Pilule d'urgence: un accès semé d'embûches

Praxistipp
Édition
2022/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21226
Bull Med Suisses. 2022;103(47):72-73

Publié le 22.11.2022

DroitLes droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive sont contestés. Au-delà du droit à l’avortement menacé dans certains pays, des restrictions plus subtiles sont perceptibles, même en Suisse. Un exemple est la contraception d’urgence orale (CU), dont l’accès est semé d’inégalités.
L’accès à la CU a certes été libéralisé en 2002. Elle est ainsi disponible dans toutes les pharmacies en Suisse sans ordonnance médicale. En 2021, environ 100 000 CU ont été vendues. Des preuves empiriques démontrent toutefois à quel point les circonstances entourant la remise de la CU peuvent être stigmatisantes pour certaines femmes [1].
© Luca Bartulović
Malgré les démarches de libéralisation, l’accès reste soumis à des conditions strictes. La Loi fédérale sur les produits thérapeutiques (LPTh) impose la documentation, le conseil, et la remise en personne. Le protocole pour la remise de la CU du groupe interdisciplinaire d’experts en contraception d’urgence (IENK) impose des conditions supplémentaires. Les femmes doivent passer un entretien dans l’arrière-salle de la pharmacie, doivent répondre à un questionnaire intrusif et reçoivent des explications sur les risques de la CU, les infections sexuellement transmissibles, les méthodes de contraception et les contrôles gynécologiques. Finalement, elles doivent s’acquitter des frais, la contraception n’étant pas prise en charge par l’assurance obligatoire des soins. Le prix de la CU varie, augmentant le soir et le week-end.

Limite arbitraire à 16 ans

La CU est admise pour toutes les femmes, indépendamment de leur âge. Le protocole de remise indique toutefois un âge de 16 ans en dessous duquel les pharmaciennes et les pharmaciens doivent évaluer la capacité de discernement de la jeune femme. Cette limite d’âge est certes pertinente pour la majorité sexuelle prévue par le Code pénal. En revanche, en matière de consentement, elle est erronée. Donner son consentement à un traitement médical est un droit strictement personnel au sens du Code civil, qui ne retient pas de limite d’âge spécifique. Selon les tribunaux, la capacité de discernement peut être présumée à partir de 12 ou 13 ans pour ce qui est du domaine médical. Cette limite a été confirmée dans le cadre de la campagne de vaccination COVID-19. Concernant la CU, une évaluation systématique de la capacité de discernement des jeunes femmes de 12 à 16 ans est contraire au droit. Il en est de même du renvoi systématique à l’hôpital ou au centre de planning familial, voire de la demande qu’un ou une représentante légale soit présente ou donne son accord.

Une double inégalité d’accès

Ces obstacles pratiques ont un impact sur l’accès à la CU. Ils perpétuent un contrôle – souvent stigmatisant – de la santé sexuelle et reproductive des femmes. Ces obstacles sont d’autant plus problématiques qu’ils ne sont pas fondés entièrement sur des justifications médicales en lien avec d’éventuels risques pour la santé. Le principe du consentement éclairé de la patiente et l’objectif de sa sécurité dans le cadre de la remise d’un médicament sont ainsi détournés.
Le cadre juridique suisse concernant l’accès à la contraception repose sur un paradigme libéral. Selon le Conseil fédéral, il est de la responsabilité (financière) de chaque femme d’éviter une grossesse non désirée. L’accès à la CU est soi-disant garanti puisqu’elle est disponible en pharmacie. Ces affirmations ignorent toutefois les importants obstacles à l’accès. La responsabilité individuelle et le mécanisme de contrôle professionnel en pharmacie sont non seulement contradictoires, mais créent une double inégalité d’accès en fonction de l’âge des femmes, leur situation socio-économique, leur statut migratoire et leur lieu de résidence.
Tant le droit international que le droit suisse garantissent un accès égal et non discriminatoire aux soins de santé disponibles, y compris les soins de santé des femmes et la planification familiale. L’exemple de la CU montre que cette égalité d’accès peut être menacée par des mécanismes de contrôle professionnel lors de la remise de médicaments.
Prof. Dre Mélanie Levy
Professeure assistante et codirectrice de l’Institut de droit de la santé, Faculté de droit, Université de Neuchâtel. Directrice d’un projet de recherche FNS Eccellenza.
1 Barrense-Dias Y, Akré C, Stadelmann S, Suris JC. Remise de la contraception d’urgence en pharmacie: une étude qualitative sur l’expérience des clientes. Lausanne, Unisanté – Centre universitaire de médecine générale et santé publique, 2020 (Raisons de santé 312).