Sur la trace d’antigènes viraux

Wissen
Édition
2023/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21425
Bull Med Suisses. 2023;103(06):76-77

Publié le 08.02.2023

Immunothérapie Pour son projet de recherche sur les cancers associés aux infections virales, Michal Bassani Sternberg a reçu le Swiss Bridge Award 2022. L’objectif de ses travaux: identifier des marqueurs tumoraux spécifiques de la maladie pour mettre au point des thérapies ciblées. Explications.
Développer des immunothérapies personnalisées pour lutter contre les cancers d’origine virale. C’est en proposant cette orientation à ses travaux de recherche que Michal Bassani Sternberg a reçu le Swiss Bridge Award 2022, doté de 250 000 francs. Son laboratoire, situé au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), est connu pour son expertise en protéogénomique et immunopeptidomique, deux approches qui permettent d’étudier les peptides associés aux cellules du vivant, dont ceux reconnus par le système immunitaire. Ici, il est question de les appliquer pour trouver de nouvelles cibles thérapeutiques dans le cas de cancers associés à trois virus: le virus d’Epstein-Barr, le papillomavirus et le polyomavirus de Merkel. Ces microbes initient l’apparition respective de lymphomes, de cancers du col de l’utérus et de carcinomes à cellules de Merkel.
L’objectif final de la chercheuse: concevoir des lignées de cellules T spécialement adaptées pour reconnaître les marqueurs des tumeurs cancéreuses et s’en servir en thérapie cellulaire. La réflexion est menée avec ses collègues de recherche en immunologie tumorale à l’Université de Lausanne (UNIL). Soutenant le dossier de candidature, la preuve du concept a été validée avec des échantillons tumoraux issus de deux patients atteints de carcinome: l’un lié à un papillomavirus, l’autre à un polyomavirus. «Chaque tumeur exprimait le virus, explique Michal Bassani Sternberg. Dans chaque cas, nous avons identifié des antigènes, dont certains mutants, pouvant servir de cibles aux lymphocytes. L’immunogénicité de ces peptides a été confirmée expérimentalement.»
Michal Bassani Sternberg veut créer des cellules T sur mesure pour les utiliser dans le traitement ciblé du cancer.
© Meletios Verras / Dreamstime

Déjà en phase clinique

La démarche présentée dans le cadre du projet primé se déroulera en trois temps. Inventorier tout d’abord l’ensemble des peptides exprimés par les cellules cancéreuses et qui activent potentiellement le système immunitaire. Sélectionner parmi eux, ensuite, les antigènes tumoraux pour lesquels la stratégie d’immunothérapie serait la plus efficace, en les combinant avec d’autres molécules thérapeutiques. Cette étape sera franchie grâce à la bioinformatique: la chercheuse et son équipe ont développé une méthode, baptisée NeoDisc, regroupant des outils d’analyse computationnelle spécialement dédiés à cette problématique. Enfin, il s’agira de définir, parmi les lymphocytes T des patients, ceux qui présentent les récepteurs antigéniques capables de créer la réponse immune et tester leur réactivité avec des essais standards de sensibilité.
La recherche de Michal Bassani Sternberg est innovante. Et la chercheuse se montre confiante: c’est qu’elle n’en est pas à son galop d’essai. En effet, une étude clinique de phase 1 est en cours au département d’oncologie UNIL-CHUV et la vaccination thérapeutique personnalisée qui y est expérimentée se base sur des travaux dont elle est l’auteure. Il s’agit de patients atteints de cancer du pancréas et du poumon pour lesquels ce sont des néoantigènes, ou antigènes mutants, qui constituent le socle des thérapies cellulaires adoptives en question.

Des virus à fort potentiel thérapeutique

Les oncovirus ont une redoutable capacité à échapper au système immunitaire et certains de leurs mécanismes d’échappement ont été largement décrits dans la littérature. «Pour autant, ces virus recèlent un potentiel très intéressant en immunothérapie, commente Michal Bassani Sternberg. Car, une fois qu’on a caractérisé les cellules T reconnaissant les antigènes viraux et mutants produits par les cellules cancéreuses, ces premières sont facilement clonables. Elles possèdent en outre un fort pouvoir immunitaire.» Après avoir été cultivés au laboratoire en présence des antigènes, puis amplifiés, les lymphocytes T sont réinjectés au malade.
D’après les spécialistes, il existe sept virus oncogènes dont les infections expliqueraient 15% des cas de cancer dans le monde, voire jusqu’à 30% dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Toutes les personnes infectées ne développent pas de cancer. Quelle en est la raison? Cela reste un mystère. Mais cette lacune ne gêne en rien la recherche de solutions thérapeutiques idoines. Et l’immunothérapie a sans doute un rôle clé à jouer dans ce domaine.

Un projet d’une «importance primordiale»

«Pour certaines indications en oncologie clinique, près de la moitié des thérapies correspond à une immunothérapie, ce grâce à l’avènement des immune-checkpoints, les molécules inhibitrices des points de contrôle immunitaire», note Denis Migliorini, médecin et responsable de l’unité de neuro-oncologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ce professeur détient la chaire de la fondation ISREC en immunologie des tumeurs cérébrales. «Mais ce type de traitement n’est efficace que chez 20 à 30% des patients. Il reste des solutions à trouver pour soutenir le système immunitaire de façon plus vigoureuse. Adressant cet axe de recherche, et élargissant le champ des possibles en matière de cibles thérapeutiques, le projet suisse primé est d’une importance primordiale.»
Prudent, il soulève les challenges à relever en oncologie, avant de pouvoir envisager une utilisation clinique des résultats de recherche à venir. L’un a trait à l’approche multispécifique qu’il faudrait mettre en œuvre. Les tumeurs solides, par exemple cérébrales, pulmonaires ou digestives, sont hétérogènes. «Les clusters cellulaires qu’elles renferment expriment des marqueurs différents. Il faudrait pouvoir cibler plusieurs antigènes simultanément pour éviter que la tumeur n’échappe à l’immunothérapie.»
Un autre défi concerne le rôle immunosuppresseur de l’environnement tumoral. Outre les cellules malignes, une tumeur renferme jusqu’à 50% d’un bataillon de cellules autres, dont les macrophages et les cellules stromales. «Pour s’opposer à leur action immunosuppressive, il est important de caractériser le micro-environnement tumoral», précise Denis Migliorini. Bénéficiaire du Swiss Bridge Award 2019, le chercheur développe des thérapies basées sur l’ingénierie cellulaire: en modifiant le génome de lymphocytes T, il les équipe de récepteurs chimériques construits sur mesure à partir des tumeurs investiguées. Une approche complémentaire à celle de Michal Bassani Sternberg et de son équipe.
Dre Michal Bassani Sternberg
Responsable de l’unité d’immunopeptidomique, Centre des thérapies expérimentales, Département d’oncologie UNIL CHUV. Chercheuse à l’Institut Ludwig Cancer Research.