Un hôpital régional innove en matière de formation

Organisationen
Édition
2023/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21123
Bull Med Suisses. 2023;104(03):38-40

Affiliations
a Ancien médecin-chef, Reparto di chirurgia, Ospedale della Carita; b Médecin-chef à la clinique de chirurgie, hôpital Oberengadin; c CEO, hôpital Oberengadin; d Médecin-assistante à la clinique de chirurgie, hôpital Oberengadin; e Ancien directeur de la clinique de chirurgie traumatologique, hôpital universitaire de Zurich

Publié le 17.01.2024

Modèle de formation L’hôpital Oberengadin veut mieux soutenir ses médecins-assistants. C’est pourquoi deux médecins-chefs à la retraite les accompagnent désormais en tant que mentors. Les apprentis en profitent autant que les médecins cadres. Nous avons réuni les avis des personnes concernées.
La formation de médecin-assistant est officiellement considérée comme bonne en Suisse. Selon le sondage annuel de la FMH et l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM), l’évaluation globale des 745 questionnaires analysés pour la chirurgie a obtenu la note de 4,5 en 2021 [1]. Autrement dit, il existe un certain potentiel d’amélioration. Même si l’évaluation par les médecins-assistants eux-mêmes est subjective, les connaissances acquises peuvent être considérées comme représentatives avec un taux de réponse de 70%. Il est indéniable que les nombreuses tâches que doivent remplir les hôpitaux (prise en charge des malades au sens du mandat de prestations, obligations de formation, respect du budget) relèvent souvent de la «mission impossible».
En 2021, les 1100 postes de médecins-assistants en chirurgie dans toute la Suisse étaient occupés par 700 futurs médecins spécialistes. De nombreux hôpitaux, surtout dans les régions frontalières, ne fonctionnent depuis des années que grâce à l’aide de confrères étrangers. À cela s’ajoute le problème du manque d’intérêt pour les postes de formation en périphérie.
La région autour de l'hôpital Oberengadin attire de nombreux touristes - mais peu de médecins assistants. Un projet de mentoring entend y remédier.

Une alternative au modèle classique

Selon Frank et al., l’objectif d’une bonne formation est la transmission de compétences [2]. Une bonne formation assortie d’une transmission de compétences dépend en grande partie des mentors. Le recours à des médecins-chefs émérites est une possibilité peu envisagée jusqu’à présent et encore moins mise en pratique. Partant de ce principe, nous avons débuté un projet pilote à la clinique de chirurgie de l’hôpital régional Oberengadin à Samedan: deux médecins-chefs émérites sont présents environ dix jours par mois: ils n’ont aucune activité en salle d’opération, et sont donc entièrement disponibles pour les urgences. Chaque patient est pris en charge en collaboration avec le médecin-assistant responsable. Les médecins-cadres peuvent dès lors se concentrer pleinement sur leur travail en salle d’opération, sans devoir sans cesse gérer des préoccupations et problèmes relevant des urgences. Cela permet de diminuer significativement le temps d’attente au service des urgences, tout en augmentant la qualité de prise en charge des patientes et patients.

Vers une philosophie de la formation

La formation post-universitaire, en particulier dans le domaine de la chirurgie, comporte, entre autres, trois compétences majeures sur lesquelles on lésine trop souvent aujourd’hui: l’argumentation clinique, le maniement pratique et la communication professionnelle [3]. Les débutants surtout se trouvent entravés par les quatre dangers principaux que représentent la digitalisation, la technicité, la spécialisation et l’économisation du traitement professionnel-expéditif des patientes et patients. À cela s’ajoutent la prolifération des tâches administratives, le flot de publications et des patientes et patients toujours plus complexes et exigeants. Les médecins-assistants travaillent au front aux urgences et dans les services. Ils s’y retrouvent souvent livrés à eux-mêmes. Nous savons tous qu’il est possible de tirer des enseignements tout à fait durables des erreurs, mais il faut pour cela avoir une culture de l’erreur [4].
Chaque personne qui se présente aux urgences ou en consultation de suivi est immédiatement évaluée par l’assistant responsable. Les mentors enseignent aux assistants certains gestes propres aux urgences comme remettre en place une articulation, soigner les plaies, poser un drain thoracique, etc. Parallèlement à la prise en charge des urgences, de brefs exposés sont proposés chaque mois sur des thèmes actuels sélectionnés et permettent de discuter des cas de manière interactive. Il y a également des discussions des cas sur le modèle SESAP du Collège américain de chirurgiens [5].

