Choisir la bonne direction

Hintergrund
Édition
2023/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21477
Bull Med Suisses. 2023;103(06):16-20

Publié le 08.02.2023

Nouvelles voies ​Les hôpitaux suisses sont confrontés à des défis. Il s’agit notamment de mettre en œuvre le concept de Value Based Healthcare afin d’augmenter le bénéfice patient. Comment l’Hôpital universitaire de Bâle procède-t-il – et comment intégrer le personnel dans un tel changement?
Garantir des soins de haute qualité: tel est l’objectif du Dr méd. Florian Rüter. Le médecin est responsable de la gestion de la qualité à l’Hôpital universitaire de Bâle et relève le défi d’intégrer davantage ce que l’on appelle les soins axés sur la valeur (Value Based Healthcare ou VBHC) dans le quotidien de l’hôpital afin d’augmenter le bénéfice patient.
VBHC: selon une étude actuelle de l’entreprise de conseil PwC [1], il s’agit du modèle du futur pour le système de santé suisse. Développé en 2006, le concept vise une orientation systématique sur le bénéfice patient. Selon ce concept, la qualité d’un traitement ne se mesure pas uniquement au bon déroulement technique d’une opération, mais à l’amélioration de la qualité de vie de la patiente ou du patient. Et ce, conformément à ses préférences et besoins personnels. Les mesures standardisées sont appelées Patient Reported Outcome Measures (PROMs). Objectif du concept: pour chaque franc investi, obtenir la plus grande valeur ajoutée possible pour la patiente ou le patient ainsi que pour le personnel.

Des mesures d’incitation contradictoires

Jusqu’ici, tout va bien. Mais l’étude révèle également: «Depuis la première version du VBHC, le concept s’est continuellement développé. Cependant, ces approches n’ont pas encore pu être mises en œuvre à grande échelle et de manière systémique, ni en Suisse ni au niveau international, et leur potentiel n’a pas été exploité.» En Suisse, cela est dû, par exemple, aux incitations contradictoires des systèmes de rémunération.
Florian Liberatore le voit également de cette façon. Chargé de cours et directeur adjoint du département Gestion du système de santé à la School of Management and Law de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW), il fait régulièrement des présentations sur le VBHC lors de colloques sur la santé. «Si un traitement devient plus coûteux en raison de complications, par exemple, il peut être facturé à un forfait par cas DRG plus élevé. Le système de rémunération actuel n’incite toutefois pas à améliorer la qualité des soins, car il n’en tient pas compte», déclare-t-il.

Des effets boomerang

Cela a conduit à une concurrence quantitative entre les hôpitaux au lieu de mettre l’accent sur la qualité, qui pourrait également avoir un effet économique positif. C’est ce que révèle un rapport PwC publié en 2021 [2]. Les CFO d’hôpitaux suisses ont été interrogés sur les mesures stratégiques prises par leurs directions pour augmenter la rentabilité de leurs établissements. L’amélioration de la qualité des soins n’est arrivée qu’en neuvième position sur les neuf mentionnées. Juste derrière le respect du budget et la réduction des besoins médicaux – deux mesures qui peuvent avoir des effets négatifs sur la qualité. «Les économies directes réalisées dans les parcours de soins génèrent bien souvent des effets boomerang: les durées d’hospitalisation s’allongent ou il y a des réadmissions», analyse Florian Liberatore. Comme l’hôpital doit à nouveau traiter ses patientes et patients dans les 18 jours suivant leur sortie sans obtenir de forfait par cas supplémentaire, les coûts sont plus élevés.

Pas de solution toute faite

Pour Florian Rüter et d’autres médecins en Suisse, il est donc difficile de miser sur une qualité de soins élevée axée sur le bénéfice patient. Comment dès lors aborder le concept VBHC qui, selon la dernière étude de PwC, constitue l’approche la plus prometteuse dans le cadre d’une transition d’une orientation sur les coûts à une orientation axée sur la qualité?
Florian Rüter précise: «Le VBHC n’offre aucune solution toute faite. Chaque hôpital doit décider, en fonction de sa situation, par où commencer.» La mesure standardisée des PROMs en est un élément. Florian Rüter: «Ces indicateurs comblent la lacune entre la médecine fondée sur les preuves et ce qui est important du point de vue du patient.» L’Hôpital universitaire de Bâle a relevé les PROMs pour 21 tableaux cliniques différents auprès de plus de 9000 patientes et patients.

