Les femmes en route vers le sommet

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Édition
2023/16
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21631
Bull Med Suisses. 2023;(16):10-13

Publié le 19.04.2023

Carrière Plus l’échelon est élevé, moins il y a de femmes. Une réalité qui se reflète également dans les hôpitaux suisses. De nouveaux programmes de promotion de carrière doivent changer la donne. L’objectif: augmenter la part des femmes dans les fonctions hiérarchiques supérieures et mettre un terme aux discriminations. Mais quel est l’impact de ces programmes?
Êtes-vous en couple et souhaitez-vous avoir des enfants?» Voilà ce que l’on a demandé à la Dre méd. Chantal Pfiffner lors d’un entretien d’embauche. «Il est pourtant interdit de poser cette question – et il est peu probable qu’elle soit posée aux hommes», explique l’ancienne médecin-assistante, aujourd’hui cheffe de clinique à l’Hôpital cantonal de Saint-Gall.
Le chemin vers le sommet peut être éreintant: une expérience vécue par de nombreuses femmes dans le milieu médical.
© Photobac / Dreamstime
Cette femme de 32 ans n’est pas une exception. Dans le domaine médical, les femmes sont plus souvent victimes de discriminations ouvertes et subtiles que les hommes et, comme dans de nombreux secteurs économiques, elles sont toujours sous-représentées aux postes de direction. Alors que la part des médecins-assistantes est encore de 59,5%, celle des médecins-cheffes n’est plus que de 15,3% [1].
C’est la raison pour laquelle les programmes de promotion de carrière destinés aux femmes sont nécessaires, Dre méd. Marie-Claire Flynn en est convaincue. Cheffe de clinique avec fonction particulière à l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, elle a co-initié le programme Aiming Higher (voir encadré). «Nous perdons les femmes en montant les échelons. Cette situation est fâcheuse au vu de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, mais aussi parce que les études représentent un investissement important», déclare Marie-Claire Flynn. Pour elle, la médecine est traditionnellement marquée d’une empreinte masculine: rôles stéréotypés profondément ancrés, longues heures de travail rendant la garde des enfants problématique – pour les mères comme pour les pères.

Aiming Higher s’adresse aux médecins-assistantes

Aiming Higher est un programme de promotion de carrière destiné aux femmes médecins. Son objectif est notamment de contribuer à renforcer les compétences et à développer un réseau professionnel. L’Université de Saint-Gall propose le programme en coopération avec six hôpitaux, l’asmac Zurich et l’association «medical women switzerland» depuis 2022. Il s’adresse aux médecins-assistantes à partir de la deuxième année d’assistanat, qui planifient activement leur avenir professionnel et envisagent une fonction dirigeante ou une carrière académique. En plus des workshops et de l’auto-apprentissage d’une durée d’environ cinq jours, le cœur du programme consiste en un mentorat de deux ans.
Quand Chantal Pfiffner a entendu parler du programme, elle n’a pas hésité: «J’ai tout de suite décidé de participer, c’était une bonne occasion de me pencher sur mon plan de carrière et de renforcer mes compétences.» Elle s’est inscrite car elle savait qu’elle souhaitait exercer un jour une fonction dirigeante dans un hôpital. Mais elle connaissait également les statistiques: les femmes médecins occupent rarement des fonctions élevées dans la hiérarchie. Elle déplore également que les questions de genre aient à peine été abordées durant les études de médecine, alors même que plusieurs professeurs ont conseillé aux étudiantes d’avoir des enfants pendant leurs études car cela serait difficilement conciliable avec la profession de médecin par la suite.

Le souhait d’une égalité réelle

Selon Chantal Pfiffner, les femmes ont plus de mal à gravir les échelons professionnels notamment en raison des stéréotypes sociaux. «Par exemple, la majorité des gens pensent encore que lorsqu’un couple a un enfant, c’est la mère qui met son activité professionnelle entre parenthèses. Élever des enfants relève pourtant d’une responsabilité commune, et un nombre croissant d’hommes souhaitent s’investir autant que leur conjointe.»
Marie-Claire Flynn, co-initiatrice de Aiming Higher, en est également convaincue: «Nous avons besoin d’une véritable égalité, en permettant aux hommes de travailler à temps partiel et de s’occuper d’un enfant malade à la maison.» Ainsi, son programme de carrière mise délibérément sur les hommes comme mentors pour les participantes. Ils doivent en effet être impliqués dans le réseautage et la sensibilisation de la société. «Aiming Higher ne peut pas changer directement les obstacles structurels. Mais le programme peut motiver hommes et femmes à oser des changements.»

Des thèmes semblables

Si Aiming Higher et d’autres programmes (voir encadré «Soutien de carrière: aperçu des offres existantes») s’adressent spécifiquement aux femmes, il existe aussi des offres pour les hommes et les femmes. Parmi elles, «Coach my Career», fondé en 2018 par la Fédération des médecins suisses (FMH), l’Association des médecins dirigeants d’hôpitaux de Suisse (VLSS), l’Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (asmac), l’Association des médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe) et l’Association suisse des étudiants en médecine (swimsa). Le programme de mentorat s’adresse aux étudiants en dernière année de médecine ainsi qu’aux jeunes médecins-assistants et chef(fes) de clinique. Des médecins expérimentés, parfois à la retraite, proposent des conseils, le mentorat prenant généralement la forme d’un unique rendez-vous qui permet d’obtenir un soutien pour des questions concrètes relatives au choix d’une profession ou d’une spécialité, ou concernant la procédure à suivre pour postuler. Un mentee rencontre toujours deux mentors et on essaie toujours de mettre les femmes en contact avec au moins un coach du même sexe.
«Par le passé, dans le cadre du mentoring, les femmes ont plus souvent abordé des thèmes tels que la double-charge, la planification familiale et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée que les hommes», explique Nora Bienz, vice-présidente de l’asmac Suisse, l’un des initiateurs de «Coach my Career». «Ces thèmes sont aujourd’hui tout autant abordés par les mentees hommes.»
Quelque 200 personnes ont bénéficié du programme «Coach my Career» à ce jour – environ 60 hommes et 140 femmes. Les femmes ont-elles donc davantage besoin d’être soutenues dans leur carrière? Nora Bienz relativise: «Dans notre programme, la part de femmes est de 70% et ne dépasse donc pas de beaucoup celle chez les étudiants en médecine, qui est de 61%.»

