Réforme de la formation médicale: mes premières années à l'ISFM

Leitartikel
Édition
2023/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21476
Bull Med Suisses. 2023;103(05):28-29

Publié le 01.02.2023

Rétrospective Monika Brodmann Maeder est présidente de l’Institut suisse pour la formation médicale (ISFM) depuis deux ans. Aujourd’hui, elle nous explique pourquoi la formation médicale doit changer en profondeur et ce à quoi l’ISFM s’attelle actuellement.
Le 1er février 2021, j’ai été accueillie à l’ISFM par mes plus proches collaboratrices et collaborateurs à savoir Christoph Hänggeli, Barbara Linder et Werner Bauer, mon prédécesseur. Cela va faire deux ans et c’est l’occasion pour moi de dresser le bilan de mes premières années à la tête de l’ISFM.
Après plus de trente ans d’activité clinique, majoritairement dans le domaine très dynamique de la médecine d’urgence, je m’attendais à exercer une activité administrative tout aussi passionnante mais plus calme. J’étais heureuse de pouvoir mettre mes compétences en matière de formation à disposition de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM), mais j’ai très vite compris qu’en Suisse comme ailleurs la formation médicale était confrontée à un défi comparable à la réforme de l’enseignement de la médecine aux États-Unis au siècle passé. Dès lors, il était clair que ma nouvelle activité serait tout sauf tranquille.
Monika Brodmann Maeder
Dre méd., PD et MME, présidente de l’ISFM

Le rapport Flexner de 1910

Dans son livre The American College: a criticism, publié à New York en 1908 [1], Abraham Flexner, un enseignant américain dont le frère était médecin, remettait en question le système éducatif américain. Suite à cette publication, le président de la Fondation Carnegie lui a commandé un rapport sur la formation médicale aux États-Unis. Intitulé Medical Education in the US and Canada, Report to the Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching, New York 1910, il s’est fait connaitre dans le monde entier sous le nom de «Rapport Flexner» menant à d’importantes réformes dans la formation médicale [2].
Plus d’un siècle plus tard, nous sommes probablement aussi à l’aube d’un tournant dans la formation médicale, même si la situation actuelle n’est pas vraiment comparable à l’état des compétences médicales à l’époque de Flexner.

Repenser la formation médicale

Dans le système actuel qui se base sur des programmes de formation postgraduée dont l’objectif principal est de définir les années de formation à accomplir et les contenus requis pour obtenir un titre de spécialiste, les points faibles deviennent de plus en plus nombreux et patents. Les responsables de la formation postgraduée reconnaissent eux aussi les limites du système puisque que tous les médecins en formation postgraduée ne doivent pas accomplir le même nombre d’années ni le même nombre d’interventions pour pouvoir exercer leur activité avec compétence et en toute autonomie. La tendance des différentes sociétés de discipline médicale à vouloir se démarquer se fait particulièremnet sentir lors de la révision des programmes de formation qui mènent parfois à des luttes de pouvoir leur faisant presque oublier la question de la qualité de la prise en charge. Les programmes de formation postgraduée ont atteint un niveau de détail et de complexité tel qu’il devient difficile pour les médecins en formation de remplir les exigences requises pour obtenir un titre. Enfin, des voix critiques se font régulièrement entendre quant aux compétences des médecins en matière de communication. A cela s’ajoute un temps de travail réduit, des tâches administratives accrues et moins de temps au chevet des patients. Il est donc essentiel de repenser le système actuel.
La présidente de l’ISFM montre la voie.
© Ali Kazal / Unsplash