Le VBHC et le cancer du sein

Depuis fin 2017, l’Hôpital universitaire de Bâle procède régulièrement à une enquête PROMs avant, pendant et après le traitement des patientes touchées par un cancer du sein, en recourant à des questionnaires numériques standardisés. Le set ICHOM «Breast Cancer» standardisé sert de base. En plus des données cliniques de l’évolution, il prend en compte la qualité de vie au quotidien des personnes concernées. Des Breast Care Nurses spécialisées discutent des résultats des PROMs avec les patientes. «Ainsi, même en cas de problèmes insidieux, ces résultats permettent d’identifier les points sur lesquels il faut agir et d’ajuster le parcours de soins. Cela peut signifier un avantage de survie pour la patiente», résume Florian Rüter.
Comme les questions PROMs couvrent aussi des domaines sensibles et intimes de la vie quotidienne, il est souvent plus facile pour les patientes d’en parler au cours du traitement, selon Florian Rüter, et elles peuvent indiquer où se situent les problèmes. Par ailleurs, grâce aux PROMs, elles sont plus impliquées et comprennent mieux l’utilité des différents traitements.
Pour améliorer la qualité des soins, les hôpitaux peuvent prendre un virage.
© Whitcomberd / Dreamstime

Satisfaction du personnel

Des scores sont calculés à partir des réponses à plusieurs questions sur un même thème dans le cadre de la saisie des PROMs. Si l’on regroupe les résultats de différents patients et patientes, on obtient des scores agrégés. Si on les divise ensuite par le nombre de patients, ils peuvent servir de référence pour les comparaisons. «Les cliniques et le personnel devraient être prêts à travailler avec les scores, à se remettre en question et à apprendre en permanence», explique Florian Rüter. «Si l’on considère les PROMs comme un indicateur pour le service, les professionnels de la santé se sentent mieux, car ils voient plus de sens dans leur travail lorsque les patientes et patients sont au centre de leurs préoccupations», ajoute Florian Liberatore.
«En cas de comparaison entre différents hôpitaux, l’indice de case mix ou l’ajustement au risque doivent être pris en compte», précise Florian Rüter. À titre d’exemple, en tant qu’hôpital central, l’Hôpital universitaire de Bâle reçoit souvent les cas difficiles.

Autres composantes du VBHC

L’unité de pratique intégrée, ou integrated practice unit (IPU), fait également partie du concept VBHC. Cette dernière repose sur tous les domaines spécialisés impliqués tout au long du parcours de soins. «Ils examinent ensemble la patiente ou le patient de manière interprofessionnelle et interdisciplinaire et définissent avec elle ou lui le parcours de soins. Dans l’idéal, les médecins, le personnel soignant et les thérapeutes devraient y être associés», explique Florian Rüter. Les PROMs, en tant qu’indicateur supérieur commun, peuvent être utilisés pour faire progresser les soins coordonnés, car ils sont influencés par l’hôpital et les institutions de suivi», explique Florian Liberatore.
Une plateforme de données informatiques adéquate, mettant à disposition des médecins et des patients les PROMs saisis numériquement, constitue une autre composante du VBHC. «Il n’est pas nécessaire de numériser tous les processus, mais il faut le faire lorsque cela peut améliorer la qualité du traitement pour les patientes et les patients», souligne Florian Rüter.

L’expérience du patient

L’expérience du patient passe au premier plan et peut être saisie au moyen d’enquêtes (Patient-Reported Experience Measures PREM). Les questions peuvent par exemple porter sur un aspect des soins ou du parcours de soins. «Ce faisant, elles vont au-delà des enquêtes de satisfaction des patients classiques et plutôt subjectives du passé. Davantage de questions sont posées sur des processus qui peuvent être évalués objectivement par oui ou par non», explique Florian Rüter. Par exemple: avez-vous eu suffisamment d’occasions de poser vos questions sur le parcours de soins et la prestation était-elle conforme à ce dont vous aviez discuté?
Mais pourquoi est-il si important aujourd’hui de standardiser la qualité des prestations, de mesurer la satisfaction de la patientèle et de la promouvoir activement? Christophe Vetterli, consultant pour les hôpitaux chez Vetterli, Roth & Partners, résume: «Dans le domaine de la santé, la patiente ou le patient recourt le plus souvent à l’offre par nécessité, mais ses exigences vont de plus en plus au-delà de la qualité médicale.» Ces mesures permettent aux hôpitaux d’avoir meilleure réputation.
Quand un hôpital intègre systématiquement les patientes et patients dans la recherche de solutions et dans les concepts de soins, il a une autre compréhension de la fourniture de prestations, remarque Florian Liberatore, qui ajoute: «Le changement requiert le courage de l’équipe de penser les choses différemment et entraîne un développement organisationnel massif.»

