Entre inquiétudes et intuitions

Organisationen
Édition
2023/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21021
Bull Med Suisses. 2023;103(06):33-34

Affiliations
Dr méd., spécialiste en médecine interne générale

Publié le 08.02.2023

Conseil vaccinal Le groupe de travail sur les vaccinations différenciées (Arbeitsgruppe für differenzierte Impfungen) a été dissous fin 2022, après 35 ans d’existence. Son objectif était de recentrer le conseil vaccinal sur la patientèle en Suisse et de rendre la promotion de la vaccination plus réfléchie.
Les polémiques liées à l’introduction de vaccins ne datent pas d’hier. En 1978, lors de sa conférence mondiale, l’OMS a fixé l’objectif de la «santé pour tous en l’an 2000» [1]. Dans son sillage, la Suisse a lancé en 1987 la «campagne d’éradication» [2] des maladies infantiles que sont la rougeole, les oreillons et la rubéole. Beaucoup de médecins l’ont jugée douteuse sur les plans immunologique, épidémiologique et social, 150 collègues ont adressé une lettre ouverte à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Le groupe de travail en Suisse alémanique était né. Un an plus tard, il était rejoint par son homologue romand. Au tournant du millénaire, il comptait près de 500 membres (passifs).
Quels sont les effets des vaccinations lors des premières années de vie sur le développement des enfants? Cette question reste en suspens, selon l’auteur.
© Konstantin Yuganov / Dreamstime

Vaccination ROR controversée

Le directeur de la santé du canton de Berne, Kurt Meyer, s’est saisi des questions en suspens soulevées par le groupe de travail, et a conclu que «la simplification de l’argumentation pour la propagande nationale dans tous les cercles de population exige des informations plus nuancées» [3]. Il a chargé l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne de réaliser la fameuse étude «Die Impfstrategien gegen Masern, Mumps und Röteln (MMR-Impfung) im Lichte der epidemiologischen Literatur» (Les stratégies de vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (vaccination ROR)) à la lumière de la littérature épidémiologique). Celle-ci a conclu que «l’éradication», notamment de la rougeole, «n’est pas vraiment un objectif réaliste» et qu’il existait donc un risque d’apparition dangereuse de la maladie à un âge plus avancé. Elle retenait que «par manque de connaissances, la question des effets à long terme des vaccinations ne peut être évaluée à ce jour» [4]. Le groupe de travail a estimé qu’il était impératif de tenir compte de ces incertitudes graves sur les plans épidémiologique et social dans le conseil vaccinal. Son objectif déclaré dans la première brochure destinée aux parents était «d’épauler les parents qui souhaitent prendre une décision de vaccination responsable. La connaissance des informations officielles sur la campagne de vaccination est un prérequis» [5].
L’engagement du groupe de travail en matière de vaccination consistait donc à mettre en regard les doutes et les réserves souvent purement instinctifs de nombreuses personnes et les connaissances scientifiques. Il s’agissait de faire une évaluation critique des études sur la vaccination et de participer aux auditions de l’OFSP et aux formations spécifiques. Ces doutes étaient très répandus, notamment lors du lancement de la campagne pour la couverture vaccinale ROR. Lors d’une audition à l’OFSP en 1994, Sam Katz, alors directeur de l’Advisory Committee for Immunization Practices du Centers for Disease Control (CDC), a par exemple déclaré que «l’éradication» de la rougeole était une «campagne dangereuse», parce qu’elle devait être terminée dans les cinq ans pour éviter une récidive d’épidémie[6]. Le groupe de travail a publié ses recherches dans de nombreux ouvrages, parmi lesquels les six premières éditions du guide de vaccination de la Fondation pour la protection des consommateurs [7]. Il a également mis à la disposition des parents des informations sur son site www.impfo.ch afin de les aider à se forger leur propre opinion. Celui-ci faisait encore partie des «200 meilleurs sites internet de Suisse» du magazine anthrazit en 2007, mais ne répond désormais plus aux habitudes des utilisatrices et utilisateurs. Il a cessé son activité fin 2022.