Le point de vue d’une médecin-assistante

Helena Schmidt: Je pense que le concept de formation faisant appel à des médecins-chefs retraités avec une longue expérience clinique dans l’admission des urgences est très enrichissant pour plusieurs raisons. Savoir que des collègues expérimentés sont présents physiquement en continu la journée ou peuvent être joints sans problème la nuit m’apporte une grande sécurité au quotidien et me permet de travailler avec moins de stress et donc d’être beaucoup plus concentrée et productive. Un autre aspect précieux qui en résulte est que les patientes et patients peuvent être évalués sur le plan clinique avec moins de temps d’attente.
Le grand avantage est que les médecins-chefs retraités encadrants ne sont pas impliqués de manière opérationnelle dans le quotidien de la clinique, qu’ils disposent de ressources importantes et qu’ils prennent le temps d’accompagner tranquillement, de manière didactique et pratique, les assistantes et assistants dans toutes les réflexions anamnestiques, cliniques et diagnostiques ainsi que dans les procédures nécessaires. Cela leur serait impossible avec un programme opératoire chargé, qui complique la discussion avec les patientes et patients, car le temps et la concentration sont limités en raison de la situation. Par ailleurs, les médecins-assistants de garde ne doivent pas quitter les urgences pour discuter avec les cadres. Ce concept facilite aussi le travail d’équipe avec le personnel soignant. Parallèlement à l’accompagnement dans la pratique clinique, je pense que les modules de formation continue théorique et pratique sont aussi utiles et bénéfiques.
Selon moi, ce concept améliore aussi bien la qualité de la formation des médecins-assistants que celle des soins.

Le point de vue du médecin-chef

Michel Conti: Diriger une clinique de chirurgie dans une région touristique aux paysages magnifiques et attrayants en périphérie de la Suisse constitue un défi immense. Nous sommes soumis à de fortes variations saisonnières. En hiver, la population de la vallée augmente de plus de 100 000 personnes en l’espace d’une semaine, devenant ainsi l’une des six plus grandes villes de Suisse.
Les périodes de vacances entraînent des charges de travail variables en plaine. Les dates des vacances sont connues à l’avance. Cependant, les conditions météorologiques et la situation politique et financière mondiale (cours de l’euro par rapport au franc suisse) ne sont pas de notre ressort.
Outre ces conditions cadres externes, nous avons de nombreuses autres exigences à gérer. Ainsi, il faut respecter le code du travail. La volonté d’opter pour une discipline chirurgicale diminue tandis que la recherche d’un bon équilibre travail/vie privée augmente. A cela s’ajoutent les exigences de formation continue de l’ISFM qui semblent progressives, mais toutefois difficiles à réaliser. Même les hôpitaux centraux qui disposent de plus de personnel connaissent des problèmes similaires.
Compte tenu du nombre de tâches d’un médecin-chef et de son cadre, il est difficile de s’occuper de manière cohérente de la formation continue des médecins-assistantes et assistants. Nous transmettons nos connaissances «en passant» car nous avons un contact direct avec nos médecins-assistants. Grâce à des amis, anciens médecins-chefs ayant de longues années d’expérience professionnelle et managériale, j’ai vu la possibilité de suivre une approche nouvelle pour la formation. D’une part pour proposer quelque chose à de jeunes médecins et utiliser l’expérience accumulée de médecins émérites, et d’autre part pour offrir un vrai avantage dans une région périphérique. Sans parler de la décharge que cela représente pour nous autres cadres.
Nous avons pu nous sortir relativement indemnes d’une situation d’urgence en matière de personnel, grâce à l’innovation et à des efforts extraordinaires. L’évaluation de nos expériences est toujours en cours et constitue un bon exercice de flexibilité et d’autodiscipline.

