L’éclaireuse

Portrait
Édition
2023/17
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21577
Bull Med Suisses. 2023;104(17):78-79

Publié le 26.04.2023

Combativité Anna Fischer-Dückelmann était médecin, mais sa formation n’a pas été reconnue. Elle a écrit des ouvrages médicaux qui ont été rejetés par ses collègues masculins. Son livre «La femme, médecin du foyer» s’est pourtant vendu à un million d’exemplaires. Portrait d’une femme intrépide.
Notre époque a commencé à s’affranchir de l’autorité du docteur d’antan, qui commandait à la vie et à la santé; le peuple a commencé à vouloir s’aider lui-même, et tout médecin avisé, qui œuvre pour les intérêts de l’humanité et pas seulement pour sa corporation, saluera joyeusement cette aspiration comme un progrès heureux et lui consacrera toutes ses forces.» Vendu à un million d’exemplaires, «La femme, médecin du foyer» n’est pourtant pas digeste: ces trois lignes de controverse médicale traversent l’ouvrage de soins de premiers recours de la médecin Anna Fischer-Dückelmann, paru en 1901. Dès l’introduction, elle dénonce la conception patriarcale du médecin et lutte pour que les patients eux-mêmes aient des connaissances en matière de santé et agissent en conséquence. Docteure en médecine et écrivain, elle s’est opposée à l’ancienne conception traditionnelle des rôles homme-femme. Son adhésion à la médecine naturelle était un affront aux prémices de la médecine technicisée.

Un livre à l’adresse de la population

En une dizaine d’années, ce livre s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires et a reçu plusieurs prix internationaux. Il s’agit d’un ouvrage de référence pour s’aider soi-même, que ce soit par des conseils sur la prévention des maladies ou par des recommandations simples sur les soins du corps et des enfants. Anna Fischer-Dückelmann ne s’adresse pas à l’élite, mais à la population. Des dessins explicatifs, ainsi que des modèles anatomiques de l’homme et de la femme à replier à partir de l’édition de 1911 [1], des planches en couleur de plantes médicinales et de nombreuses photos illustrent clairement les explications, ce qui a contribué à la popularité de l’ouvrage.

Des études de médecine tardives

Anna Fischer-Dückelmann naît en 1856 à Wadowice, sur le territoire de la Pologne actuelle, au sein d’une famille de médecins. Adolescente, Anna rédige son premier article sur la nocivité du corset dans le «Brünner Tageblatt». Après son mariage avec le journaliste Arnold Fischer et son déménagement à Francfort, elle écrit régulièrement des articles sur des sujets de santé, fonde une publication hebdomadaire et donne des conférences sur l’alimentation saine, la réforme vestimentaire et les questions touchant les femmes.
Anna Fischer-Dückelmann vers l’âge de 50 ans dans le numéro anniversaire de «La femme, médecin du foyer» en 1911.
C’est à cette période que mûrit l’envie d’Anna Fischer-Dückelmann, alors mère de trois enfants, de devenir médecin. En 1889, elle part à Zurich, où sa famille la rejoint en 1890. Après six ans d’études, la quadragénaire obtient son diplôme fédéral et son titre de docteure. En 1897, Anna Fischer-Dückelmann qualifie ses études de «période difficile», durant lesquelles elle aurait rencontré des soucis financiers, de santé et familiaux [2].

Une «guérisseuse» en cabinet

Elle était désormais médecin et docteure. Cependant, en Allemagne, sa formation n’est pas reconnue en raison de son sexe. Elle ne peut travailler que comme «naturopathe», ce qui correspond à une guérisseuse et non à une professionnelle de la santé. Elle trouve néanmoins un poste au sanatorium Bilz d’Oberlössnitz, près de Dresde, spécialisé dans la médecine naturelle. Son fondateur, Friedrich Eduard Bilz, est l’auteur du best-seller de médecine naturelle «La nouvelle médication naturelle», paru en 1888.
Peu après, elle devient l’une des premières femmes médecins d’Allemagne à ouvrir son cabinet et un petit établissement de cure non loin de Loschwitz. Après plusieurs étapes, elle revient en Suisse. Anna Fischer-Dückelmann achète un terrain sur le Monte Verità près d’Ascona, au Tessin, et dirige provisoirement le sanatorium de la communauté de la réforme de la vie. Elle décède en 1917 à Ascona.