Les hommes ont aussi besoin de modèles

Et pourtant, la question se pose: les hommes ont-ils vraiment besoin d’une promotion de carrière alors qu’ils sont déjà surreprésentés aux postes de cadres? Pour Levke Henningsen, la réponse est clairement oui. La psychologue fait de la recherche et enseigne entre autres sur les questions de genre et de carrière. Elle a travaillé à l’Université de Zurich jusqu’en 2022 et exerce depuis à l’University of Exeter Business School. Levke Henningsen est convaincue que «les programmes de développement de carrière aident les collaboratrices et collaborateurs, quel que soit leur sexe, à améliorer leurs compétences en matière de direction et à développer leurs connaissances. Cela permet notamment de soutenir celles et ceux qui sont plus réservés et qui auraient plus de mal à trouver un mentor de leur propre chef, par exemple.»
La promotion de carrière spécialement axée sur les femmes est néanmoins importante, selon Levke Henningsen. En effet, la pandémie de coronavirus a entraîné de nouveaux changements au détriment des femmes. «Elles sont plus nombreuses que les hommes à perdre leur emploi ou à réduire leur temps de travail pour assumer davantage de responsabilités liées à la garde des enfants ou au ménage», affirme-t-elle.
Le mentorat joue un rôle considérable dans la promotion de la carrière. «Il peut aider à remédier au sentiment d’isolement ou de perte de repères à chaque étape de la carrière», explique Levke Henningsen. Selon des études, les femmes reçoivent moins souvent des offres formelles de mentoring que les hommes, surtout en début de carrière, bien que les femmes considèrent ces offres comme importantes pour leur évolution professionnelle.

Un cadre protégé

La recherche ne permet pas de répondre clairement à la question de savoir si un mentor homme ou femme est plus utile aux femmes. Une étude [2] indique toutefois que les mentors femmes sont mieux placées pour discuter de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Une enquête réalisée auprès de 3000 femmes aux États-Unis dans le cadre de l’étude KPMG Women’s Leadership Study [3] a également révélé que celles-ci sont davantage prêtes à parler de défis professionnels uniquement avec des personnes du même sexe que dans des groupes mixtes. Deux tiers ont déclaré avoir appris les principales leçons en matière de leadership d’autres femmes.

Un échange ouvert

Selon Marie-Claire Flynn, les expériences faites à l’Université de Saint-Gall avec la promotion des femmes dans d’autres secteurs économiques dressent le même tableau: les femmes parlent moins ouvertement de leurs souhaits et leurs problèmes dans les groupes mixtes.
Pour Chantal Pfiffner, le fait que le programme Aiming Higher soit axé exclusivement sur les femmes n’a pas été un critère pour y participer: «Mais cela s’est avéré être un avantage de pouvoir échanger, pour une fois, uniquement avec des femmes.» La diversité des participantes – issues de différentes spécialités médicales, avec ou sans enfants et avec des objectifs de carrière différents – est particulièrement enrichissante.
En même temps, il est clair pour Chantal Pfiffner que «dans la pratique, les équipes mixtes donnent les meilleurs résultats – les études le confirment» [4]. Mais, de son point de vue, que faut-il pour se rapprocher de l’objectif d’une répartition équilibrée des sexes aux niveaux hiérarchiques supérieurs? Chantal Pfiffner considère les conditions-cadres suivantes comme nécessaires: des modèles inspirants, des réseaux, des temps de travail flexibles pour les femmes et les hommes et un congé parental personnalisable plutôt que des congés de maternité et de paternité prédéfinis. Tout cela contribue également à éviter que les femmes quittent leur emploi et ne parviennent ensuite plus à le retrouver. Mais la condition préalable à une telle évolution est un changement de mentalité de la société. En espérant que les générations futures n’aient plus à entendre des réflexions telles que «Vous étudiez la médecine? Les femmes médecins ne servent à rien. Elles ne génèrent que des coûts et finissent par partir un jour ou l’autre.»

Soutien de carrière: aperçu des offres existantes

Aiming Higher: programme pour la promotion de la carrière. L’offre de l’Université de Saint-Gall s’adresse de manière spécifique aux femmes
Mentoring for Women: programme de mentorat proposé par la faculté de médecine de l’Université de Berne et le Pôle de recherche national TransCure (carrière académique)
Coach my Career: mentoring personnalisé avec des médecins expérimentés, également en séances individuelles
Filling the Gap: programme de promotion de la carrière de la faculté de médecine de l’Université de Zurich. L’objectif principal est d’augmenter le nombre de femmes parmi les professeurs et dans les conseils d’administration des universités.
Liens complémentaires:
medical women switzerland
medicalwomen.ch/
Questions fréquentes sur l’entrée dans la vie professionnelle: