Inversement, avec le nouveau fournisseur de prestations prévu, la promesse d’un traitement coordonné ne pourrait pas être tenue. Les patients assurés, par exemple dans un modèle d’assurance standard ou de télémédecine, pourraient quand même consulter n’importe quel autre fournisseur de prestations extérieur au réseau. L’idée de séparer le modèle de soins du modèle d’assurance et de prendre également en charge dans des réseaux des personnes «n’ayant pas opté pour une forme particulière d’assurance» [1] n’est donc pas réaliste. Aujourd’hui, chaque assuré se voit proposer chaque année la possibilité d’opter pour un modèle d’assurance avec un choix contraignant du fournisseur de prestations dans un réseau. Si les patients ne veulent pas de cette coordination, on ne pourra pas y remédier avec une structure de soins supplémentaire telle que celle proposée par le Conseil fédéral, qui, de plus, fragmentera davantage le paysage des soins.
Les personnes qui décident aujourd’hui de ne pas rejoindre un MAA avec réseau de soins l’éviteront aussi à l’avenir: à l’instar des modèles de réseau de soins actuels, le patient pourrait tout aussi bien faire le choix de rejoindre le nouveau type de fournisseur de prestations que de l’éviter. Si l’on veut promouvoir les soins coordonnés, il faudrait donc tenter d’identifier les raisons qui incitent les personnes assurées à ne pas choisir un modèle de réseau de soins plutôt que de créer une structure parallèle. Ces motifs peuvent être très divers. Chez les personnes qui ont délibérément choisi de ne pas s’assurer avec un modèle de réseau de soins ou qui ne l’ont jamais envisagé, il faudrait probablement en premier lieu effectuer un travail d’information. Pour les autres, en particulier les personnes multimorbides sans MAA, la question se pose de savoir si, pour elles, contracter un MAA présente vraiment un inconvénient: nombreuses sont les personnes qui bénéficient aujourd’hui déjà d’une prise en charge coordonnée par leur médecin de famille. D’autres malades chroniques sont parfaitement au courant de leur(s) maladie(s) et ont depuis longtemps établi leur réseau de traitement personnalisé. Dans les deux cas, un passage dans un modèle de réseau n’aurait guère de répercussions sur la qualité et les coûts de leur prise en charge.
Position FSAS
En tant que Fédération suisse des associations professionnelles du domaine de la santé (FSAS), nous saluons l‘intention de promouvoir les soins coordonnés dans les soins de base. Les professions de la santé souhaitent coordonner leurs prestations pour assurer les meilleurs soins possibles - dans les situations où c’est nécessaire et approprié. Cela ne concerne pas seulement les souvent citées personnes âgées multimorbides, mais aussi les enfants, les adolescents et les personnes souffrant de problèmes psychiques. Toutefois, les obstacles qui, du point de vue des différents professionnels, entravent la coordination ne sont pas supprimés avec le nouveau prestataire et les besoins individuels des personnes concernées sont ainsi peu pris en compte. Au lieu de définir et d’indemniser les prestations nécessaires à la coordination, il est prévu de créer un nouveau fournisseur de prestations – mais l’indemnisation des prestations de coordination est alors réservée à ce fournisseur de prestations et aux personnes qu’il traite.
Au lieu d’établir des réseaux réglementés par les autorités en tant que nouveaux fournisseurs de prestations, il serait plus judicieux de promouvoir les prestations de coordination souhaitées. Pour cela, deux approches seraient essentielles: d’une part, il faudrait réaliser des gains de numérisation en soutenant l’échange d’informations, par exemple à l’aide d’un DEP fonctionnel. D’autre part, les prestations de coordination devraient être rémunérées. Une base légale correspondante pourrait favoriser des négociations ciblées entre les partenaires tarifaires. Enfin, et surtout, le patient devrait pouvoir choisir lui-même qui prend en charge les prestations de coordination. Force est de constater que le projet de loi actuel passe à côté des problèmes de la réalité au lieu de proposer de véritables solutions nouvelles.