Le point de vue de la direction de l’hôpital

Christoph Jäggi: Le domaine des soins de santé est un environnement ultra dynamique. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de penser et d’agir en se focalisant sur l’avenir et les solutions.
Pour notre établissement, l’hôpital de soins aigus situé le plus en altitude dans les Alpes, le défi consiste par exemple à recruter suffisamment de spécialistes diplômés et très motivés, tout en assurant une excellente formation de la jeune génération dans nos centres de formation et de perfectionnement. Par ailleurs, un grand nombre de nos patientes et patients ne souhaitent pas être soignés par des personnes en cours de formation mais par des spécialistes expérimentés. Dans ce contexte, nous devons donc pouvoir proposer des approches innovantes afin de répondre aux besoins des uns et des autres - le besoin de formation continue d’excellence et le souhait de prise en charge par un spécialiste de qualité.
En collaboration avec une équipe de chirurgiens hautement qualifiés, qui viennent de mettre fin à leur carrière et ont choisi de se consacrer complètement à l’enseignement désormais, nous testons le concept de «Clinical Reasoning». De jeunes médecins-assistantes et assistants inexpérimentés en chirurgie se verront soutenus et formés aux processus de réflexion, d’action et de décision cliniques adaptés dans le cadre de leur travail quotidien, directement au service des urgences.
Grâce à l’argumentation logique et critique et aux discussions interactives des cas, les actions pratiques mais aussi la communication avec les patientes et patients s’en trouvera durablement améliorée. Nos médecins-cadres du service de chirurgie bénéficieront aussi de cette situation, puisqu’ils pourront mieux répartir leur temps grâce au soutien des médecins émérites.

Le point de vue des mentors

Paul Biegger et Hans-Peter Simmen: Notre activité dans un hôpital d’une région touristique soumise à de fortes variations saisonnières et à des fréquentations parfois élevées peut avoir un effet rassurant et motivant. Elle est très appréciée des cadres, des assistantes et assistants, le personnel soignant et des patientes et patients, qui nous en ont fait part spontanément à plusieurs occasions, et elle a permis de surmonter les périodes de pénurie de personnel. Nous autres médecins émérites n’entretenons pas des conflits de rivalité avec nos confrères, ce qui contribue à une atmosphère de travail extrêmement agréable.
Nous nous efforçons en outre de suivre la recommandation de Hauke Lang, président de la Société allemande de chirurgie: le meilleur investissement dans la nouvelle génération de chirurgiens est un enseignement qui donne envie de poursuivre cette spécialité. Nous devons parvenir à fasciner les jeunes pour la chirurgie, pas seulement avec des mots, mais en les accompagnant au quotidien [6]. Enfin, un autre avantage non négligeable est que nos jeunes confrères et consœurs peuvent ainsi bénéficier du réseau des «anciens».

L’essentiel en bref

À l’hôpital régional Oberengandin, deux médecins-chefs à la retraite soutiennent les médecins-assistants en chirurgie en tant que mentors dans leur quotidien clinique et en leur proposant des formations continues spécialisées.
Sans pression opératoire, les mentors peuvent accompagner les médecins-assistantes et assistants en formation à chaque étape du traitement des patientes et patients. Cela permet également de soulager les médecins-cadres.
L’hôpital a ainsi pu améliorer la qualité de la formation et augmenter son attractivité en tant qu’employeur.
2 canMEDS Framework 1996 revidiert 2005 und ZHAW, professionsspezifische Grundsätze canMEDS Framework 1996 revidiert 2005. Frank J.R. et al.canMEDS Physican Competency Framework. Royal College of Physicians and Surgeons of Canada. Creative Education. Vol.9, No8, June 2019. ZHAW, professionsspezifische Grundsätze
3 (Olle ten Cate. History, Present and Future of CBME and Epa’s. Annual Plenary Meeting of Swiss Institute for Medical Education. Bern, Nov.25, 2021
4 Kapur M, ETH Departement of Humanities, Productive Failure for Deep Learning. Keynote at the Forum of the Swiss Science Education Association, St. Gallen. March 2022.
6 Lang Hauke. Präsidentenrede, 139. Kongress der Deutschen Gesellschaft für Chirurgie. Passion Chirurgie, 06, 11, 2022, 43-47