Les femmes dans la médecine

La série de portraits présente des personnalités féminines historiques du monde médical suisse. Chacune de ces femmes a un parcours de vie unique. Des portraits avec des liens parfois étonnants avec le présent.

Contre-modèle à la médecine masculine

Anna Fischer-Dückelmann a consacré presque toute sa vie à faire de l’éducation sanitaire, que ce soit à l’oral ou à l’écrit. Elle n’a pas hésité à critiquer le manque d’hygiène dans les hôpitaux, les inégalités sociales, l’oppression persistante des femmes ou les méthodes de traitement brutales de ses collègues masculins.
Sur la base de son doctorat, elle rédige en 1898 son premier livre de conseils intitulé «Die Geburtshilfe vom physiatrischen Standpunkt» (L’obstétrique du point de vue physiatrique). Elle qualifie de «physiatrie» sa «doctrine diététique de la santé», qu’elle a développée comme contre-modèle à la médecine académique, masculine et paternaliste. L’accouchement est un processus naturel et non une maladie, souligne-t-elle, citant différentes applications diététiques, manuelles et balnéologiques.
Dans son livre de plus de 800 pages, «La femme, médecin du foyer», elle prône la nudité et parle de la masturbation au sein du couple et de la prévention des grossesses. Cependant, elle reprend aussi sans esprit critique certaines idées sexophobes de son époque, comme le fait de condamner l’homosexualité et le plaisir solitaire.

Écrire en tant que femme pour les femmes

Les critiques de ses collègues ne se font pas attendre. Les descriptions sexuelles très libérées pour l’époque et les représentations de personnes nues porteraient atteinte à la pudeur féminine. L’auteure est également accusée de charlatanisme. On lui reproche de pousser les pauvres malades dans les bras des guérisseurs au lieu de les orienter vers les médecins diplômés. Son livre est considéré comme n’ayant aucune valeur en tant que guide, puisqu’il ne fait qu’encourager l’hypocondrie des lectrices en décrivant les maladies.
Dans son ouvrage, Anna Fischer-Dückelmann s’adresse par les mots et l’image aux femmes en tant que femme, elle y défend une médecine naturelle et, en tant que médecin titulaire d’un doctorat, elle critique la médecine de ses collègues masculins. Combative, elle n’a pas cherché, comme d’autres femmes médecins de la première heure, une niche dans laquelle elle est tolérée, mais s’est adressée au public en proposant un contre-modèle médical.
1 Fischer-Dückelmann A: Die Frau als Hausärztin. Stuttgart. Süddeutsches Verlags-Institut; 1911 (numéro anniversaire).
2 Fischer-Dückelmann A. «Vorkämpferinnen des Frauen-Studiums in Oesterreich-Ungarn. Jahresbericht des Vereines für Erweiterte Frauenbildung in Wien, 1.10.1896:51–3 (explications autobiographiques, mais rédigées en octobre 1897 selon ce qui est indiqué), p. 53.
Autres références
1 Chapuis-Després S. Anna Fischer-Dückelmann. Le pouvoir aux femmes par la médecine naturelle et la Réforme de la vie. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande. 2021;53:47–62.
2 Fischer-Dückelmann A. Die vom April 1888 bis Januar 1895 in der Zürcher Frauenklinik beobachteten Fälle von Puerperalfieber. Diss. Med. Zürich; 1896.
4 Meyer P. Physiatrie and German Maternal Feminism: Dr. Anna Fischer-Dückelmann Critiques Academic Medicine. Canadian Bulletin of Medical History. 2006; 23,1:145–82.
5 Oels D. Ein Bestseller der Selbstsorge. Der Ratgeber «Die Frau als Hausärztin». Zeithistorische Forschungen. 2013;10:515–23.