Un virus pour tous

Wissen
Édition
2023/09
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21551
Bull Med Suisses. 2023;104(09):70-71

Publié le 01.03.2023

One Health Il connaît tout des maladies infectieuses transmissibles de l’animal à l’humain: le vétérinaire Jakob Zinsstag est expert en zoonoses. D’après lui, les animaux devraient faire l’objet de vaccinations de masse dans les pays du Sud. Il plaide aussi pour une revalorisation de la médecine vétérinaire.
Jakob Zinsstag, vous faites de la recherche dans le domaine «One Health» et réunissez pour cela la médecine humaine et vétérinaire. Que faut-il changer pour mieux maîtriser les zoonoses et éviter les pandémies à l’avenir?
Les maladies sont encore considérées séparément chez l’Homme et l’animal – la communication entre les systèmes fait encore défaut. Si l’on surveillait concomitamment les animaux sauvages, les animaux de rente, les insectes et les êtres humains, les liens seraient plus rapidement identifiables. Le virus du Nil occidental dans le nord de l’Italie en est un exemple. La surveillance du virus y est pratiquée de manière intégrée chez les moustiques, les chevaux, les oiseaux sauvages et les humains. Cela permet de réduire le temps nécessaire à la première détection, mais aussi de diminuer les coûts en évitant le transfert de poches de sang contaminées. Cette approche illustre bien la plus-value de One Health. De tels systèmes devraient être mis en place dans le monde entier.
Dans le cadre de One Health, il est souvent question de «sécurité biologique». De quoi s’agit-il?
La sécurité biologique, ou biosécurité, a pour but de protéger l’Homme et l’environnement. Dans de trop nombreux pays, l’être humain fait preuve d’une grande imprudence: des animaux de rente sont élevés à proximité des forêts vierges, les chauves-souris s’y contaminent et infectent ensuite les porcs et les vaches. La biosécurité se trouve à l’interface entre animaux sauvages et animaux de rente, mais également dans les marchés d’animaux vivants. En Afrique et en Asie du Sud-Est, les animaux sont élevés et transportés dans des conditions catastrophiques. Ces conditions d’hygiène inacceptables augmentent énormément le risque de maladies transmissibles. C’est là qu’il faut intervenir et agir. Notre dernier article publié dans The Lancet [1] montre l’importance de One Health pour la sécurité sanitaire mondiale.
Est-il possible de régler ces problèmes au niveau politique?
Environ un milliard de petits agriculteurs tirent une partie de leurs revenus d’un petit élevage. C’est pourquoi il est important de bien appréhender ce sujet. Nous appelons cela des processus participatifs transdisciplinaires: une communication doit avoir lieu entre, d’une part, les chercheurs et, d’autre part, les praticiens tels que les consommateurs, les autorités, les bouchers.
Dans quel domaine devons-nous poursuivre nos efforts pour éviter des pandémies à l’avenir?
Un «pandemic treaty», un traité mondial sur les pandémies, est actuellement en cours d’élaboration avec les organisations internationales et les pays. Dans ce cadre, tous les pays doivent se mettre d’accord sur la manière de procéder de manière coordonnée à l’échelle mondiale en cas de pandémie. Ce traité sur les pandémies est, selon moi, la base solide la plus importante en droit international.
Vous contribuez vous-même, par vos recherches, à résoudre le problème. Quels sont les projets que vous supervisez?
Nous faisons de la recherche dans la lutte contre les zoonoses, c’est-à-dire les maladies transmissibles entre l’animal et l’humain. La brucellose et la tuberculose bovine en font partie. Nous traitons régulièrement les zoonoses les plus diverses telles que le ténia échinocoque du chien, la fièvre Q et bien plus encore. Actuellement, la recherche se concentre sur la rage.
Pourquoi la rage?
Nous travaillons surtout au niveau international. La rage est aujourd’hui encore un problème mondial. Elle a certes disparu en Suisse et en Europe de l’Ouest, mais nous comptons chaque année plus de 60 ​000 décès dus à la rage dans le monde. On pourrait éradiquer la maladie en vaccinant massivement les animaux, surtout les chiens. La rage est pour nous un cas d’école pour l’application de nouvelles théories d’approches intégrées: si chaque pays vaccine ses propres chiens sans regarder ce que font les autres pays, la maladie reviendra tôt ou tard de l’extérieur. Mais si tous les pays se coordonnent pour vacciner, la rage peut être éradiquée.
Comment a-t-on pu éradiquer la rage en Suisse?
Par la vaccination massive des renards. On a commencé par déposer des têtes de poulets contenant des vaccins devant les terriers des renards. Des appâts fabriqués industriellement ont été lancés depuis des avions. Dr méd. vét. Franz Steck était un pionnier dans ce domaine. Il est tragiquement décédé dans le crash de son hélicoptère alors en mission pour endiguer la rage.
Jakob Zinsstag en mission à N’Djaména, la capitale du Tchad, en 2013.
© BChristian Heuss, Swiss TPH
Vous vous engagez en faveur de la vaccination à grande échelle des animaux dans le cadre de campagnes de vaccination dans les pays du Sud. Un tel projet peut-il être financé?
L’exemple de la rage montre parfaitement bien que les vétérinaires et les médecins devraient davantage travailler ensemble: après avoir été mordu par un animal infecté par la rage, il est possible de se soumettre à une prophylaxie post-exposition (PPE). Ainsi, la vie de la personne est sauvée. Mais si l’on sauve toutes les personnes au moyen de la PPE, les coûts augmenteront, car nous ne changerons rien à la transmission de la maladie. Si en revanche les chiens sont vaccinés à grande échelle, nous nous attaquons à la source du problème et la transmission s’effondrera. C’est un peu plus coûteux au début mais revient moins cher sur le long terme.
La solution est donc connue, mais pas mise en œuvre. Pourquoi?
Dans la société, les vétérinaires sont considérés comme des médecins de second ordre. Ce n’est pas justifié. Les médecins sont focalisés sur le patient et oublient l’environnement socio-écologique. Il est urgent d’améliorer le statut de la médecine vétérinaire. Nous sommes une partie importante de la solution. Je suis spécialiste en épidémiologie à l’Institut tropical, mais nous n’avons pas été intégrés à la task force COVID-19. De nombreux pays s’efforcent actuellement de rendre One Health opérationnel. Vous pouvez voir les progrès réalisés dans notre dernier article publié dans The Lancet.
Selon vous, dans quelle mesure One Health et santé publique sont-ils liés?
La santé publique joue un rôle central dans tout ce qui concerne la prévention. J’observe un déséquilibre flagrant dans la volonté de s’engager dans la prévention plutôt que la lutte. La santé publique est un élément central de One Health. Les deux sont nécessaires.
Prof. Dr méd. vét. Jakob Zinsstag
Professeur d’épidémiologie à l’Institut tropical et de santé publique suisse à Bâle et directeur du groupe de recherche One Health.