La médecine ne cesse de progresser, ne la freinons pas

Leitartikel
Édition
2022/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21345
Bull Med Suisses. 2022;103(5152):26-27

Publié le 21.12.2022

Rétrospective annuelle Une fois de plus, la fin de l’année est arrivée plus vite que prévu. La dernière semaine de l’année est traditionnellement une période propice pour faire le point sur sa situation personnelle et se prête à une rétrospective et à l’élaboration de projets d’avenir. Étant au bénéfice de plus de 25 ans d’expérience professionnelle dans le domaine de la santé, je me permets d’élargir légèrement la période considérée.
Une expérience vécue cette année m’a clairement montré à quel point regarder en arrière peut être précieux pour la définition de nouvelles perspectives d’avenir. Dans le cadre de la sortie annuelle des collaboratrices et collaborateurs de la FMH, nous avons visité la collection médicale de l’Hôpital de l’Île à Berne. Les objets qui y sont présentés illustrent l’évolution considérable qu’a connu la médecine et les bénéfices qu’elle apporte à toutes celles et ceux qui nécessitent une aide médicale. En observant ces tables d’opération, respirateurs, poumons d’acier et couveuses d’un autre temps, on s’imagine à quel point les traitements de l’époque devaient être pénibles et risqués pour les patientes et les patients. Nous pouvons nous considérer comme chanceux de vivre à notre époque.

La médecine ne cesse de progresser

Il est également intéressant d’apprendre que les exigences quant à la sélection des objets médico-historiques ont aujourd’hui changé. Les progrès se succèdent à un rythme toujours plus élevé, si bien qu’il est de plus en plus difficile de décider parmi les nombreux objets lesquels doivent être intégrés à la collection. Cette évolution à grande vitesse est bien illustrée par l’histoire du stimulateur cardiaque: le premier modèle entièrement implanté a été posé en 1958 à Stockholm sur un ingénieur de 43 ans, Arne H. W. Larsson. En 2019, 7490 personnes, généralement âgées de plus de 60 ans, ont fait l’objet dans 74 hôpitaux suisses d’une primo-implantation ou d’un changement de stimulateur parmi un grand choix de modèles [1]. Contrairement à Arne H.W. Larsson, qui a dû changer 26 fois le sien jusqu’à sa mort à l’âge de 86 ans, les personnes traitées bénéficient aujourd’hui de stimulateurs plus durables, plus petits et plus faciles à poser. L’accélération du développement ne concerne pas exclusivement la technique médicale et ne se manifeste pas uniquement dans les objets pouvant être archivés. Le volume des connaissances - et notamment des connaissances médicales - a considérablement augmenté et cette hausse est de plus en plus rapide. Alors qu’en 1950, il fallait 50 ans à l’humanité pour doubler ses connaissances, ce délai n’était plus que de 7 ans en 1980, d’à peine 4 ans en 2010 et est estimé aujourd’hui à environ 70 jours [2].

Plus de spécialisation

Le volume des connaissances est tel que même des personnes au bénéfice d’une très bonne formation et d’une formation postgraduée de haut vol ne peuvent acquérir qu’une partie de ces connaissances de manière suffisamment approfondie pour pouvoir en faire usage dans le traitement de leurs patientes et patients. Il en résulte une spécialisation croissante de la médecine, comme nous pouvons l’observer dans tous les pays développés, ce qui augmente les chances de voir les maladies diagnostiquées et bien traitées. Mais celle-ci s’accompagne également de l’émergence de nouveaux défis concernant la collaboration entre les professionnels de la santé et augmente le niveau d’exigence envers le travail des médecins de premier recours. Ces derniers sont toujours en mesure de traiter la plupart des problèmes de santé, mais ils doivent désormais également gérer des traitements de plus en plus complexes.

