Personnes en formation et facturation via l'AOS

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Édition
2023/12
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21665
Bull Med Suisses. 2023;104(12):34-35

Affiliations
a Prof. Dr en droit, titulaire de chaire en droit constitutionnel, administratif et des assurances sociales de l’Université de Zurich; b Dr en droit, avocat, Zürich; c Prof. Dr en droit, avocat; d lic. en droit, avocate, cheffe de la division Service juridique de la FMH; e Dre en droit, juriste à la division Service juridique de la FMH.

Publié le 22.03.2023

Remboursement par l’assurance maladie La mise en œuvre du changement de paradigme pour les psychologues-psychothérapeutes présente des défis conséquents pour le système de santé, en particulier en ce qui concerne le remboursement des prestations dispensées par les personnes en formation. Les rapports d’experts juridiques parviennent à la conclusion que ces prestations doivent être remboursées.
Les psychologues-psychothérapeutes sont passés du modèle de délégation au modèle de prescription le 1er juillet 2022.
Ce modèle de prescription prévoit que les psychologues-psychothérapeutes peuvent désormais exercer à titre de fournisseurs de prestations au sens de l’art. 35, al. 2, let. e de la LAMal, à leur compte et à la charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS) sur prescription d’un médecin.

Obligation de rémunération controversée

La mise en œuvre de cette transition entre modèle de délégation et modèle de prescription se heurte actuellement à des difficultés considérables. L’une d’elles concerne la tarification des prestations de psychologie-psychothérapie par des personnes en formation. Les associations professionnelles sont parvenues à élaborer une structure tarifaire avec H+, la communauté d’achat HSK et curafutura et se sont mis d’accord sur un tarif applicable jusqu’au 31 décembre 2024. Ni les assureurs-maladie représentés par santésuisse ni la caisse d’assurance maladie CSS n’ont participé à cette négociation. Il en a découlé un tarif provisoire généralisé à tous les cantons de 2,58 francs par minute ou 154,80 par heure. Santésuisse et la CSS ont déposé un recours pour contester cette tarification cantonale. Le litige porte notamment sur la question de savoir si les prestations de psychologie-psychothérapie fournies par des personnes en formation, essentielles au bon fonctionnement d’un système de santé, peuvent être facturées à l’AOS [1].
Ce sujet explosif pour l’ensemble du système de santé a été le point de départ d’une réflexion juridique relative aux prestations de psychologie-psychothérapie et, plus largement, aux prestations médicales, fournies avec le concours de personnes en formation, afin de savoir si celles-ci constituent des prestations devant être obligatoirement remboursées par l’AOS.

Expertise juridique

L’avocat et docteur en droit Gregori Werder ainsi que le professeur et docteur en droit Thomas Gächter ont récemment pris position sur ce sujet à travers leur contribution dans la plus grande revue juridique en ligne de Suisse [2]. La FMH a parallèlement demandé au professeur et docteur en droit Ueli Kieser de clarifier ce point dans un avis de droit [3] traitant non seulement la question d’un point de vue juridique, mais également sur le plan de la santé publique. Dans cette publication, les auteurs Gächter, Kieser et Werder ont été sollicités pour présenter leurs conclusions, aux côtés du service juridique de la FMH, sur ce sujet particulièrement clivant. Ils aboutissent tous, indépendamment les uns des autres, à la conclusion que les prestations assurées par les personnes en formation doivent être remboursées par les assurances maladie.
Les prestations de psychologie-psychothérapie des personnes en formation doivent-elles être remboursées?
© Kaspars Grinvalds / Dreamstime
La doctrine et la jurisprudence reconnaissent que les médecins ne sont pas obligés d’assurer eux-mêmes personnellement toutes les prestations et que cela leur est impossible dans la pratique, mais qu’ils peuvent déléguer des tâches à des auxiliaires et même qu’ils le doivent pour que le système de santé fonctionne correctement. «Dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins, les fournisseurs de prestations admis à facturer doivent en principe dispenser personnellement les soins. Un traitement médical consiste ainsi généralement en des mesures exécutées par le médecin lui-même […]. La doctrine et la jurisprudence admettent toutefois que le médecin a le droit, au sens de l’art. 25, al. 2, let. a, ch. 1, de déléguer une partie de son activité à du personnel qualifié non-médecin qui lui est subordonné, sous certaines conditions, et de facturer ces prestations au titre d’activité médicale au sens de l’art. 25, al. 2, let. a, ch. 1 à l’assurance obligatoire des soins […]. Il faut alors veiller à ce que le médecin demeure le fournisseur de prestations et que le personnel non-médecin ne dispose pas d’autorisation au sens des art. 35 ss […]» (trad. FMH) [4].
Depuis de nombreuses années, on constate donc dans la jurisprudence une affirmation de l’obligation de rémunération en cas de délégation de prestations à du personnel non-médical.
Le tribunal fédéral fonde sa position sur trois types d’arguments [5]:
Si l’on applique cette argumentation au fait de déléguer des prestations à des personnes en formation, on constate que, d’un point de vue juridique, il n’existe aucun motif de s’écarter de la jurisprudence établie en refusant l’obligation de rémunération de ces prestations par l’AOS. Ces prestations sont comparables, sinon quasi identiques, d’un point de vue factuel, personnel et local.

