Martigny: cas isolé ou cas d'école?

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2020/05print
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21492
Bull Med Suisses. 2023;104(1415):18

Publié le 05.04.2023

Urgences Manque de personnel, hausse des cas, pression des coûts: les hôpitaux font face à de nombreux défis. Les urgences, qui en sont la porte d’entrée, en pâtissent en premier. Le cas de Martigny, où les urgences sont fermées la nuit depuis janvier, l’illustre bien. Un mal nécessaire, selon Vincent Ribordy.
Les hôpitaux en Suisse sont intensément sollicités dans un contexte d’évolution rapide des besoins en soins, de pénurie de personnel de santé et du maintien de la pression économique sur le système de santé. Du point de vue des services d’urgences en Suisse, la situation est devenue intenable en raison de nombreux défis – activité en croissance soutenue, pénurie critique de personnel qualifié, ressources insuffisantes et saturation hospitalière – alors que le système a été éprouvé par la crise sanitaire liée au COVID-19. De nombreuses publications en font état de manière détaillée [1–3]. La Société Suisse de Médecine d’Urgence de Sauvetage (SSMUS) et l’Association Latine de Médecine d’Urgence (ALAMU) ont tiré la sonnette d’alarme en adressant au début de l’année un courrier aux autorités et directions hospitalières et de santé [4].
Le Bulletin des médecins suisses publiait fin janvier une interview du médecin-chef à propos de la fermeture nocturne du service des urgences de Martigny [5]. Premier cas d’une longue liste? Espérons que non, mais la pénurie est telle que la sécurité de l’approvisionnement menace concrètement le système de santé dans son ensemble alors que la politique de santé continue à se focaliser sur les coûts [6, 7]. Ainsi, la fermeture des urgences la nuit à Martigny est le reflet d’un système de santé qui est sur la pente glissante. Le service d’urgence ne peut pas fonctionner sans personnel qualifié et des ressources adaptées à l’activité. De manière plus globale, le système de santé fait naufrage quand on refuse d’y investir.
Mais d’autres considérations s’imposent. L’organisation d’un hôpital en réseau doit s’assurer d’un fonctionnement transversal et d’une complémentarité des missions. Le regroupement des ressources et du plateau technique spécialisé permettent de traiter de manière efficiente les urgences en provenance d’un large bassin de population. Pivot du système de santé entre la population et l’hôpital, le service d’urgence accueille, trie, stabilise et oriente les patients les plus graves et les plus complexes. Il doit faire face à de grandes variations d’activité quotidienne, hebdomadaire ou saisonnière. Les hôpitaux régionaux s’assurent de la prise en charge des urgences courantes non vitales et moins complexes déchargeant le dispositif central. Pour la population, le maintien de structures d’urgence de proximité (hôpitaux régionaux et permanences) permet d’accéder aux soins urgents et non programmés, d’autant que la médecine de garde et les médecins de premier recours peinent à répondre aux besoins de la population dans un contexte de pénurie.
Dès lors, il n’est peut-être pas nécessaire de maintenir les services d’urgence régionaux ouverts 24 heures sur 24. En effet, les urgences vitales ne devraient pas y être orientées en première intention et les urgences courantes surviennent plus rarement durant la nuit ou peuvent attendre le lendemain, surtout avec l’aide d’une centrale de régulation et de la garde médicale. Maintenir des urgences ouvertes en permanence qui reposent sur un hôpital ne disposant pas d’un plateau technique à même de traiter les cas graves risque de délivrer un faux message de sécurité.
L’absence d’explications claires à la population risque d’engendrer l’incompréhension et l’opposition. Ainsi, lors des réorganisations hospitalières, on agite le spectre du démantèlement de l’hôpital public. Dans ce contexte, certains responsables politiques peuvent manquer de clairvoyance ou de courage et laissent l’hôpital en première ligne face à une population insatisfaite.
Les collègues de l’Hôpital du Valais ont certainement fait leur maximum avant d’arriver au point de rupture. Ils ont fait le choix de la qualité des soins avant tout. Nul n’est à blâmer. Les autorités doivent poursuivre le soutien au service d’urgence du Centre Hospitalier du Valais Romand non seulement en garantissant les moyens nécessaires mais aussi en expliquant comment la sécurité sanitaire et l’accès aux soins est garantie pour la population valaisanne.
Prof. Dr méd. Vincent Ribordy, médecin-chef de service, Service des urgences HFR Fribourg, coprésident SSMUS
1 Carron PN, Sarasin F. Redéfinir les urgences par ce qu’elles ne sont pas? Rev Med Suisse. 2022;18(791):1479-1480. DOI:10.53738/REVMED.2022.18.791.1479
2 Gabor DK, Wolfe R, D’Onofrio G et al. Emergency department crowding: the canary in the health care system. 2021. https://catalyst.nejm.org/doi/full/10.1056/CAT.21.0217
3 Schmutz T, Guechi Y, Ribordy V. Maintenir le service d’urgences à flot contre vents et marées. Rev Med Suisse 2023;19:152 DOI:10.53738/REVMED.2023.19.811.152
5 Rippstein J. Au bord de la catastrophe. Bull Med Suisses. 2023;104(04):6-7 DOI: https:// doi.org/10.4414/bms.2023.21468
6 Wille N, Gilli Y. Pénurie de médecins: il n’y a pas que l’énergie qui vient d’ailleurs. Bull Med Suisses. 2023;104(0102):30-32 DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.21366
7 Wille N, Gilli Y. Une pénurie annoncée. Bull Med Suisses. 2023;104(07):22-23 DOI: https://doi.org/10.4414/bms.2023.21561