Les atouts cachés du souffle

Wissen
Édition
2023/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21344
Bull Med Suisses. 2023;103(0102):78-79

Publié le 11.01.2023

Innovation L’air que nous expirons permettra-t-il à l’avenir de diagnostiquer des maladies? La recherche sur l’analyse de l’haleine a fait des progrès considérables: de premiers tests sont d’ores et déjà effectués dans le cadre d’études cliniques. Mais des défis subsistent.
Une crise d’asthme: un phénomène fréquent chez les enfants. Pourtant, il n’existe pour l’heure pas de test précoce fiable pour diagnostiquer l’asthme, alors que les symptômes apparaissent généralement avant 5 ans. Le problème: le test actuel de la fonction pulmonaire n’est pas réalisable chez les enfants en bas âge, ceux-ci n’étant pas encore capables d’effectuer la manœuvre respiratoire nécessaire. «Nous devons remédier à cette situation de toute urgence», dit le professeur Alexander Möller, médecin-adjoint au service de pneumologie de l’Hôpital pédiatrique universitaire de Zurich.
Fort de ce constat, le pneumologue développe un test respiratoire innovant. Celui-ci ne nécessite qu’une expiration normale dans un petit tube relié à un spectromètre de masse à haute résolution. Lui et son équipe sont parvenus à identifier des biomarqueurs présents dans l’air expiré et qui témoignent de modifications du métabolisme, ce qui permet de différencier les personnes saines de celles qui souffrent d’asthme. Une vaste étude clinique doit à présent valider ces découvertes. L’objectif: disposer d’un test respiratoire, soit une méthode simple et bon marché, pour le diagnostic précis et précoce de l’asthme.

Une empreinte individuelle

Utiliser l’analyse de l’air expiré à des fins de diagnostic et de surveillance du traitement de certaines pathologies serait un véritable succès venant récompenser les efforts de la recherche mondiale.
Ceci est rendu possible notamment par les progrès de la spectrométrie de masse. Nous savons aujourd’hui qu’à chaque fois que nous expirons, nous rejetons des milliers de molécules. Les produits du métabolisme (composés organiques volatiles/COV) présents dans l’haleine sont particulièrement intéressants d’un point de vue médical, car l’air expiré diffère d’une personne à l’autre, y compris entre des personnes saines et des personnes malades. À l’instar des empreintes digitales, les maladies laissent leurs «empreintes respiratoires» métaboliques spécifiques. La recherche en matière d’analyse de l’haleine a identifié récemment les biomarqueurs de nombreuses maladies présents dans l’air expiré. Il pourrait donc être possible à l’avenir de détecter des maladies de manière non invasive, rapide et sans douleur, en remplacement des tests sanguins, urinaires et autres.
Un jeune participe à une étude clinique sur l’analyse de l’haleine à l’Hôpital pédiatrique universitaire de Zurich.
© Valérie Jaquet, Universitäts-Kinderspital Zürich

La Suisse est à la pointe

La Suisse fait partie des pays à la pointe dans le domaine de l’analyse de l’haleine, notamment grâce au consortium Zurich Exhalomics [1], qui réunit 14 groupes de recherche interdisciplinaires de hautes écoles et des hôpitaux universitaires de Zurich et de Bâle, mais aussi de l’EPF. Après dix ans de recherche, les premiers tests de l’haleine se perfectionnent en vue d’une application clinique. Outre le projet sur l’asthme, les tests les plus avancés sont ceux liés aux maladies pulmonaires telles que la BPCO, l’apnée du sommeil et les infections pulmonaires. Dans le cadre de Zurich Exhalomics, des études cliniques sont actuellement menées à l’Hôpital universitaire de Zurich ainsi qu’aux hôpitaux pédiatriques universitaires de Zurich et des deux Bâle. Des start-ups ont déjà vu le jour (voir encadré).

Quelques start-up suisses actives dans l’analyse de l’haleine

Alivion [2]: travaille sur un capteur d’acétone pour la surveillance du métabolisme, notamment dans l’objectif du traitement de l’obésité.
Deep Breath Intelligence [3]: la surveillance du traitement contre l’épilepsie est expérimentée dans des tests cliniques.
Avelo [4]: d’ici 2023, un test permettant de diagnostiquer la tuberculose sera validé cliniquement.
Au début de la pandémie, des efforts ont été déployés dans le monde entier pour développer des tests respiratoires permettant de détecter une infection au COVID-19. Certains sont d’ores et déjà utilisés dans des aéroports, mais leur efficacité doit encore être prouvée.

Bientôt une simple routine?

Si la recherche sur l’analyse de l’haleine se concentre actuellement sur les maladies pulmonaires, l’idée de départ reste d’utiliser ce principe pour diagnostiquer d’autres pathologies, qui peuvent aussi être détectées dans l’haleine par l’intermédiaire des produits du métabolisme.
Renato Zenobi, professeur de chimie analytique à l’EPF de Zurich et responsable de Zurich Exhalomics, est convaincu: «Dans quelques années, les analyses de l’haleine seront des examens de routine pour certaines maladies.»
Actuellement, elles requièrent souvent de gros appareils tels que des spectromètres de masse, bien plus sensibles et performants que des capteurs. Les scientifiques rêvent toutefois de développer des capteurs intégrables par exemple dans des smartphones. Il suffirait alors de souffler dessus pour diagnostiquer des maladies.
Avant d’atteindre cet objectif, certains obstacles doivent être surmontés: notre «empreinte respiratoire» est influencée par notre alimentation, les produits cosmétiques et l’air ambiant. Souffler sur son téléphone portable nécessitera aussi le contrôle de certains paramètres tels que la température et le degré d’humidité. Sans oublier qu’il n’existe pas encore, en matière d’analyse de l’haleine, de valeurs standard concernant le niveau pertinent des biomarqueurs permettant de déterminer la présence d’une maladie. «Mais nous allons réussir à relever ces défis», affirme le professeur Zenobi.

Le biomarqueur adéquat

Thomas Sigrist, président de la Société Suisse de Pneumologie et médecin-chef en pneumologie à la clinique de réadaptation de Barmelweid, est impatient de voir les futurs développements de l’analyse de l’haleine: «C’est une approche très innovante qui serait d’une grande aide pour le quotidien clinique.» Les maladies fréquentes telles que la BPCO et les infections pulmonaires sont concernées, mais aussi dans un futur plus lointain, le diagnostic possible de maladies rares. «J’imagine parfaitement les tests respiratoires venir compléter, voire remplacer, d’autres examens. Pour devenir la référence absolue, ils doivent cependant commencer par faire leurs preuves dans les études. Et pour l’utilisation en clinique, ils doivent être maniables, simples à mettre en œuvre et bon marché», précise Thomas Sigrist.
Nul ne sait encore dans quelle mesure les tests de l’haleine pourront réellement remplacer les examens plus invasifs. Dr Zenobi concède que certaines maladies sont plus facilement identifiées par la détection de l’ADN ou de grosses protéines présentes uniquement dans le sang. «Dans ce contexte, il faut trouver pour chaque maladie le meilleur biomarqueur et la méthode de diagnostic la plus adaptée. Mais, dans le futur, il s’agira dans de nombreux cas de l’analyse de l’haleine.»
1 Groupement de recherche Zurich Exhalomics: www.exhalomics.ch
2 Start-up Alivion: www.alivion.ch
3 Start-up Deep Breath Intelligence: www.dbi.ch
4 Start-up Avelo: www.avelolife.com