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Sans soins de base, les coûts vont exploser
Collaborateur indépendant, medswiss.net, Association suisse des réseaux de médecins
Soins de base La médecine de premier recours pourrait aider là où le système de santé suisse est en difficulté: Elle permet de réduire les coûts et est bien coordonnée. Mais son potentiel est encore trop peu exploité, estiment les participants du Meeting 3C à Davos.
Le Meeting 3C («Community of Coordinated Care») à Davos a réuni près de 80 spécialistes de la médecine de premier recours sous l’égide de medswiss.net les 28 et 29 octobre 2022, pour discuter de la manière dont les médecins de famille peuvent assurer durablement des soins médicaux coordonnés de haute qualité en Suisse à des coûts supportables. Des représentantes et représentants de réseaux de médecins et de cabinets médicaux, de sociétés d’exploitation, d’assurances ainsi que d’associations politiques y ont participé.


© Werner Maeder
Un système de santé malade
Le système de santé suisse a des défaillances à tous les niveaux et a besoin de soins coordonnés. Mais cela semble difficilement applicable, compte tenu du contexte économique et du système politique de notre pays. Entre querelles sur les tarifs, contrôle de l’État, domaines d’influence traditionnels et habitudes qui se sont figées, ce patient risque de perdre l’un des meilleurs traitements: la prise en charge et les soins éprouvés de médecins de famille expérimentés, capables de résoudre eux-mêmes près de 80% des problèmes médicaux.
Le rôle central des soins coordonnés
La conseillère nationale Ruth Humbel a expliqué au colloque tout ce que nous pourrions économiser rien qu’en supprimant les inefficacités: le manque de coordination des prestations nous coûte trois milliards de francs, la demande indexée sur l’offre un à deux milliards de plus et ce que l’on appelle l’aléa moral environ deux milliards.
Elle confirme que les réseaux de médecins bien structurés, avec coresponsabilité budgétaire, réduisent lesdites inefficacités en coordonnant les soins et en évitant les thérapies inutiles. Ils permettent des économies corrigées des risques de 15 à 20%, tout en offrant une meilleure qualité de traitement.
Dans son exposé liminaire: «Assise des soins ambulatoires? Sans soins de base, les coûts vont exploser», le Dr méd. Wolfgang Czerwenka, président du conseil d‘administration d’argomed Ärzte AG, a d’ailleurs souligné que le modèle des médecins de famille est un modèle d’assurance, mais aussi de soins qui:
– garantit l’accès à un médecin de famille;
– résout 80% des problèmes médicaux;
– garantit une orientation correcte et coordonnée tout au long de la chaîne de soins;
– assure une revue, une documentation, une interprétation et surtout une évaluation régulière des résultats d’examen
– et ce, tout au long de la vie d’une personne.
De nombreux éléments laissent toutefois penser que le rôle que jouent la médecine de famille et plus particulièrement le travail de coordination des réseaux de médecins de famille dans la réduction des coûts est mésestimé à l’heure actuelle.
La sphère politique doit renforcer les soins coordonnés, sans toutefois recourir à une réglementation par l’État. Yvonne Gilli, présidente de la FMH, a évoqué ce point sensible du deuxième volet de mesures visant à maîtriser les coûts de la Confédération dans son exposé: lorsque les exigences politiques parlent de «réseau», il s’agit en fait d’augmenter l’administration gouvernementale (articles 37a et 48a de la Loi fédérale sur l‘assurance maladie [1]) et tout porte à croire que l’État s’oriente peu à peu vers un pilotage total.
Renforcer la médecine de famille
Il faut une concurrence entre les modèles de qualité et non une concurrence entre les modèles d’économies de primes, a expliqué Anne Sybil Götschi, présidente de medswiss.net. Et d’ajouter que les soins coordonnés par les médecins de famille sont la principale mesure pour garantir la qualité et une médecine attentive aux coûts. Elle repose depuis des années sur une base volontaire pour les médecins, les assurances et la patientèle. Ce système a largement fait ses preuves.


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La solution en cinq points
Les réseaux de médecins bien structurés avec coresponsabilité budgétaire, comme il en existe dans toutes les régions de Suisse, sont confrontés à un défi de marketing. Il est prouvé que les modèles coordonnés offrent des prestations médicales de meilleure qualité que les solutions conventionnelles, tout en affichant des coûts inférieurs de 15 à 20% à l’heure actuelle. Malheureusement, les assurances les vendent comme de simples modèles d’économies. Ils partagent leur place avec les innombrables modèles sans contrat, parmi lesquels la télémédecine et les modèles de listes, dont les économies attestées sont limitées. Or, les modèles d’économies sont généralement associés à une qualité moindre. C’est comme si Migros devait démontrer que sa gamme «M-Budget» est de meilleure qualité que ses produits «Selection».
C’est un gros problème pour les modèles de qualité, a expliqué le docteur Leander Muheim, parce que les modèles «parasites»:


