La qualité a de multiples facettes

Leitartikel
Édition
2022/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21279
Bull Med Suisses. 2022;103(47):28-29

Publié le 22.11.2022

AnniversaireL’Académie suisse pour la qualité en médecine (ASQM), l’organisation qualité de la FMH propre aux médecins, fête ses dix ans. C’est une bonne occasion pour un instant de réflexion sur le sujet.
Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément» Albert Einstein
À qui s’adresser lors d’une question médicale? En tentant de répondre, on se rend vite compte qu’il est ici question de relation de confiance. Certains se tourneront vers un ami ou une connaissance. Les plus chanceux ont déjà pu bâtir une relation régulière avec leur médecin de famille. Combien de fois m’est-il arrivé de recevoir des patientes et patients sortant de plus grands centres ambulatoires qui souhaitaient recevoir un second avis ou poursuivre leur suivi médical, alors que ces établissements avaient fait un excellent travail sur le plan purement médical. Ce qui leur manquait était une personne de référence qui puisse jouer le rôle de point d’ancrage médical dans leur réseau de relations. Mais il ne faut pas oublier que, même dans un cabinet médical comme le mien, personne ne peut être disponible 24 heures sur 24, 365 jours par an. Le plus important est de mettre en place un système de suppléance afin de maintenir un cadre personnalisé pour les patientes et les patients. Même si cette organisation se mesure ou se traduit difficilement en chiffres, elle revêt une importance capitale, notamment dans le contexte actuel de surinformation, où chaque thème peut être consulté sur internet, sans filtre ni pondération. Qui peut aider à replacer les faits dans un contexte personnel? Qui explique ce qui n’a pas été compris? Qui dispose du temps nécessaire pour cela? Ces aspects de la qualité sont extrêmement importants pour nos patientes et nos patients, même s’ils sont difficilement mesurables et quantifiables. Dans le contexte actuel de tarification malheureusement toujours aussi limitatif, ces aspects sont de plus en plus remis en question, d’autant plus du fait de la pénurie de personnel (qui, comme le tarif, est tout à fait mesurable et quantifiable). À cela s’ajoutent des contraintes administratives toujours plus nombreuses réduisant le temps pour nos patientes et patients. Ce problème n’est pas nouveau, il existe depuis des années des études sur le sujet. Si le travail investi pour prouver la qualité des soins peut paraître justifié, il conduit en fin de compte à une perte de qualité. Nous, médecins, savons que tout ce qui produit des effets peut avoir des effets secondaires. Et si ces derniers sont plus néfastes que bénéfiques, il faut y réfléchir à deux fois. Une série de trois articles intéressants a été publiée à ce sujet ce printemps dans le New England Journal of Medicine [1] sous le titre The Quality Movement.
Dix ans de l’ASQM: un formidable succès pour le corps médical suisse!
© Ruth Black / Dreamstime