Démultiplication des possibilités

Pouvoir soigner aujourd’hui ce qui ne se soignait pas autrefois combiné à l’amélioration des méthodes de traitement permettant de traiter des cas qui étaient trop risqués par le passé augmente le nombre de traitements. Ce qui est souvent stigmatisé par la politique comme une «démultiplication des volumes» n’est donc pas forcément toujours un problème - mais fait aussi partie des avancées dont nous bénéficions, comme le montre parfaitement l’exemple du stimulateur cardiaque.

Vie plus longue et qualité de vie

Prendre du recul peut souvent aider à réaliser à quel point nos perspectives sont étriquées. Un regard en arrière nous permet de prendre conscience des progrès et des bénéfices qu’ils apportent. Aujourd’hui, nous arrivons à prévenir un nombre nettement plus important de problèmes de santé et à traiter davantage de maladies à la faveur de beaucoup plus de personnes que par le passé. Une petite partie de ces progrès est illustrée par un graphique de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) qui montre l’évolution du nombre d’années de vie perdues prématurément [3] (le code QR à la fin du texte permet d’accéder au graphique en ligne). Cet indicateur rend compte des décès survenus avant 75 ans. En 1998, les décès précoces ont fait perdre plus de 5000 années de vie pour 100 000 habitants, en 2020, ce chiffre a été réduit de plus de 2000 ans.
D’autres progrès, comme l’amélioration sensible de la qualité de vie, sont difficilement quantifiables dans un graphique. La qualité de vie que nous gagnons grâce à l’apparition de nouveaux traitements ou à l’amélioration de ces derniers est cependant une valeur ajoutée fondamentale de notre système de santé. Il est également difficile de calculer la valeur économique de ces progrès, car une meilleure santé permet de maintenir sa capacité de travail, favorise la productivité, permet d’économiser des rentes d’invalidité et de survivants et, d’une manière générale, permet aux personnes d’être en pleine possession de leurs capacités afin de s’impliquer dans la vie sociale.

Garder une vue d’ensemble…

Or, tous ces aspects n’ont pas eu leur place dans les discussions sur la politique de santé, qui ont surtout tourné autour des coûts du système actuel. Il faut certes garder un œil sur leur évolution - également représentée dans le graphique - car même les meilleurs soins ne servent à rien si personne ne peut les payer. Nous n’en sommes cependant pas encore là et celles et ceux qui considèrent uniquement l’aspect des coûts occultent ce qui leur permettrait d’obtenir une tout autre vision d’ensemble.
Avec la LAMal, les milieux politiques ont le mérite d’avoir généralisé l’accès de la population à des soins de santé de haut niveau et d’assurer la répartition sociale des charges grâce à des mécanismes tels que la réduction des primes. En créant les conditions-cadres pour une concurrence réglementée, ils ouvrent la voie à une prise en charge médicale des soins de santé bénéficiant de la maîtrise des coûts et de la qualité. En revanche, lorsque la réglementation étatique va nettement plus loin et veut - comme on l’a vu l’année dernière - prescrire dans les moindres détails la collaboration des professionnels de la santé ou les conventions tarifaires, le progrès et l’innovation sont inévitablement freinés.

…et laisser une place à l’innovation

Que nous apprend cette rétrospective? Notre système de santé est une véritable histoire à succès qui offre toujours plus (et plus vite) aux personnes assurées, aux patientes, aux patients et à notre société. Ne la freinons pas mais attelons nous à des conditions cadres qui lui permettent de se développer de manière optimale et offrent une marge de manœuvre suffisante aux partenaires de la santé pour établir des formes de collaboration en phase avec notre époque.
1 Fondation pour la stimulation cardiaque et électrophysiologie. Statistique suisse des stimulateurs cardiaques 2019. http://www.rhythmologie-stiftung.ch/statistiken/stat_2019_pm_fr.pdf
3 Obsan. Années potentielles de vie perdues (APVP). https://ind.obsan.admin.ch/fr/indicator/obsan/annees-potentielles-de-vie-perdues