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– orientent leurs assurés vers des cabinets de médecine de famille coordinateurs, qui doivent les prendre en charge malgré des capacités limitées. Ils sapent ainsi la compétitivité de leur propre modèle;
– renforcent l’impression que le choix du modèle d’assurance alternatif n’a pas d’importance;
– sollicitent les soins coordonnés sans augmenter la demande correspondante;
– affaiblissent les modèles alternatifs d’assurance en tant qu’instrument de qualité et d’efficacité qui influe sur les soins.
Pour Leander Muheim, les organisations et réseaux de médecins des modèles d’assurance alternatifs ont le devoir de mobiliser leur «patientèle malade» bénéficiaire de prestations en faveur de leurs produits et de donner plus d’importance aux véritables modèles de médecine de famille sur le marché.
Il présente une issue à ce défi de marketing avec le modèle Medical Home:
– qualité plutôt que quantité: faire connaître la qualité;
– relation personnelle et continue avec le médecin, qui garde une vue d’ensemble et coordonne les prestations;
– accès au médecin de famille garanti par contrat: communiquer les modèles d’assurance adaptés à la patientèle et lui accorder un accès privilégié;
– communiquer les capacités d’accueil des cabinets pour la vente.
Numérisation judicieuse
Selon une étude de McKinsey et de l’EPF de Zurich, la numérisation du système de santé permettrait d’économiser environ 10% des coûts [2]. Mais la Suisse a un grand retard à rattraper dans ce domaine.
Le conseiller national Andri Silberschmidt demande que, pour toutes les mesures de numérisation des pouvoirs publics, ceux-ci se contentent de fixer les normes, comme pour la construction des autoroutes, c’est-à-dire que l’État définit les règles nationales et que le secteur privé s’occupe ensuite de les mettre en œuvre. Pour le dossier électronique du patient (DEP), cela impliquerait par exemple que la Confédération supprime le double caractère facultatif, assure l’infrastructure de base et crée des interfaces ouvertes afin de préserver sa neutralité sur le plan de la concurrence.


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Manifeste pour la digitalisation
Le public du colloque était incontestablement intéressé par les solutions numériques, à condition qu’elles simplifient aussi les procédures et améliorent l’efficacité des prestataires au quotidien.
Dans l’esprit d’un «manifeste des prestataires pour la mise en œuvre de stratégies de numérisation», les personnes participant au colloque ont donc formulé les exigences suivantes à l’égard des nombreuses solutions indépendantes qui voient actuellement le jour:
– Les offres doivent apporter des avantages. Il s’agit en premier lieu d’un plan de médication intégré, de la liste des diagnostics et de l’échange de données de laboratoire.
– Les offres doivent avant tout viser à simplifier les processus, non à améliorer l’expérience de la patientèle.
– Elles doivent être ouvertes à tous et reposer sur une interface standardisée obligatoire.
– Les dépenses liées à l’introduction de systèmes imposés par l’État, comme le DEP, doivent être prises en compte dans la rémunération des acteurs.
– La responsabilité des données partagées doit être clairement réglementée.
Promouvoir la médecine de famille
La grande majorité de la population souhaite un médecin de famille et la Suisse en formera suffisamment dans les années à venir selon Dr méd Felix Huber, président de mediX suisse [3, 4],. Il a toutefois rappelé l’importance «d’augmenter l’attractivité de la médecine de premier recours en sorte que la plupart souhaitent devenir médecin de famille, pédiatre ou psychiatre à la fin de leurs études. Il faut en outre leur donner envie de travailler dans de nouveaux cabinets collectifs à la campagne.»


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Felix Huber a appelé les cantons à consacrer la plus grande partie de leurs fonds de formation postgraduée à la médecine interne générale et aux postes d’assistants de médecins de famille. Il faut également augmenter les postes d’assistants en milieu rural cofinancés par les pouvoirs publics et les cours de médecine générale pendant les études.
Conclusion en cinq thèses
À la fin de la manifestation, Felix Huber a présenté une conclusion en cinq thèses.
1. Les réseaux de médecins mettent en évidence les avantages du modèle Medical Home. Ils se profilent par l’exclusivité de l’accès à la médecine de famille et font connaître leur travail de qualité. «La certitude d’avoir un médecin de famille est un privilège.»
2. Égalité des chances dans la LAMal 41.4 et la libéralisation des primes OAMal 101
2e volet de mesures: pas de soins coordonnés réglementés par l’État; les art. 35 et 37 doivent être supprimés.
3. Introduire rapidement l’EFAS et le TARDOC.
4. La médecine de famille/les soins de base (MIG, médecins praticiens, pédiatrie, pédopsychiatrie) doivent être exclus des critères d’autorisation, à la fois au regard de l’expérience de trois ans et du contingentement.
– La Confédération doit renoncer au critère de lacune en matière d’offre pour les médecins de famille.
– La totalité de l’expérience de trois ans doit dès à présent aussi pouvoir être acquise dans les cabinets de médecine de premier recours.
5. Renforcer la médecine de famille
– Cantons: concentrer l’offre d’assistanat en milieu hospitalier sur la MIG, développer massivement les programmes d’assistanat dans les cabinets de médecine de famille.
– Réseaux: participer à des programmes d’assistanat et à des modèles de cabinets médicaux, mettre en évidence l’attractivité du cabinet médical rural.
La manifestation a une fois de plus souligné l’importance pour le système de santé suisse des soins médicaux de base assurés par une médecine de famille coordonnée. Ils contribuent fortement à une qualité élevée au coût supportable. Avec de bonnes conditions politiques, ce pilier du modèle de santé suisse continuera de jouer son rôle dans l’amélioration de la qualité des soins et des traitements et dans la réduction des coûts.
Références
1 https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2022/2428/fr
2 www.mckinsey.com/ch/our-insights/digitization-in-healthcare
3 www.obsan.admin.ch/fr/publications/2021-zukunftige-ambulante-grundversorgung-einstellungen-und-praferenzen-der
4 shk.ch/images/news/HSR20220224_313-3f_Schlussbericht_SPHM_272-21.pdf
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