Axer la formation sur les compétences

En 1978, William McGaghie a écrit un article pour le compte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans lequel il vantait déjà les mérites de la formation basée sur les compétences [3]. Il a cependant encore fallu attendre une trentaine d’années pour que le concept s’implante véritablement. En 1998 aux États-Unis, l’Accreditation Council for Graduate Medical Education (ACGME) a lancé un ACGME outcome project basé sur les compétences [4] et, en développant les CanMEDS [5], nos collègues canadiens sont devenus les pionniers de la formation basée sur les compétences suivis par la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le concept fait désormais des émules en Europe: la Suisse et les Pays-Bas, font partie des précurseurs et l’Union européenne des médecins spécialistes (UEMS), la plus grande organisation des fédérations nationales de médecins spécialistes de l’Union européenne et de ses territoires associés, soit plus de 1,6 million de médecins spécialistes, s’intéresse de près à l’évolution des EPA dans les deux pays précités.
Il est évident que le concept de formation médicale basée sur les compétences n’est ni une solution qui convient à tous, ni la panacée. Mais les expériences réalisées dans les pays pionniers et en particulier celles au long cours accomplies dans d’autres systèmes éducatifs que celui de la santé ont montré que la formation basée sur les compétences tend à s’imposer. Dans les écoles publiques, la transmission des connaissances a longtemps été prioritaire, mais en 2001, l’OCDE a introduit le concept de formation basée sur les compétences [6] et dix ans plus tard, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique a adopté les compétences de base pour la langue de scolarisation, les langues étrangères, les mathématiques et les sciences naturelles.
En résumé, on peut dire que le concept de formation basée sur les compétences semble être le mieux à même pour développer et maintenir les compétences médicales et la qualité des traitements à un niveau élevé.

Les premiers pas sont faits

Au cours de mes deux première années à l’ISFM, nous avons pu réunir une équipe compétente et engagée de médecins disposant de compétences supplémentaires en formation médicale et titulaires pour la plupart d’un master en éducation médicale. Ces personnes soutiennent l’ISFM avec enthousiasme dans cette réforme, interviennent en qualité d’instructeurs dans les cours Teach the teachers, sont membres de la commission EPA et épaulent les sociétés de discipline médicale dans le développement des Entrustable Professional Activities (EPA) en rédigeant des concepts et des manuels pour leur utilisation dans les établissements de formation ou en élaborant des critères en vue de la création d’une application électronique qui permettra d’effectuer des évaluations sur la base des EPA. Ces démarches ont déjà portées leurs premiers fruits: 23 des 45 sociétés de discipline médicale collaborent déjà avec l’ISFM pour développer leurs propres programmes de formation basée sur les compétences au moyen des EPA. La Société suisse de cardiologie a accompagné l’introduction de «ses» EPA dans cinq grands établissements de formation. La plupart des sociétés chirurgicales ont développé le Core Surgical Curriculum, un programme de formation basé sur les compétences qui définit les contenus enseignés lors des deux premières années de formation postgraduée en chirurgie. Enfin, nous pouvons compter sur le soutien des plus grands experts mondiaux de la question, le Canadien Jason R. Frank et le Néerlandais Olle ten Cate qui, en tant que membres d’un comité consultatif international, ont accepté d’accompagner ce projet d’envergure.

Réforme au long cours

Une réforme aussi fondamentale implique non seulement de changer le système, mais aussi de changer de culture quant à la manière dont la formation postgraduée est appréhendée, dispensée et évaluée dans les hôpitaux et les établissements de formation ambulatoires. La formation doit se voir accorder une place plus importante dans l’ensemble du système de santé et pas uniquement au niveau les professions médicales. Mais tout changement prend du temps et nous ne sommes qu’au début d’un marathon. La différence avec le coureur solitaire, c’est que nous n’atteindrons notre objectif qu’en équipe, en joignant nos forces. Nous avons relevé le défi et je me réjouis des étapes qu’il reste à parcourir.
1 Flexner, A., The American college: A criticism. Century Company: 1908.
2 Flexner, A., The Flexner Report. Medica/Education in the United States and Canada: The Carnegie Foundation for the Advancement of Teaching, Science and Health Publications Inc 1910.
3 McGaghie, W. C., Competency-Based Curriculum Development in Medical Education. An Introduction. No. 68. World Health Organisation WHO Public Health Papers 1978, 68.
4 Swing, S. R., The ACGME outcome project: retrospective and prospective. Medical Teacher 2007, 29 (7), 648-654.
5 Frank, J. E. The CanMEDS 2005 physician competency framework. Better standards. Better physicians. Better care.; The Royal College of Physicians and Surgeons of Canada.: Ottawa, 2005.
6 Rychen, D. S., Key competencies: Overall goals for competence development: An international and interdisciplinary perspective. In International handbook of education for the changing world of work, Springer: 2009; pp 2571-2583.