La difficile évaluation des risques

Par essence, la vaccination s’accompagne toujours d’une controverse. Il s’agit en effet d’une atteinte à l’intégrité physique dont le but (et la justification légale) est de prévenir des maladies potentiellement graves et dangereuses. L’évaluation des risques joue donc un rôle déterminant. Mais c’est aussi une question très personnelle, qui ne s’appuie pas toujours sur des preuves de bénéfices. Le vaccin contre le tétanos est par exemple toujours recommandé du fait de la gravité de la maladie, ce qui est compréhensible, bien que le nombre de sujets à traiter (NST) soit probablement très élevé à l’heure actuelle.
La campagne de 1987 visait en revanche «l’éradication» de la rougeole, des oreillons et de la rubéole, des maladies infantiles «classiques». Les experts avaient averti que la couverture vaccinale nécessaire d’au moins 95% devait être réalisée en quelques années afin de prévenir de dangereuses flambées épidémiques. Autrement dit, il fallait obtenir le consentement de tous les parents, l’appréciation personnelle ne suffisait plus. C’était d’autant plus difficile qu’à l’époque, de nombreux parents et médecins n’avaient pas perçu la rougeole, les oreillons et la rubéole infantiles comme dangereuses et les jugeaient au contraire souvent utiles au regard de l’augmentation des allergies et des maladies auto-immunes ou même des cancers [8]. Cela avait même donné lieu à l’une des premières études indépendantes de médecins de famille en Suisse: une étude cas-témoins sur 390 patients atteints de carcinome dans 35 cabinets [9]. Elle a révélé que le risque de cancer, surtout pour les cancers non mammaires, était inversement proportionnel au nombre de maladies infantiles contractées, notamment la rubéole, et a incité les chercheurs à poursuivre leur réflexion sur l’immunologie du cancer [10].

Shared decision making

La crise du coronavirus n’a que trop confirmé qu’il reste des questions médicales, épidémiologiques et sociales en suspens concernant les vaccinations. Nos directives officielles sont de prendre au sérieux les réserves, les doutes et les craintes des parents et d’en tenir compte dans les discussions sur la vaccination, tout en évitant les polarisations stériles. Un article paru en avril 2022 dans le BMS évoquait le fait que le «shared decision making» devait être pris au sérieux dans le domaine de la vaccination: «Les parents qui posent des questions critiques à ce sujet [sont] trop souvent considérés comme des patients difficiles» [11]. Et Ursina Pally Hofmann, ex-responsable du service juridique de la FMH, précisait dans son article sur l’information sur la vaccination fin 2020: «D’une manière générale, il faut fournir au patient les informations nécessaires sur la nature de la vaccination envisagée et les risques liés, pour qu’il puisse donner son consentement en connaissance de cause. […] Lorsque tous les risques et effets secondaires du vaccin ne sont pas connus, il faut également en informer le patient» [12]. L’arrêt correspondant du Tribunal fédéral stipule en outre que «l’information ne doit cependant pas provoquer un état d’anxiété préjudiciable à sa santé» [13]. De fait, les médecins suisses sont les seuls au monde à pouvoir facturer de manière adéquate les entretiens de vaccination.
La controverse sur le thiomersal a montré que la participation des parents à la réflexion peut aussi être à l’origine de progrès importants en vaccinologie. Pendant des décennies, les parents et les associations de patients ont mis en garde contre les dommages potentiels causés par le thiomersal, qui contient du mercure [14] avant le jour où , Neal Halsey, alors directeur de l’Institute for Vaccine Safety à la John Hopkins School of Hygiene and Public Health de Baltimore soit tourmenté en 1999 par l’idée d’avoir «nui à toute une génération d’enfants» [15]. En quelques mois, la Food and Drug Administration (FDA), l’American Academy of Pediatrics (AAP) et l’Agence européenne des médicaments (AEM) ont obtenu le retrait du thiomersal de tous les vaccins [16].

Questions en suspens

Le groupe de travail n’a pas pu rendre la promotion de la vaccination plus réfléchie. Lorsque nous l’avons dissous fin 2022, alors qu’en Allemagne, les «Ärztinnen und Ärzte für individuelle Impfentscheidung» (médecins en faveur d’une décision de vaccination individuelle) poursuivaient leur travail et l’exploitation de leur site [17], nous étions conscients que des questions clés sur les vaccinations restaient sans réponse. Existe-t-il, comme pour la recherche sur la polypharmacie, des études suffisantes sur une possible survaccination de notre société (principe «less is more» pour les vaccins )? Ne faudrait-il pas réaliser des études au long cours pour répondre aux questions en suspens sur les éventuels effets à long terme des vaccins? Quelles sont les conséquences de deux douzaines de vaccins dans les premiers mois de vie sur le développement ultérieur de nos enfants? Et, si nous prenons le service juridique de la FMH au sérieux, remplissons-nous correctement notre obligation d’information lorsque, pour un rappel antitétanique, nous injectons deux autres vaccins sans explications supplémentaires, faute de disponibilité du monovaccin?
1 OMS. Déclaration d’Alma Ata. Genève 1978.
OMS. Déclaration de Riga. Genève 1988.
2 Office fédéral de la santé publique. Campagne de vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR). OFSP-Bulletin 1987;8:60-65.
3 Meyer Kurt. Differenzierte Impfstrategie. Décision de la direction de la santé du canton de Berne du 01.12.1987.
4 Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale du canton de Berne. Die Impfstrategien gegen Masern, Mumps und Röteln (MMR-Impfung) im Lichte der epidemiologischen Literatur. Berne 05.12.1988.
5 Ärzte-Arbeitsgruppe für differenzierte MMR-Impfungen. Warum die Eltern mitentscheiden sollen. 1re à 4e éditions 1988-1994.
6 Katz S. Goals of the vaccination against measles, mumps and rubella. Should and can they be redefined from disease elimination to complication reduction. Audition d’experts OFSP sur les questions relatives à la vaccination ROR en Suisse. Berne 15.09.1994.
7 Fondation pour la protection des consommateurs. Guide Impfen – Grundlagen für einen persönlichen Impfentscheid. 1re à 6e éditions 2000-2006.
8 Fondation pour la protection des consommateurs. À l’endroit cité.
Simonetta Sommaruga, Jacqueline Bachmann. Impfungen – viele Fragen, unterschiedliche Einschätzungen. BMS 2005;86, 14:818-19.
9 Albonico H, Bräker H, Hüsler J. Febrile infectious childhood diseases in the history of cancer patients and matched controls. Medical Hypotheses. 1998;51:315-20.
10 Hoption Cann S A, van Netten J P, van Netten C. Acute infections as a means of cancer prevention: Opposing effects to chronic infections? Cancer Detection and Prevention. 2006;30:83-93.
Finn O J. Cancer Immunology – Molecular origins of cancer. NEJM 2008;358:2712.
11 Mell E. Mieux comprendre le vaccino-scepticisme au lieu de le diaboliser. BMS 2022;103(14):480-481.
12 Pally Hofmann U. Vaccin COVID-19: information au patient et capacité de discernement. BMS 2021;102(05):185-9.
13 ATF lb197.
14 OMS. Guidelines on regulatory expectations related to the elimination of thiomersal in vaccines. Technical Report Series Nr. 926 01.01.2004.
15 Arthur A. The Not-So-Crackpot Autism Theory. New York Times Magazine 10.11.2002.
16 Halsey N A. Limiting Infant Exposure to Thiomersal in Vaccines and other Sources of Mercury. JAMA 1999;282:1763-6.
CDC: Thiomersal in Vaccines: A Joint Statement of the American Academy of Pediatrics and the Public Health Service. MMWW 09.07.1999;48:26.