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«Le registre délestait les familles d'un grand poids»

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Édition
2022/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21222
Bull Med Suisses. 2022;103(45):8-9

Publié le 09.11.2022

Don d’organesLe registre national du don d’organes de Swisstransplant ne fonctionne plus depuis le 20 octobre à la suite de lacunes de sécurité. Ce que cela signifie pour les hôpitaux suisses et les professionnels de la santé: les explications de Philippe Compagnon, chef du service de transplantation des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Qu’est-ce que la fin de ce registre du don d’organes signifie concrètement pour le Centre universitaire romand de transplantation?
Notre centre, comme tous les hôpitaux suisses, avait accès 24 heures sur 24 à ce registre. Avec sa fermeture, notre équipe de coordination du don d’organes ne dispose plus d’un outil qui leur donnait un accès instantané à la volonté du donneur décédé, à condition qu’il se soit enregistré de son vivant. Nous revenons au fonctionnement antérieur: le processus d’identification des donneurs se limite au témoignage de l’entourage concernant la volonté exprimée, ou non, du défunt sur la question du don d’organes. L’enregistrement du positionnement du défunt sur un registre apportait une aide précieuse pour les familles au moment de leur témoignage, les délestant du poids de la décision.
Et qu’est-ce que cela signifie pour les personnes qui ont besoin d’une transplantation?
L’arrêt forcé de ce registre pourrait entamer temporairement la confiance du public dans le fonctionnement du système établi pour le don d’organes et avoir des conséquences temporaires sur le don. Le risque est de voir des personnes qui étaient sur le point de se positionner favorablement pour le don décider de s’opposer à cette idée. Rappelons qu’environ 1450 personnes sont actuellement sur liste d’attente d’une transplantation en Suisse, avec en moyenne deux décès par semaine, faute d’un accès à temps à un greffon. Cela signifie donc qu’un plus grand nombre de décès en liste d’attente pourraient être observés dans les prochains mois.
Cela entraîne-t-il un certain «chaos» pour les hôpitaux?
Il n’y a pas de «chaos», mais une aide en moins concernant la connaissance de la volonté du donneur. L’absence de connaissance de l’avis du donneur impose aux coordinateurs du don de redoubler d’efforts pour connaître l’avis de la personne décédée, en récoltant le témoignage du plus grand nombre possible de proches. Si l’entourage ne connaît pas la volonté du défunt, il doit prendre en compte sa volonté présumée et décider à sa place. Si aucun proche n’est joignable, le prélèvement d’organes n’est pas autorisé.
Comment les hôpitaux universitaires de Suisse s’organisent-ils pour combler l’absence de ce registre?
Avec l’arrêt du registre, les hôpitaux universitaires doivent «se limiter» au principe qui a toujours prévalu, c’est-à-dire le recueil du témoignage de la famille. Ce principe est appliqué depuis que le prélèvement d’organes existe et sera toujours respecté, même après l’instauration du consentement présumé.
Les lacunes de sécurité ayant été signalées en janvier 2022 par le Préposé fédéral à la protection des données, avez-vous anticipé la possibilité d’une fermeture du registre?
C’est à la fois une surprise et une grande déception pour nous. Le registre est un outil supplémentaire, mais ne représente pas une condition sine qua non au don d’organes, fort heureusement.
En tant que chirurgien transplanteur, que souhaiteriez-vous? Qu’est-ce qui pourrait vous faciliter votre travail au quotidien?
Nous espérons que la crédibilité du système ne sera pas trop entachée. Le public doit garder confiance. Nous invitons les personnes à parler du don d’organes en famille. L’idéal est de consigner sa volonté par écrit, à travers des directives anticipées ou par le biais d’une carte de donneur, cette dernière étant accessible sur le site de Swisstransplant ou de l’OFSP. Nous devons également poursuivre nos efforts pour promouvoir le don.
Qu’attendez-vous de Swisstransplant et des autorités compétentes concernant un registre national?
Il faut développer un registre national totalement sécurisé, c’est une démarche essentielle. Après la découverte de la faille informatique, Swisstransplant a promptement réagi et suspendu le processus d’enregistrement. Les personnes déjà enregistrées ont été contactées par mail et leurs données effacées. Swisstransplant étudie un nouveau processus d’inscription en ligne sécurisé, destiné à remplacer l’ancien, sous la responsabilité de l’OFSP. Une validation avec la carte d’identité sera probablement mise en place. Nous espérons que ce nouveau système d’enregistrement en ligne sera disponible d’ici quelques mois.
Prof. Philippe Compagnon
Médecin-chef du service de transplantation, Hôpitaux universitaires de Genève
Avec l’arrêt du registre, les hôpitaux doivent «se limiter» au principe qui a toujours prévalu, soit le recueil du témoignage de la famille.
© Tetiana Kitura / Dreamstime