L’ASQM fête ses dix ans

Les dix ans de l’Académie suisse pour la qualité en médecine (ASQM), l’organisation propre aux médecins qui traite tous les domaines de la qualité en médecine, comptent et peuvent être comptés! Non que le corps médical ne se préoccupe de la qualité que depuis dix ans. Les obligations en la matière sont inscrites aussi bien dans les Statuts que dans le Code de déontologie de la FMH. Il y a 64 ans, en 1958, l’Association pour l’étude de l’ostéosynthèse était créée et l’introduction de cette technique, encore nouvelle à l’époque, s’était accompagnée de différentes mesures telles que le relevé dans un registre, des études sur le sujet, des formations à cette technique et une poursuite de son développement en collaboration avec l’industrie. La mise en place des cercles de qualité remonte elle aussi à plus d’un demi-siècle et est également considérée aujourd’hui comme une réussite, qui est rarement évoquée, car pour les médecins, le travail dédié à la qualité fait naturellement partie de leur travail. En fondant l’ASQM, des thèmes traités dans différents groupes de travail ont pu être regroupés, créant ainsi une synergie qui a permis d’aborder de nouveaux projets. Le premier défi relevé a été l’itinéraire clinique. En mettant clairement l’accent sur l’interprofessionnalité, nous avons développé l’itinéraire clinique des patients atteints du cancer colorectal avec dix sociétés de discipline médicale et onze sociétés non médicales, ce qui nous a valu un prix international. La valeur ajoutée de l’implémentation sur l’ensemble du territoire d’un tel itinéraire clinique par rapport à la situation actuelle doit être à présent évaluée par une recherche concomitante. Les conditions-cadres nécessaires manquent cependant, aussi bien concernant les données (le registre des tumeurs ne recueille que des données épidémiologiques, mais pas de données cliniques à une ampleur nécessaire à notre projet) que les aspects financiers. Si une ouverture permettait de débloquer la situation, nous reprendrions volontiers le collier. Mais nous avons également pris la mesure de l’effort que représente l’élaboration d’un tel itinéraire clinique: les quelque 700 000 francs nécessaires à ce seul parcours clinique ont été pris en charge par les fournisseurs de prestations, toutes associations et tous niveaux confondus. Un résultat immédiatement utilisable de ce projet a été la définition des critères de qualité concernant le matériel destiné à l’information des patients, qui ont été testés dans la pratique. C’est précisément ce type de matériel qui est indispensable à la décision partagée, un thème qui a également été traité dans le cadre d’un document scientifique de base. Beaucoup de travaux vont dans le sens des PROM et PREM dont il est beaucoup question aujourd’hui et qui ont été approfondis dans un document de base rédigé il y a un certain temps déjà. Dans ce contexte, l’ASQM a initié le registre des résultats de santé centrés sur le patient (PCOR) qui a débouché sur un document scientifique de la FMH à l’origine de la création d’un groupe de travail élargi réunissant l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), l’Association nationale pour le développement de la qualité dans les hôpitaux et les cliniques (ANQ), H+ Les Hôpitaux de Suisse et l’association Médecine Universitaire Suisse (unimedsuisse). Il en a résulté des recommandations sur les registres médicaux. La question relative aux misuse/overuse/underuse a également fait l’objet d’une étude scientifique; cela a permis d’en tirer des conclusions pertinentes pour de futurs projets et approches de recherche.

Moins de réglementations

À partir d’un certain stade, il manque les conditions-cadres permettant la poursuite d’un projet. Au lieu de réglementer toujours plus, il y aurait diverses approches intéressantes sur lesquelles il serait possible de s’appuyer, par exemple les modèles d’assurance alternatifs, qui ne nécessitent pas la mise en place d’une nouvelle législation pour des réseaux de soins intégrés extrêmement régulés par l’État, comme le propose de manière irritante le 2e volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts. En revanche, il est réjouissant de voir que le Conseil fédéral reconnaît que les prestations de coordination impliquent des ressources et que celles-ci ne sont actuellement pas disponibles. Reste à savoir si l’argent seul suffira, car en fin de compte, c’est le personnel qualifié qui fait défaut! Par ailleurs, 77 organisations du corps médical ont adhéré à la Charte qualité de l’ASQM, depuis son lancement il y a six ans. Celles-ci se portent garantes des principes de transparence, de responsabilité et de durabilité qui y sont énoncés. Ce que nous avons réalisé jusqu’à présent avec l’ASQM nous donne la confiance nécessaire pour affronter l’avenir. Je remercie toutes celles et ceux qui ont contribué au développement de l’ASQM et je me réjouis de la poursuite de notre collaboration!
Christoph Bosshard
Dr méd., vice-président de la FMH et responsable du département Données, démographie et qualité
1 Rosenbaum L, The Quality Movement – Part 1: Reassessing Quality Assessment - The Flawed System for Fixing a Flawed System. In: The New England Journal of Medicine Vol. 386 No. 17; 2022. p. 1663-1667.
2 Rosenbaum L, The Quality Movement – Part 2: Metric Myopia – Trading Away Our Clinical Judgment. In: The New England Journal of Medicine Vol. 386 No. 18; 2022. p. 1759-1763.
3 Rosenbaum L, The Quality Movement – Part 3: Peers, Professionalism, and Improvement - Reframing the Quality Question. In: The New England Journal of Medicine Vol. 386 No. 19; 2022. p. 1850-1854.