Transformation numérique du système de santé: gare aux chantiers

Quels sont les avantages du numérique? Le numérique permet l’intégration des nouvelles technologies dans le quotidien clinique et la mise en réseau efficace, appropriée et efficiente de tous les acteurs du système de santé. Avec lui, les données médicales pertinentes sont de grande qualité et peuvent être utilisées selon une routine afin d’optimiser les processus de diagnostic et de traitement et de garantir le meilleur résultat clinique possible pour les patientes et les patients. Et, dans l’idéal, il permet de réduire les coûts. La transformation numérique du système de santé reste cependant une tâche exigeante qui, au vu des effets souhaités, peut paraître irréaliste. La Confédération est en train de jeter les bases du développement de la numérisation en Suisse [1]: mettre sur pied une gestion nationale des données, créer des infrastructures appropriées, ouvrir l’ensemble des fournisseurs de prestations au numérique et sensibiliser la population aux compétences numériques en matière de santé. Comme pour la construction d’une maison, ces travaux se font étape par étape mais, cette fois, certains éléments ont dû être retravaillés avant que l’édifice puisse être remis clé en main à la population et aux fournisseurs de prestations. C’est pourquoi nous souhaitons que les fournisseurs de prestations soient largement associés aux travaux et consultés lorsqu’il s’agira de gérer les erreurs de construction.

Quelques années seulement après l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP), le Conseil fédéral a décidé de prendre des mesures pour diffuser le DEP [2]. Jusqu’à l’été 2022, seuls 11 000 DEP ont été ouverts en Suisse, dont plus de 80% en Suisse romande, et seul un tiers des hôpitaux étaient rattachés à une communauté de référence, malgré l’obligation inscrite dans la LDEP. La Confédération explique cette lente évolution par le fait que la population suisse ne connait pas bien le DEP, qu’ouvrir un dossier est fastidieux et que le financement des identités électroniques n’est pas résolu. Il s’agit maintenant de combler ces lacunes par une révision complète de la LDEP pour laquelle une procédure de consultation sera lancée l’année prochaine. Le projet de loi entrera en vigueur en 2027. Il prévoit une répartition claire des tâches et des compétences entre la Confédération et les cantons et règlera la question du financement. Il s’agira également de clarifier dans quelle mesure l’identification électronique (e-ID) reconnue par l’État pourra être utilisée pour accéder au DEP. Afin d’améliorer l’utilité du DEP, son infrastructure technique pourra être utilisée pour proposer des prestations complémentaires. De plus, et pour autant que les patientes et les patients y consentent, les scientifiques pourront également y avoir accès à des fins de recherche. Pour améliorer sa diffusion et son utilisation au niveau national, toutes les professionnelles et tous les professionnels de la santé du domaine ambulatoire devront être en mesure de s’affilier à un DEP et les patients en obtiendront automatiquement un, à moins qu’ils s’y opposent.

Pour la FMH, il est indispensable que le DEP soit utile aux patientes, aux patients et aux fournisseurs de prestations et ne génère pas de charges supplémentaires, mais offre une valeur ajoutée pour toutes les personnes impliquées.

Actuellement, les moyens d’identification électroniques pour accéder au DEP sont fournis par des organisations privées qui doivent être certifiées conformément à la LDEP. À terme, la Confédération souhaite changer cela en mettant à disposition les moyens d’identification pour accéder au DEP, ce qui inclut la connexion et l’authentification [3]. C’est là qu’intervient l’identité électronique étatique: des évaluations sont en cours pour identifier si celle-ci pourrait servir de carte d’identité numérique pour accéder au DEP. Contrairement aux organisations privées, les services de la Confédération qui fourniraient l’e-ID ne nécessiteraient pas de certification, ce qui, à terme, rendrait les moyens d’identification privés caducs.

Suite à la déroute de mesvaccins.ch, il a fallu trouver une solution de rechange sûre [4]. Il paraît donc logique d’intégrer le certificat de vaccination électronique dans le DEP, et ce, d’autant plus qu’eHealth Suisse, chargé de la conception de ce format d’échange avec le DEP, estime que son implémentation technique est aisée. En outre, les applications numériques qui soutiennent et améliorent la prise de médicaments par les patients sont également accueillies favorablement par le corps médical, la population et le monde politique [5, 6]. Actuellement, l’intégration d’un plan de médication électronique structurée dans le DEP est en cours d’évaluation. Ce sont toutefois les médecins traitants qui devront veiller à l’actualiser, car il ne peut pas être mis à jour automatiquement [7]. Dans ce domaine, il reste encore de la marge pour des améliorations.

En Suisse, quand on parle de numérisation du système de santé, on cite le DEP comme étant sa pierre angulaire. Or le DEP ne peut se développer que grâce aux patients et aux professionnels de santé qui le gèrent et fournissent les informations nécessaires. Pour l’instant, il semblerait que la saisie dans le DEP ne pourra pas se faire sans efforts supplémentaires ces prochaines années. Nous n’insisterons jamais assez sur le fait que le DEP ne sera une des clés de voute du système de santé numérique que lorsque l’infrastructure des données sera sécurisée et standardisée et qu’elle pourra être intégrée sans problèmes dans le dossier électronique du patient. Quelles sont les autres clés de voute dont nous avons besoin? Il est indispensable de mettre en place une gestion nationale des données qui permette d’utiliser et d’analyser selon une routine des données médicales pertinentes de qualité élevée. Optimiser les processus de diagnostic et de traitement et obtenir le meilleur résultat clinique possible pour les patients sont d’autres aspects essentiels de la prise en charge médicale. Le groupe spécialisé Gestion des données institué par le Département fédéral de l’intérieur (DFI) s’active depuis la mi-septembre 2022 pour améliorer la gestion des données au niveau national, identifier les principaux champs d’action et proposer des solutions [9]. Pour la FMH, c’est l’occasion de répéter qu’il faut travailler à la création d’un système de santé numérique, facile à utiliser, qui apportera une véritable valeur ajoutée aux fournisseurs de prestations et aux patients.

La solution d’ordonnance électronique nationale conforme à la loi [8] que la FMH développe actuellement avec pharmaSuisse est porteuse de valeur ajoutée, car elle permet de ne plus saisir manuellement les données relatives aux médicaments prescrits et donc d’éviter les ordonnances illisibles pouvant entraîner des erreurs ou exiger des compléments d’informations. Elle allège la charge administrative des médecins et des pharmaciens et répond, bien évidemment, aux exigences du DEP. A la page 34 du présent numéro, les deux associations exposent la solution d’ordonnance électronique qu’elles sont en train de développer.