Sécurité des soins remise en cause

Enfin sur le plan pragmatique, il est inenvisageable que les soins de santé soient dispensés sans l’aide des personnes en formation. Ces dernières sont solidement intégrées aux structures, notamment parce que les formations prévoient leur intervention dans la pratique. Le fait que le financement n’ait pas été abordé explicitement par le législateur jusqu’ici indique qu’il découle implicitement de l’obligation de prestation de l’AOS en vigueur. Le Tribunal fédéral ajoute à ce sujet: «Ni la LAMal ni l’OAMal ne s’expriment sur l’activité médicale déléguée, c’est-à-dire sur le fait de confier des examens ou des mesures thérapeutiques à du personnel médical non-médecin employé par le médecin. Rien n’indique dans les textes de loi que les activités médicales déléguées ne devraient pas être remboursées par l’assurance obligatoire des soins, par opposition à l’ancien droit. Une telle règlementation ne servirait en outre aucunement les intérêts des cabinets médicaux, dont le fonctionnement serait quasi impossible sans le concours de personnel médical non-médecin (tel que les auxiliaires, infirmières et infirmiers, physiothérapeutes, assistantes et assistants de radiologie ou laborantines et laborantins)» (trad. FMH) [6].

En résumé

En se fondant sur les conclusions juridiques établies, mais aussi en gardant à l’esprit la sécurité juridique et la stabilité du système de santé dans son ensemble, il ressort que les prestations dispensées par les personnes en formation doivent être remboursées par l’AOS dès lors que les conditions autorisant la délégation [7] sont remplies. Les prestations dispensées par les personnes en formation sont alors facturées par le ou les fournisseurs de prestations admis à facturer à la charge de l’assurance obligatoire des soins. Sans ce remboursement par l’AOS, ce n’est pas seulement la psychothérapie non-médicale, mais l’ensemble du système de santé qui connaitrait des pénuries.
Il faut préciser, pour conclure, que les deux états des lieux juridiques débouchent sur un même constat et que le Conseil fédéral a lui aussi plusieurs fois rappelé qu’il existe une obligation de rémunération par l’AOS [8]. Il serait malgré tout souhaitable que le législateur, le Conseil fédéral ou le DFI réagissent rapidement, dans le contexte de la description de la prestation, et précisent explicitement ce que retient déjà la jurisprudence, à savoir que les prestations dispensées par les personnes en formation doivent être facturées par les personnes qui les leur délèguent et qu’elles doivent être prises en charge par l’AOS [9].
1 Dr iur. Gregori Werder / Prof. iur. Thomas Gächter, Delegation an Personen in Weiterbildung; Zum OKP-Pflichtleistungscharakter ärztlicher und psychologisch-psychotherapeutischer Leistungen, in: Jusletter 20 février 2023, ch. 3 et 4.
2 Dr iur. Gregori Werder / Prof. iur. Thomas Gächter, Delegation an Personen in Weiterbildung; Zum OKP-Pflichtleistungscharakter ärztlicher und psychologisch-psychotherapeutischer Leistungen, in: Jusletter 20 février 2023.
3 Rapport d’expert du Prof. iur. Ueli Kieser pour la FMH, 21 février 2023 en réponse à «Fragen der krankenversicherungsrechtlichen Vergütung von Leistungen beigezogener Personen».
4 Rapport d’expert du Prof. iur. Ueli Kieser pour la FMH, 21 février 2023 en réponse à «Fragen der krankenversicherungsrechtlichen Vergütung von Leistungen beigezogener Personen», ch. 6.2.1.
5 Voir Dr iur. Gregori Werder / Prof. iur. Thomas Gächter, Delegation an Personen in Weiterbildung; Zum OKP-Pflichtleistungscharakter ärztlicher und psychologisch-psychotherapeutischer Leistungen, in: Jusletter 20 février 2023, ch. 16 ss.
6 Rapport d’expert du Prof. iur. Ueli Kieser pour la FMH, 21 février 2023 en réponse à «Fragen der krankenversicherungsrechtlichen Vergütung von Leistungen beigezogener Personen» ch. 6.3; ATF 125 V 441, consid. 2.c.
7 «Beim Beizug von Hilfspersonen ist generell die Trias der sorgfältigen Auswahl, der sorgfältigen Instruktion sowie der sorgfältigen Überwachung massgebend» in: Rapport d’expert du Prof. iur. Ueli Kieser pour la FMH, 21 février 2023 en réponse à «Fragen der krankenversicherungsrechtlichen Vergütung von Leistungen beigezogener Personen», ch. 6.2.3, p. 16.
8 Dr iur. Gregori Werder / Prof. iur. Thomas Gächter, Delegation an Personen in Weiterbildung; Zum OKP-Pflichtleistungscharakter ärztlicher und psychologisch-psychotherapeutischer Leistungen, in: Jusletter 20 février 2023, ch. 67 s.
9 Dr iur. Gregori Werder / Prof. iur. Thomas Gächter, Delegation an Personen in Weiterbildung; Zum OKP-Pflichtleistungscharakter ärztlicher und psychologisch-psychotherapeutischer Leistungen, in: Jusletter 20 février 2023.