Tumeurs osseuses et endocrinologie

Schwerpunkt
Édition
2023/12
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21580
Bull Med Suisses. 2023;104(12):74-76

Publié le 22.03.2023

Diagnostic différentiel Les tumeurs osseuses primaires au sens d’une maladie néoplasique indépendante sont rares. Hormis les métastases du squelette, qui sont beaucoup plus fréquentes, on retrouve également au sein du système squelettique des modifications liées à des maladies endocriniennes, dont l’aspect clinique et radiologique peut donner l’impression d’une tumeur osseuse primaire.
Les endocrinopathies sans contexte de syndrome héréditaire peuvent entraîner des modifications squelettiques qui sont secondaires à la dérégulation endocrinienne. Elles consistent soit en une ostéopathie généralisée (par exemple l’ostéoporose stéroïdienne dans les maladies de l’axe cerveau-hypophyse-surrénales, telles que syndrome de Cushing, ostéopathie rénale dans l’insuffisance rénale chronique ou ostéomalacie oncogène en cas d’excrétion rénale accrue de phosphate), soit en des modifications tumorales localisées (foyers) au sein d’un ou de plusieurs os, voire sur tout le squelette (par ex. la tumeur dite brune en cas d’hyperparathyroïdie ou la calcinose dite tumorale en cas d’insuffisance rénale chronique).
La prise en charge diagnostique de telles modifications implique un entendement interdisciplinaire des relations physiopathologiques et cliniques, ainsi que des résultats morphologiques (histologie, radiologie) et ce, afin d’éviter les erreurs de diagnostic et les mauvais choix thérapeutiques.
Les modèles radiologiques de modifications squelettiques, qui sont principalement déclenchées par un hyperparathyroïdie primaire, sont moins pertinents en termes de diagnostic que les résultats de laboratoire dans la pratique clinique quotidienne.