Claudia Galli Hudec, présidente de la fsas
La liberté de décision des assurés doit être respectée: en séparant le modèle de soins du modèle d’assurance, on ne tiendrait tout simplement pas compte de la décision des assurés qui choisissent aujourd’hui non seulement un modèle d’assurance, mais aussi un modèle de soins. Celui qui choisit le modèle standard plus cher peut consulter n’importe quel fournisseur de prestations, mais ne peut pas s’attendre à bénéficier de la coordination d’un réseau. Vouloir imposer par la petite porte un «HMO» aux personnes qui délibérément n’ont pas choisi ce modèle est discutable, dans la mesure où celles qui se laisseraient tenter seraient privées des réductions de primes importantes dont on bénéficie en choisissant un modèle de réseau de soins. Séparer le modèle d’assurance du modèle de soins signifierait aussi séparer les incitatifs économiques, et donc l’élément moteur des soins intégrés et de la maîtrise des coûts, du niveau des soins.
La liberté de choix des assurés serait restreinte: alors que l’assuré décide aujourd’hui selon quel modèle il souhaite être pris en charge et en assume les coûts, cette décision serait prise à l’avenir en fonction de l’appartenance ou non de son médecin de famille au nouveau type de fournisseur de prestations. Au vu de la pénurie de médecins de premier recours, un grand nombre d’assurés seraient contraints de rejoindre le nouveau type de fournisseur de prestations, parce que le seul médecin de famille disponible l’a rejoint; pour d’autres, le nouveau type de fournisseur de prestations ne serait pas disponible parce que leur médecin ne l’a pas rejoint. Au lieu de créer une structure parallèle qui serait souvent pour les assurés, soit sans alternative soit indisponible, il vaudrait mieux améliorer les incitatifs pour coordonner et élargir l’offre interprofessionnelle dans les structures existantes. On pourrait alors réfléchir à une approche fondée sur le point de vue du patient et établir les réseaux en fonction de ses besoins spécifiques au lieu d’aborder la question en partant d’une structure qui est imposée à tous.
Des soins coordonnés grâce au libre choix
Même si la LAMal a subi une perte de qualité ces dix dernières années suite à la mise en œuvre de certaines révisions, les solides piliers qui en constituent la base, à savoir le libre choix pour les assurés ainsi que l’efficacité, l’adéquation et l’économicité pour les prestations assurées, sont encore bien là. Grâce au libre choix, les assurés peuvent opter pour une assurance de base standard ou un modèle alternatif d’assurance (MAA). Opter pour la première, c’est pouvoir choisir librement parmi les fournisseurs de prestations admis à exercer et donc aussi choisir de coordonner soi-même sa prise en charge médicale. Opter pour le second, c’est restreindre volontairement son libre choix et bénéficier en contrepartie d’un rabais sur les primes, car les examens et les traitements sont coordonnés différemment selon le MAA. Avec ce modèle, les fournisseurs de prestations, les assureurs et les assurés ont montré comment un petit espace basé sur la liberté de contracter pouvait parfaitement fonctionner dans l’environnement surréglementé de la LAMal.
À présent, le Conseil fédéral veut introduire un nouveau type de fournisseur de prestations, censé coordonner. Les critiques émises à l’encontre de ce projet lors de la consultation et d’une audition de la CSSS-N ont été accablantes. La commission a donc décidé de charger l’OFSP d’élaborer des propositions en collaboration avec les acteurs concernés. Or, au lieu de rester ouvert à la recherche de solutions au cours des trois tables rondes organisées, l’OFSP s’est contenté de défendre le projet du Conseil fédéral sans arriver à convaincre la majorité des acteurs des avantages pour les assurés et les patients d’un nouveau type de fournisseur de prestations. Le Parlement doit à présent décider s’il faut réglementer ou standardiser les soins coordonnés ou s’il faut aussi rendre les MAA plus attractifs pour les personnes âgées atteintes de maladies chroniques en créant des incitatifs supplémentaires (contrats pluriannuels pour les assurés; davantage de flexibilité pour la mise en œuvre, la collaboration entre les fournisseurs de prestations, les prestations, les indemnisations et le calcul des primes).