Façonner le changement

Pour une transition réussie, il faut une gestion du changement qui fonctionne. Que cela concerne le VBHC ou un autre domaine, il existe des moyens d’impliquer le personnel et de garantir ainsi que le changement se produise dès le début dans les esprits et soit par conséquent porté par tous.
Le Design Thinking entre alors en jeu. Cette méthode permet au personnel de participer activement à une transition et de développer ensemble de nouvelles solutions axées sur les besoins, explique Christophe Vetterli, qui explique: «De nombreux concepts mis en place dans le domaine de la santé échouent car le personnel n’a pas été impliqué dès le début. En effet, les solutions développées sans l’expertise des spécialistes sur place et imposées par la hiérarchie à un hôpital public ne sont jamais intégrées dans les processus clés.»
Grâce au Design Thinking, les collaboratrices et collaborateurs peuvent développer différentes solutions, par exemple pour une procédure d’urgence ou une procédure hospitalière, comme la visite. Ils peuvent les prototyper et ainsi tester rapidement si elles correspondent vraiment aux besoins. Selon Florian Rüter, l’Hôpital universitaire de Bâle a utilisé des éléments du Design Thinking lors de la transformation de sa structure organisationnelle et impliqué des employés de différents niveaux hiérarchiques dans le processus de changement.

Les défis des hôpitaux

L’objectif de la journaliste était de rechercher les défis auxquels sont confrontés les hôpitaux publics en Suisse et de présenter des concepts utiles pour leur processus de changement. En raison de la portée limitée, nous avons décidé de nous concentrer, dans cet article, sur la transition vers une orientation systématique sur le bénéfice patient. Deux concepts du New Healthcare Management, à savoir le Value Based Healthcare et le Design Thinking, peuvent être utiles pour réussir cette transition [3]. Vous en découvrirez plus sur les défis de la gestion des capacités dans une deuxième partie la semaine prochaine. Nous sommes bien conscients qu’il existe d’autres sujets de préoccupation pour les hôpitaux publics. La régulation croissante des cliniques, par exemple. La digitalisation et le processus de transition qui en découle sont également des sujets importants, tout comme les soins intégrés, auxquels nous avons déjà consacré une série de sujets dans le Bulletin des médecins. Nous ne pouvons donc pas prétendre à l’exhaustivité de la thématique et vous invitons à nous faire part de vos expériences en matière de défis pour les hôpitaux publics.

Une compréhension commune du problème

Afin d’intégrer toutes les perspectives, expériences, idées et préoccupations et de développer une solution que tous les spécialistes de l’établissement peuvent et souhaitent également fournir, l’équipe de projet devrait être composée de manière interdisciplinaire et interprofessionnelle. De cette manière, chacun pourrait exprimer ouvertement ses besoins, quel que soit son niveau hiérarchique, souligne Christophe Vetterli, expert en Design Thinking, avant d’ajouter: «Tout d’abord, l’équipe sur place examine ensemble les processus et les infrastructures actuels et réfléchit aux aspects qui ne fonctionnent pas et aux raisons pour lesquelles ils ne fonctionnent pas. Il ne s’agit pas de montrer du doigt, mais de faire en sorte que l’équipe développe une compréhension commune. Les connaissances acquises sont la toute première étape du changement planifié.»
Dans une pièce spécialement aménagée à cet effet, différentes variantes de solutions sont développées en commun, discutées, pesées, prototypées à l’aide d’outils simples tels que des cloisons, des tables en bois et des rubans adhésifs, et mises en œuvre dans un scénario aussi proche que possible de la réalité. De plus, des patientes et patients ainsi que des collègues peuvent être invités à tester les différentes variantes. Par ailleurs, chaque membre de l’équipe ainsi qu’un conseiller ou une conseillère externe peuvent apporter des éléments de solution dont ils ont fait l’expérience ailleurs. «Les meilleurs aspects sont ainsi développés en continu et intégrés dans un cycle. Cela crée une compréhension culturelle de l’élaboration commune, dans l’esprit de: quelque chose a changé, comment abordons-nous ce sujet ensemble?», explique Christophe Vetterli.

Des solutions durables

Ces solutions, fruit d’un grand engagement, sont durables et si ancrées dans les esprits des personnes impliquées qu’elles les appliquent dans leur travail quotidien et ce, avant même que le projet ait été mis en œuvre. «Comme toutes les professions et disciplines ont été intégrées dans leur développement, le résultat est porté par tous et a donc un grand pouvoir. Les cadres doivent être ouverts à ce processus et le soutenir. C’est pourquoi il est recommandé de définir dès le départ les conditions-cadres de ce dernier», résume Christophe Vetterli. C’est ainsi que la transition peut réussir – que ce soit dans le cadre du VBHC ou d’un autre défi que les hôpitaux suisses doivent relever.
3 New Healthcare Management, 7 Erfolgskonzepte für das Gesundheitswesen, A. Angerer (Hrsg.), mit Beiträgen von: A. Angerer, C. Thiele, F. Liberatore, C. Vetterli, L. Leifer, M. Wolff, G. Karlinger; mit Gastbeiträgen von: M. Ebner, F. Rüter, M. Graban, I. Bergen, M. Döring-Wermelinger, H.J. Hohensinner, G. Hammer; MMV Medizinisch Wissenschaftliche Verlagsgesellschaft, 2021