Entre excès et pénurie

Forum
Édition
2023/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21374
Bull Med Suisses. 2023;104(08):20

Publié le 22.02.2023

Offre de soins Y a-t-il trop peu ou trop de médecins? Le débat a été relancé après la publication des taux de couverture dans les soins médicaux. Or les besoins réels sont difficiles à estimer et il faut mesurer localement l’accès aux soins.
Le débat sur l’offre de soins médicaux est faussé par l’idée que l’on peut évaluer suffisamment précisément les besoins de soins de la population pour calibrer l’offre nécessaire pour y répondre. Si l’on veut orienter le système de santé et assurer sa réactivité [1], dans un contexte de manque croissant de professionnels de santé, il faut tenir compte de l’accès aux soins, localement, et des attentes de la population (voir figure).
Définir les besoins de soins médicaux d’une population peut paraître aisé. Or il n’en est rien [2, 3]. Complexes et multiformes, entre traitements, prévention, diagnostics, soins continus, réhabilitation ou soins palliatifs, les besoins sont compliqués à appréhender. Le mot «besoin» est un faux-ami car il suggère une nécessité qui découlerait mécaniquement de l’état de santé de la population et qui permettrait de calibrer l’offre de soins nécessaire pour y répondre. En réalité, certains soins sont recommandés, d’autres non, certains sont essentiels ou utiles, d’autres non [4]. On ne sait pas où s’arrête le médical, où commence le social, et les attentes de la population ne peuvent pas être prédites simplement sur la base de son état de santé; elles se forment et s’expriment dans un marché de services sanitaires très dynamique et réactif.
La Suisse manque de données pertinentes pour la planification en matière d’accès aux soins.
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Accès aux soins et attentes de la population

Pour évaluer les besoins, il faut bien entendu connaître l’état de santé de la population. Toutefois, si cette connaissance aide à estimer grossièrement les besoins potentiels de soins, elle ne permet certainement pas de définir précisément l’offre nécessaire pour les «couvrir», ni de guider finement le système de santé et de le réguler localement [5]. Il est plus utile de se baser sur l’accès aux soins en tenant compte des attentes de la population [6].
Alors que l’offre est évaluée en partie par le volume d’activité ou la densité médicale [2, 7], l’accès peut être évalué par exemple via la part de médecins qui prennent de nouveaux patients, le temps nécessaire pour avoir un rendez-vous chez un médecin, ou pour se faire opérer, la facilité avec laquelle un médecin est joignable par téléphone, la disponibilité des urgences ou l’accessibilité spatiale [7, 8]. Le problème est que l’on manque en Suisse d’informations sur l’accès aux soins qui soient utiles pour la planification.
Ainsi, si on prend l’exemple d’une ville comme Genève, l’offre est relativement élevée (forte activité médicale selon le rapport de l’Obsan [2]) mais l’accès n’est pas optimal (il y a des problèmes d’équité d’accès de manière générale en Suisse, le renoncement aux soins pour des raisons financières est fréquent en comparaison internationale) et certaines attentes de la population ne sont pas comblées (en termes de disponibilité des médecins, de continuité et de qualité des soins, de télémédecine, de médecine intégrative, etc. [6]). Si on suppose que les besoins de soins ne diffèrent guère entre Genève et d’autres grandes villes en Suisse, l’activité actuelle pourrait justifier de limiter l’installation de médecins pour s’aligner avec une offre supposée suffisante pour couvrir les besoins moyens. Toutefois, restreindre l’offre pourrait accentuer les inéquités d’accès si l’on ne tient pas compte des problèmes d’accès de certaines couches de la population.

Manque de professionnels de santé

Politiquement, on aime évoquer les besoins de soins et dire que les mesures proposées pour optimiser l’offre vont aider à y répondre, alors qu’il pourrait être plus judicieux de chercher à optimiser l’accès aux soins. Cet enjeu est devenu d’autant plus crucial que le manque de professionnels de santé pourrait entraîner une dégradation de l’accès en Suisse. Le danger est de gérer administrativement le système de soins sur la base d’une évaluation partielle de l’offre, peu connectée aux attentes de la population, et qui n’anticipe pas de manière adéquate l’effet sur l’accès aux soins.
Prof. Arnaud Chiolero, MD PhD, Laboratoire de santé des populations (#PopHealthLab), Université de Fribourg
1 Mirzoev T, Kane S. What is health systems responsiveness? Review of existing knowledge and proposed conceptual framework BMJ Glob Health 2017;2(4): e0004862 Obsan Rapport 05/2022. Taux de couverture régionaux par domaine de spécialisation pour servir de base aux nombres maximaux dans les soins médicaux ambulatoires. https://www.obsan.admin.ch/fr/publications/2022-taux-de-couverture-regionaux-par-domaine-de-specialisation-pour-servir-de-base, accédé le 9/12/20223 Wright J et al. Development and importance of health needs assessment. BMJ 1998; 316(7140):1310-3. 4 Chiolero A et al. How to prevent overdiagnosis. Swiss Med Wkly 2015; 145:w140605 Stevens A, Gillam S. Needs assessment: from theory to practice. BMJ 1998; 316(7142):1448-52. 6 Bowling A et al. The measurement of patients’ expectations for health care: a review and psychometric testing of a measure of patients’ expectations. Health Technol Assess 2012; 16(30):i-xii, 1-509 7 Obsan Bericht 07/2022. Regionale Unterschiede im Zugang zur medizinischen Versorgung. www.obsan.admin.ch/fr/publications/2022-regionale-unterschiede-im-zugang-zur-medizinischen-versorgung, accédé le 9/12/2022
8 Levesque JF, Harris MF, Russell G. Patient-centred access to health care: conceptualising access at the interface of health systems and populations. Int J Equity Health 2013; 12:18.