Felix Schneuwly, conseil consultatif Forum suisse des consommateurs kf
L’effort de coordination ne doit pas seulement être indemnisé pour les patients du nouveau fournisseur de prestations: pour le nouveau type de fournisseur de prestations, il est prévu de conclure des conventions avec les assureurs sur le «financement des charges supplémentaires induites par la coordination des cas complexes» [7]. Mis à part le fait que la distinction entre cas complexes et moins complexes soulève des questions de délimitation, il faut ici aussi répondre à une question fondamentale: pourquoi le nouveau type de fournisseur de prestations serait-il le seul bénéficiaire d’une indemnisation des charges supplémentaires? Au lieu de promouvoir un fournisseur de prestations spécifique, il faudrait encourager la fourniture des prestations au patient, indépendamment du fait que ce dernier consulte dans un cadre étatique prédéfini ou non. Pour les patients qui nécessitent des prestations de coordination complexes, celles-ci doivent également être financées en dehors du nouveau type de fournisseur de prestations. Ici aussi, il s’agit d’envisager les choses du point de vue du patient plutôt que de la structure.
La réglementation excessive entrave les soins intégrés: les nouvelles contraintes administratives liées au nouveau type de fournisseur de prestations n’apportent aucune valeur ajoutée, mais s’accompagnent de nombreuses entraves supplémentaires. Les conventions individuelles des réseaux fonctionnent très bien et permettent de trouver des accords adaptés à tous les besoins. La conclusion de mandats de prestations pénaliserait la prise en charge coordonnée et suprarégionale. L’objectif de «garantir une unité entre les différents réseaux qui pourraient voir le jour» [1] par le biais d’exigences légales met en péril le succès des MAA: c’est justement la flexibilité des réseaux qui a jusqu’ici permis de les adapter aux besoins spécifiques des différentes régions ou des groupes de patients, d’offrir aux patients un choix et d’encourager leur développement par la concurrence. En imposant de nouvelles contraintes et davantage de bureaucratie, le nouveau fournisseur de prestations ne favoriserait pas les soins coordonnés, mais les étoufferait.
La LAMal est une loi de financement et ne devrait pas prescrire l’organisation de la prise en charge des patients: en tant que loi de financement, la LAMal définit qui peut facturer selon quel schéma et à quelles conditions (EAE) des prestations médicales à la charge de l’AOS. En revanche, la conception de modèles de soins n’est pas une tâche de la LAMal, mais en premier lieu une performance entrepreneuriale des fournisseurs de prestations qu’il s’agit d’encourager par le biais de conditions cadres favorables. L’exercice de la profession est réglementé dans les lois cantonales sur la santé qui sont très différentes d’un canton à l’autre. Ces lois permettent déjà maintenant de réaliser des projets de soins intégrés cantonaux ou supracantonaux.
Pour garantir une bonne collaboration interprofessionnelle, il n’est pas nécessaire d’avoir un nouveau fournisseur de prestations: disposer d’un nouveau type de fournisseur de prestations «permettant aux professionnels de la santé de s’unir au sein d’une équipe de prise en charge interprofessionnelle et interdisciplinaire» [7] n’est pas nécessaire, comme le montrent les nombreux réseaux existants qui, d’ailleurs, ne sont pas exclusivement «induits par les médecins», comme l’a critiqué l’OFSP. L’exemple de Medbase, fondé par un physiothérapeute, l’illustre bien. L’importance croissante des coordinatrices en médecine ambulatoire (CMA), du personnel infirmier, des infirmières de pratique avancée (APN) ou des assistants sociaux dans les réseaux souligne la collaboration interprofessionnelle croissante qui est déjà aujourd’hui réglée de manière contraignante dans les conventions avec les assureurs. Il reste un potentiel inexploité dans la collaboration renforcée avec d’autres acteurs tels que les pharmaciens et les soins à domicile. L’amélioration de la prise en charge coordonnée des patients est ralentie, en particulier par l’absence de plate-forme dédiée à l’échange numérique entre les fournisseurs de prestations de santé, par l’absence d’incitatifs et par une tarification insuffisante des prestations de coordination. En revanche, le fait que les fournisseurs de prestations ambulatoires puissent ne pas facturer ensemble leurs prestations n’a jusqu’ici posé aucun problème. Cette question de facturation, qui relève uniquement du domaine administratif, pourrait d’ailleurs être réglée plus simplement, sans que l’on doive créer un nouveau fournisseur de prestations étatique fortement réglementé.
Comment promouvoir la coordination?
