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Les urgences souffrent, le système aussi
Besoin de réforme La fermeture nocturne des urgences de Martigny est un signal d’alarme: le système de santé est au bord de la rupture. Les causes: population vieillissante, changement du rapport au travail, effectif des médecins en baisse. La solution? Revaloriser la médecine générale.
Les médecins urgentistes sont inquiets: les urgences sont près de l’effondrement. L’auteur de ces lignes l’a déjà vécu il y a 40 ans en hôpital périphérique avec des lits dans les salles de bain et les couloirs puis comme chef de clinique aux urgences du CHUV. «Monsieur le directeur de l’hôpital, combien en ce moment avez-vous de malades?», écrit Victor Hugo dans «Les Misérables». «Vingt-six, monseigneur. [...] Dans les épidémies, nous avons eu cette année le typhus, nous avons eu une suette miliaire il y a deux ans, cent malades quelques fois; nous ne savons que faire.» Les épidémies et les surcharges hivernales ont toujours existé. Les craintes d’effondrement sont-elles fondées?


© Parinya Khunjarin / Dreamstime
Oui, car les temps ont changé et nous avec eux. Tempora mutantur, nos et mutamur in illis. Qu’est-ce qui a changé? Une séquence à trois temps.
Premier temps: vieillissement de la population. Quand Victor Hugo publie «Les Misérables» en 1862, l’espérance de vie est de 37 ans, 84 aujourd’hui. Une population âgée est une population fragile sensible aux infections et à risque de chutes et de fractures.
Deuxième temps: rapport au travail. On est passé du temps où «le travail c’était la vie» à celui de la grande démission. La nouvelle génération de médecins n’est plus prête à sacrifier sa santé pour sa carrière. Et au temps de la démission tranquille.«Je ne suis pas prêt à subordonner ma vie à mon métier de médecin.» Les jeunes collègues désirent travailler moins, à temps partiel et placer un «jour du papa» dans la semaine, c’est tout à leur honneur.
Troisième temps: effectif des médecins de premier recours. Il est en recul depuis 2013. Or pour bien fonctionner, un système de santé doit comporter 50% de généralistes. On est loin du compte. Le problème n’est pas le nombre de médecins formés mais leur répartition dans les spécialités. Pourquoi ce manque de généralistes?
Il est urgent de revaloriser la médecine générale, meilleur rempart à la surcharge des urgences, selon Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille à l’Université de Fribourg [1]. Il ajoute: «Dans mon cabinet, je traite la plupart des urgences en quinze minutes.» La médecine générale, une médecine efficiente et de qualité.
Revaloriser la médecine générale, c’est mettre en lumière ce beau métier du diagnostic, du traitement et du lien. Des départements de médecine de famille ont été créés dans les facultés, des stages chez les généralistes. Des cursus cantonaux de médecine générale offrent un cadre à la formation postgraduée. Les cabinets de groupe répondent aux aspirations des jeunes en termes d’horaires et de collaboration anciens-modernes, soutien à l’exigence d’une médecine générale de qualité. Mais tous ces efforts ne suffisent pas. Pourquoi?
Parce que revaloriser la médecine générale, c’est aussi entendre le souci financier exprimé par les jeunes et œuvrer à la réduction de l’écart de rétribution entre spécialistes et généralistes. Les politiques qui réforment le TARMED en TARDOC doivent considérer l’impératif de mieux répartir les parts du gâteau en respectant l’exigence de neutralité des coûts.
Pierre-Yves Maillard, conseiller national socialiste, a dit à ce sujet à la RTS: «Les conditions-cadres font qu’en Suisse, c’est cette activité de médecin généraliste qui est la moins bien payée et où les conditions de travail sont les plus dures. Il faut aussi changer cela si on veut que les médecins que l’on forme fassent le travail où il y a de la pénurie.» [2] Qu’un parlementaire de gauche s’affiche en défenseur d’une augmentation de la rémunération de certains médecins mérite d’être souligné. Remarquable ajustement des remèdes à la maladie actuelle de la médecine et aux souffrances des urgences.
Traiter de manière équitable la médecine générale, c’est œuvrer à un meilleur recrutement de médecins généralistes et indirectement prendre soin en aval de la souffrance des urgences.
Jacques Aubert, spécialiste en médecine interne générale, ancien chargé de cours à l’Université de Lausanne
Références
1 Le Temps, édition du 20 janvier 2023, page 8.
2 Propos diffusés sur la RTS lors de la Matinale du 30 janvier 2023, au journal de 6h30.
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