Un défi diagnostique

La prudence est de mise dans l’évaluation du diagnostic différentiel lorsqu’une lésion apparaît en dehors des localisations préférentielles caractéristiques des tumeurs osseuses primaires ou lorsque ces lésions sont multifocales. Il est alors essentiel de corréler soigneusement les résultats de l’examen clinique ainsi que les analyses de laboratoire portant sur le métabolisme osseux avec les données radiologiques et histopathologiques. L’évaluation microscopique d’un échantillon de tissu peut également conduire à des erreurs de jugement et à des décisions thérapeutiques erronées. Ainsi, les tumeurs brunes d’une hyperparathyroïdie peuvent être confondues avec d’autres lésions riches en cellules géantes du fait de leur teneur élevée en cellules géantes ostéoclastiques, si le contexte clinique n’est pas suffisamment pris en compte (tumeur à cellules géantes, kyste osseux anévrismal, fibrome non ossifiant, histiocytose à cellules de Langerhans) (fig. 1).
Figure 1A: Tumeur brune d’hyperparathyroïdie dans le calcanéum droit, avec structure interne multi-kystique similaire à celle d’un kyste osseux anévrysmal (IRM, T2w TIRM)
Figure 1B: aspect du tissu fin avec des cellules mononucléées et des cellules géantes multinucléées similaires à celles d’une tumeur à cellules géantes
Le diagnostic de l’ostéopathie rénale dans le cadre d’une insuffisance rénale chronique et lors de traitement par dialyse ne se fait presque plus qu’en laboratoire, de sorte que les modifications osseuses provoquées par le trouble du métabolisme du calcium, du phosphate et de la vitamine D qui sont en relation avec un hyperparathyroïdie secondaire ne sont pratiquement plus connues des pathologistes. Leur évaluation correcte n›est en fait plus possible après la décalcification standard des échantillons d’os, ce qui s’avère nécessaire en laboratoire, mais cette évaluation nécessite l’inclusion de la biopsie osseuse sans décalcification préalable dans du plastique, ainsi que l’utilisation de la technique de coupe dure, ce qui doit déjà être indiqué lors de l’envoi de biopsies osseuses portant sur une question ostéologique. Dans le cadre du traitement par dialyse, des modifications osseuses de type tumoral peuvent également survenir; celles-ci sont alors provoquées par le dépôt de bêta-2-amyloïde (tumeur dite amyloïde).
Les modifications ostéomalaciques du tissu osseux peuvent être causées non seulement par une carence en vitamine D, mais également par des troubles du métabolisme du phosphate. Outre les rares formes génétiques (rachitisme hypophosphatémique x-chromosomique, autosomique dominant ou récessif), il convient de prendre en compte l’ostéomalacie dite oncogène, provoquée par de véritables tumeurs qui sécrètent le fibroblast growth factor 23 (FGF23) et augmentent par ce biais l’excrétion rénale de phosphate. Ces lésions sont donc également appelées tumeurs mésenchymateuses phosphaturiques; elles peuvent être localisées dans les tissus mous ou les organes parenchymateux et échapper à la détection clinique du fait de leur petite taille. Lorsqu’elles se manifestent au sein du canal médullaire ou à la surface de la corticale des os, elles provoquent des signes radiologiques et histologiques similaires à ceux des tumeurs osseuses primaires, ce qui explique qu’elles aient été autrefois considérées à tort comme la cause de l’ostéomalacie oncogénique. Les erreurs de diagnostic peuvent être évitées moyennant un diagnostic de laboratoire approprié, au moins pour les tumeurs osseuses peu claires et supposées primaires (phosphate sérique, excrétion de phosphate dans l’urine, FGF23) (fig. 2). Le recours à la TEP/TDM DOTATOC peut s’avérer utile pour le diagnostic de localisation.
Figure 2: Tumeur phosphaturique dans les parties molles du pied gauche (DOTATOC-PET/CT, images de fusion transversales)
Les troubles du métabolisme phosphocalcique sont rarement associés à la dysplasie fibreuse, en particulier lorsqu’elle se présente dans un contexte syndromique (syndrome de McCune-Albright).
Les syndromes endocriniens héréditaires avec modifications squelettiques peuvent engendrer des troubles du développement, des lésions tumorales ou des tumeurs du squelette. Les gènes étiologiquement pertinents sont eux-mêmes pertinents dans le cadre du développement du squelette ou dans la régulation des fonctions cellulaires des cellules osseuses (cellules ostéoprogénitrices, ostéoblastes, chondrocytes). On peut citer comme exemple la pseudarthrose tibiale congénitale ou la dysplasie de l’aile cunéiforme dans la neurofibromatose de type 1 (NF1), l’ostéochondromyxome extrêmement rare dans le complexe de Carney (PRKAR1A) ou le fibrome ossifiant au sein de l’os maxillaire dans le syndrome HPT-JT (tumeur Jaw) (HRPT2/CDC73) [1]. Les conséquences secondaires de la dérégulation endocrinienne peuvent également survenir au niveau du tissu osseux, telles que les modifications osseuses associées à l’hyperparathyroïdie dans le cas du syndrome MEN1, MEN2 ou MEN4 (MEN1, RET ou CDKN1B).
Le diagnostic des modifications squelettiques dues à des endocrinopathies nécessite une compréhension interdisciplinaire.
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Groupe de travail sur les tumeurs osseuses e. V.

Les relations réciproques entre les maladies endocriniennes et les modifications du système squelettique peuvent entraîner des difficultés considérables en termes de diagnostic quotidien. La meilleure façon de les surmonter est de travailler dans un contexte interdisciplinaire, comme c’est déjà le cas dans les pays germanophones avec le groupe de travail sur les tumeurs osseuses (Arbeitsgemeinschaft Knochentumoren). Dans le cadre de ce travail, les disciplines concernées (orthopédie, oncologie, radiologie et pathologie) échangent deux fois par an du matériel d’examen de lésions squelettiques intéressantes sur le plan diagnostique et en discutent ensemble, en se basant sur les résultats cliniques, radiologiques et pathologiques (www.agkt.org). Dans ce cadre, les cas situés à la frontière diagnostique entre les tumeurs osseuses primaires au sens strict et les modifications squelettiques associées à l’endocrinologie sont également inclus dans la discussion.

Résumé pour vous par:

Congrès annuel DVO: Ostéologie 2022
18.-20.09.2022
Baden-Baden
Dr méd. Manoj Kakkassery
Chef du service de radiologie musculo-squelettique à la clinique Helios de Berlin-Buch, où se trouve le centre interdisciplinaire des sarcomes. Il est spécialisé dans les tumeurs osseuses et les sarcomes des tissus mous.
Priv.-Doz. Dr méd. Mathias Werner
Chef de clinique au département de pathologie du Vivantes Netzwerk für Gesundheit Berlin, spécialisé de longue date dans le diagnostic histologique des maladies osseuses non néoplasiques et des tumeurs osseuses.
1 Maraghelli D, Giusti F, Marini F, et al. Bone tissue and mineral metabolism in hereditary endocrine tumors: clinical manifestations and genetic bases. Orphanet J. Rare. Dis. 2020;15:102.