Même les acteurs qui ne partagent pas ou qu’en partie la critique à l’encontre du nouveau type de fournisseur de prestations sont d’avis qu’il existe de nombreuses options pour promouvoir ou améliorer la coordination interprofessionnelle sans ce fournisseur de prestations. De nombreuses pistes concernent les conditions-cadres pour développer avec succès les MAA et la coordination des soins de santé. Il reste à éliminer des incitatifs négatifs. L’un d’eux, la compensation des risques autrefois inappropriée, a déjà été éliminé, ouvrant la voie à une nouvelle dynamique positive. On peut aussi imaginer des développements du côté de la prise en charge où les nouvelles compétences attribuées aux soins infirmiers et aux pharmaciens contribueront à la coordination des soins primaires, même sans un nouveau type de fournisseur de prestations. Les approches sont résumées dans les neuf points exposés ci-après.
Grâce à la nouvelle compensation des risques, les MAA gagnent en attractivité pour les malades chroniques: l’introduction en 2020 d’une compensation des risques fondée sur la morbidité a éliminé un incitatif négatif important. Comme auparavant, la chasse aux bons risques était récompensée, alors que les investissements ne l’étaient pas, le potentiel des MAA pour les malades chroniques n’était pas exploité. Dès 2020, l’amélioration de la compensation des risques a fondamentalement changé les incitatifs pour les assureurs-maladie. On peut donc s’attendre à une évolution très positive à l’avenir. À elle seule, la nouvelle compensation des risques permettrait d’atteindre les objectifs visés par la création du nouveau type de fournisseur de prestations.
Le financement uniforme des prestations (EFAS) donnera une impulsion aux soins intégrés: en faisant avancer le projet EFAS, la politique est sur le point d’éliminer un autre obstacle aux modèles de soins intégrés. Notamment pour les maladies chroniques telles que le diabète, les affections cardiaques et les maladies des voies respiratoires, ces modèles peuvent éviter des séjours hospitaliers coûteux en investissant dans une prise en charge ambulatoire globale. Or ces modèles ne sont actuellement pas intéressants pour les assureurs parce que les coûts supplémentaires du secteur ambulatoire sont à leur charge et les coûts hospitaliers économisés profitent avant tout aux cantons. Avec le financement uniforme EFAS, ce ne serait plus l’assureur qui devrait investir pour que le canton réalise des économies, mais les deux participeraient à parts égales aux coûts d’investissement et aux avantages en matière de coûts. Cela se traduirait aussi par une augmentation des rabais sur les primes pour les assurés. Les rabais sur les modèles HMO que le nouveau type de fournisseur de prestations veut copier seraient donc 20% plus élevés avec EFAS. Cette forme d’assurance deviendrait par conséquent nettement plus attractive, [8] tout comme le développement des modèles de soins pour des groupes spécifiques de maladies.
Les prestations de coordination doivent être financées pour tous les patients: un autre élément décisif pour améliorer la coordination dans le système de santé réside dans une tarification appropriée des prestations de coordination. Aujourd’hui, la coordination est insuffisante en particulier parce qu’elle doit s’effectuer, suivant la profession de la santé et la situation, systématiquement ou en partie gratuitement. Une rémunération du temps consacré à la coordination serait à l’avantage de tous les patients qui en ont besoin, indépendamment du modèle d’assurance. Un droit à la rémunération de prestations de coordination pourrait rapidement être mis en œuvre, contrairement à la mise en place d’un nouveau type de fournisseur de prestations. Avec le TARDOC, on dispose déjà actuellement d’un tarif qui prévoit la rémunération des prestations interprofessionnelles et de coordination. Cela serait bien sûr aussi possible dans le nouveau système tarifaire composé du TARDOC et des forfaits ambulatoires. La rémunération des prestations de coordination devrait être ajoutée aux autres systèmes tarifaires et garantie dans le système de financement des prestations de soins infirmiers ainsi que dans la RBP des pharmaciens. Lorsqu’un réseau fournit des prestations qui dépassent le cadre défini mais s’accompagnent de gains en matière de qualité et d’économies, il devrait être libre de négocier des rémunérations spéciales avec les assureurs, sans exigences inutiles du Conseil fédéral. Cela encouragerait les prestations de mise en réseau présentant une valeur ajoutée pour les patients et les assurés plutôt que des réglementations supplémentaires au niveau de la structure organisationnelle.
Les modèles de listes sont à proscrire pour éviter la confusion: le nouveau type de fournisseur de prestations ne remédiera pas au fait que les MAA ne proposent pas tous, aujourd’hui, un réseau de soins coordonnés. Il s’agit d’éviter toute dénomination trompeuse: lorsque qu’on parle de MAA, il faut aussi proposer un MAA, c’est-à-dire un réseau de fournisseurs de prestations qui a conclu des conventions avec les assureurs. Ils sont les seuls à être en mesure d’assurer une prise en charge coordonnée, contrairement aux modèles de listes qui ne le sont pas. Les médecins et d’autres fournisseurs de prestations doivent donc pouvoir se faire radier de ces listes pas sérieuses qui font croire aux patients qu’il s’agit d’un modèle du médecin de famille ou d’un modèle de réseau de soins. Cela pourrait se faire au moyen d’une révision de l’art. 41 al. 4 LAMal.
Un aménagement libre des primes et des conventions pourrait provoquer un élan d’innovation pour les soins intégrés: l’aménagement des primes et des rabais doit être adapté de manière à être durable. Cette nécessité découle déjà du simple constat que le nombre de personnes assurées dans le modèle standard baisse continuellement. En modifiant l’article 101c OAMal, les assureurs pourraient fixer leurs primes librement, à condition de tenir compte des économies réalisées, et sans rabais maximal, et déclencher ainsi un élan d’innovation dans les MAA. Leur attractivité augmenterait considérablement compte tenu de primes plus avantageuses ou de l’abandon de la participation aux coûts. L’introduction de la possibilité de conclure des contrats pluriannuels dans l’assurance de base pourrait aussi se répercuter positivement sur la qualité et sur les coûts, étant donné que cela créerait de nouveaux incitatifs pour des prestations de prévention.
Les solutions pour résoudre les problèmes de prise en charge spécifique doivent venir du terrain (bottom-up): les situations quotidiennes de prise en charge spécifique des patients montrent la nécessité d’agir; des propositions de solutions ont également été formulées dans ce sens. Ainsi, dans le domaine des soins infirmiers, et en particulier des soins à domicile, il serait possible de rémunérer de manière appropriée les prestations de coordination (fournies avec un niveau de compétences défini) qui permettraient de réduire le nombre de séjours à l’hôpital ou en EMS des patients âgés et multimorbides. Dans le secteur des soins de longue durée qui connaît aussi une croissance importante, le rôle clé du personnel soignant combiné à un suivi de la médication par les pharmaciens permettrait aussi de libérer un potentiel d’amélioration important chez les patients multimorbides générant des coûts importants. Les résultats récemment publiés par le PNR 74 plaident en faveur de «la mise en place [...] d’approches innovantes dans le cadre d’un processus de type bottom-up» qui apportent des solutions concrètes pour une bonne collaboration d’égal à égal. Le PNR 74 demande aux organisateurs du système des «conditions-cadres adaptées sur les plans financier et juridique, afin de pouvoir tester des modèles de soins innovants et les développer, s’ils s’avèrent probants» [9]. Si l’on s’appuie sur les projets du PNR 74 en matière de coordination, qui attribuent un rôle central au personnel soignant, on pourrait rapidement développer des solutions pratiques. Les prestations de l’AOS nouvellement prévues pour les pharmaciens dans le deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts (par exemple dans le contexte de programmes de prévention ou de prestations de conseil pharmaceutiques) ont déjà apporté la preuve de leurs avantages en matière de qualité et de coûts dans des études pilotes ou à l’étranger et sont en principe au cœur de la collaboration interprofessionnelle.
Les MAA doivent être positionnés comme produits de qualité et mieux expliqués: si les MAA n’ont longtemps pas été attractifs pour les malades chroniques, c’est parce qu’ils ont en premier lieu été vendus comme des produits «économiques». Les personnes malades ne veulent pas une assurance au rabais, mais un produit de qualité. Les changements déjà mis en place en termes de communication pourraient aller plus loin si les personnes susceptibles de profiter d’un certain modèle pouvaient être approchées avec des informations ciblées. Une meilleure communication permettra de prendre conscience que les modèles avec réseaux de soins offrent non seulement des avantages financiers, mais surtout une meilleure qualité, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques. Hormis les incitatifs économiques, les principaux facteurs de succès de ces modèles sont leurs activités qualité menées de manière hautement professionnelle. Il faut que cela soit mieux mis en avant. Le nouveau type de fournisseur de prestations, qui ne définit aucune exigence de qualité, n’encouragerait en revanche aucun développement innovant des soins, mais serait réduit au rang de mesure visant à freiner la hausse des coûts.
Charte de qualité interprofessionnelle: au lieu de créer un silo supplémentaire sous la forme d’un nouveau fournisseur de prestations, une approche orientée sur la qualité pourrait durablement relier les silos actuels. On pourrait ainsi élaborer une charte de qualité contraignante dans le cadre d’un engagement «bottom-up» volontaire. Celle-ci servirait ensuite de base à une collaboration d’égal à égal pour toutes les professions de la santé. Cette charte de qualité interprofessionnelle pourrait être complétée avec des incitatifs pour tous les acteurs, afin de créer des solutions à l’avantage des patients, des fournisseurs de prestations et des assureurs.
L’hôpital, un coordinateur des soins: enfin et surtout, la coordination de tous les acteurs impliqués dans la chaîne des soins doit être encouragée et développée, ce qui inclut donc aussi les hôpitaux et les cliniques, en plus des réseaux de soins ambulatoires. Les hôpitaux couvrent les disciplines de la médecine somatique aiguë, de la psychiatrie et de la réadaptation, sans oublier l’offre de médecine palliative dans tous ces domaines. Leur expérience des réseaux élargis leur permet d’assumer des tâches de coordination sur l’ensemble de l’éventail de prises en charge. Le récent Réseau de l’Arc en est un bel exemple [10].
Conclusion: il faut renforcer la coordination plutôt que la réglementer
Le nouveau type de fournisseur de prestations prévu dans le deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts a le mérite d’avoir à nouveau attiré l’attention sur les soins intégrés. Le débat actuel montre cependant que l’entité administrative visée ne convainc pas la majorité des acteurs de la santé, car elle n’encouragerait pas la coordination, mais au contraire empêcherait les développements positifs et alourdirait la charge administrative.
Nous disposons maintenant non seulement d’arguments contre le nouveau fournisseur de prestations, mais aussi de solutions pour renforcer efficacement la coordination des soins de santé. Un grand nombre de ces approches affichent un très bon rapport coûts/bénéfices. La plupart ne nécessitent que des adaptations ponctuelles tout en promettant des effets importants. On peut donc espérer que les milieux politiques sauront entendre cette voix, celle de la pratique et du terrain, pour que les soins intégrés en Suisse puissent poursuivre sur la voie du succès. Pour l’heure, il serait préférable de s’abstenir de toute autre réglementation «top down» pilotée par la politique et de se concentrer sur les réformes en cours dans le domaine du financement et des tarifs. L’évaluation de leur mise en œuvre et l’évaluation des réformes déjà adoptées seront riches d’enseignement en vue d’identifier les options envisageables pour la promotion à long terme des soins intégrés et coordonnés.
Adresse de correspondance
nora.wille[at]fmh.ch
Références
1 Département fédéral de l’intérieur DFI, Office fédéral de la santé publique OSFP. Fiche d’information, Réseaux de soins coordonnés, 7 septembre 2022
2 Gilli Y. Quand l’administration étatique se pare de coordination. Bulletin des médecins suisses 2022;103(46):24-25; URL: https://bullmed.ch/article/doi/saez.2022.21247
3 Office fédéral de la statistique, Statistique de l’assurance-maladie obligatoire 2021 (tableau 3.03, état des données 16.8.2022)
4 Schusselé Filliettaz S, Kohler D, Berchtold P, Peytremann-Bridevaux I. Soins intégrés en Suisse. Résultats de la 1re enquête (2015–2016). Obsan Dossier 57. Observatoire suisse de la santé Obsan
5 Communiqué de presse CSSS-N, 11 novembre 2022. Réseaux de soins coordonnés: trouver une solution pérenne en consultation avec les divers acteurs du système de santé. URL: https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sgk-n-2022-11-11.aspx?lang=1036
6 Extrait du courriel de l’OFSP du 2 décembre 2022 envoyé à tous les acteurs en vue de fixer une date pour les tables rondes
7 22.062 Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (Mesures vi-sant à freiner la hausse des coûts, 2e volet) du 7 septembre 2022; URL: https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2022/2427/fr
8 Wille N, Gilli Y; Maîtriser les coûts et alléger les primes. La réforme la plus importante de notre sys-tème de santé. Bulletin des médecins suisses 2022;103(2930):932-935; URL : https://bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20923
9 Comité de direction PNR 74 (2023). Conclusions du programme national de recherche Système de santé. Fonds national suisse, Berne
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