Comprendre les préférences des patientes et patients

Aktuell
Édition
2022/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21217
Bull Med Suisses. 2022;103(45):28-30

Affiliations
Journaliste

Publié le 09.11.2022

Décider ensemblePour parvenir à une décision cohérente en matière de santé, tout patient doit recevoir une information correcte et pouvoir faire valoir ses valeurs et ses préférences. C’est ce que vise la décision partagée, désormais également abordée sur la plateforme de prévention www.pepra.ch de la FMH. Dans cette interview, Kevin Selby, Unisanté Lausanne, nous en explique la mise en œuvre.
Pourquoi la décision partagée semble-t-elle tant en vogue actuellement?
De nombreuses décisions en matière de santé dépendent des préférences. Autrement dit, différents professionnels de la santé et patients informés viennent à choisir des options divergentes. En outre, il existe souvent plus d’une seule procédure correcte. Le devoir éthique du médecin consiste alors à expliquer les avantages et inconvénients de chaque solution et de comprendre laquelle ses patients considèrent comme la plus appropriée à leur situation. À l’heure de la recherche sur Google et de la reconnaissance sociétale de l’autonomie des patients, la plupart des gens ne veulent pas que leur médecin décide à leur place [1, 2]. Les patients devraient être au courant de l’existence de plusieurs options cliniquement équivalentes et être en mesure de participer à la décision. Le modèle de la décision partagée peut y contribuer considérablement.
Dr méd. Kevin Selby
PD-MER, Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté), Lausanne
Dans quelle mesure les cabinets médicaux pratiquent-ils déjà la décision partagée?
Aujourd’hui, la plupart des médecins connaissent déjà ce terme et ce qu’il désigne. Bien sûr, cela dépend de ce que l’on entend exactement par là: je perçois d’un œil critique l’exigence élevée des scientifiques qui voudraient y imposer toutes sortes d’étapes idéales. Pour moi, en tant que médecin, l’essentiel consiste à dire explicitement à mes patients qu’il s’agit d’une décision qu’il vaudrait mieux prendre conjointement et de leur en expliquer les différentes options. Les personnes qui participent à des ateliers sur la décision partagée s’intéressent surtout à sa mise en œuvre, c’est-à-dire à des cas concrets. Où se procurer des documents pertinents? Existe-t-il des aides à la décision? Cela souligne l’importance de plateformes comme PEPra. De manière claire et compréhensible, celles-ci préparent les bases et le matériel pour la communication centrée sur les patients, et les mettent à disposition des cabinets médicaux [3].
Dans le quotidien professionnel, comment peut-on profiter au mieux des avantages de ces apports théoriques?
En tant que médecins, nous avons plutôt l’habitude de chercher à convaincre nos patients plutôt que de leur présenter une situation d’incertitude et de discuter ensemble des différentes procédures possibles. C’est sans doute parce que nous décidons très souvent de beaucoup de choses rapidement et que nous ne prenons pas le temps de nommer explicitement les arguments décisifs. Nous le faisons tout au plus dans un environnement collégial, notamment dans le cadre de la formation postgraduée. De telles discussions professionnelles se passent classiquement aux urgences ou lorsque le tumorboard se prononce en faveur d’une certaine chimiothérapie. En pratique générale, il s’agit par exemple de déterminer si le traitement d’un cancer de la prostate au stade précoce doit être transmis directement en chirurgie ou d’abord en radiologie; on ne demande alors pas toujours l’avis du patient. En tant que médecin, je dois donc savoir où et comment je peux et dois impliquer mes patients. À mon avis, plus le corps médical réfléchit à ses décisions, notamment dans le cadre de cercles de qualité, mieux il y parvient. C’est ainsi que l’on acquiert peu à peu le réflexe de s’arrêter pour se demander: est-ce que je sais vraiment ce que souhaite la personne concernée par cette décision, ou est-ce que je crois seulement le savoir?

Shared Decision Making

Basé sur le renforcement de l’autonomie des patients, le modèle de la décision partagée les inclut de manière explicite en tant que partenaires dans le processus thérapeutique. Il ne s’agit cependant pas d’une autonomie totale, puisque les professionnels de la santé contribuent à orienter leurs préférences en y apportant activement leur expérience clinique, leurs connaissances scientifiques et capacités. Elwyn et al. décrivent les éléments centraux de l’approche, dont l’importance varie et qui peuvent également se chevaucher. Leur modèle des trois discussions comprend premièrement le Team Talk, au cours duquel les patients peuvent formuler l’objectif de leur traitement et recevoir des informations concernant les différentes options. Ces possibilités de traitement sont ensuite comparées et approfondies au moyen de l’Option Talk. La ou le médecin y présente les options thérapeutiques de la manière la plus neutre et équilibrée possible, en ayant recours à des aides à la décision. Celles-ci fournissent des informations basées sur des preuves sous forme de brochures, de dépliants ou de formats électroniques. Elles permettent ainsi aux personnes concernées de clarifier leurs valeurs et leurs priorités. Enfin, le Decision Talk met en commun l’expertise du médecin et les préférences de chaque patient, afin de parvenir à une prise de décision partagée.
Dans la décision partagée, quel rôle tiennent les aides à la décision?
En tant qu’informations fondées scientifiquement et présentées de manière adaptée aux patients, les aides à la décision constituent une excellente base de discussion. Elles peuvent ainsi favoriser de manière décisive la réflexion d’une personne en ce qui concerne sa maladie et les options thérapeutiques. Lors d’un moment consacré à la réflexion, elles donnent aux personnes concernées l’occasion de trouver des réponses pour elles-mêmes, mais aussi de formuler les questions essentielles à leur médecin. Bien conçues, les aides à la décision se révèlent ainsi absolument profitables. Toutefois, cette commodité ne doit pas nous empêcher, en tant que professionnels de la santé, de réfléchir nous-mêmes à la manière dont nous souhaitons communiquer les différentes options thérapeutiques. En l’absence d’une aide à la décision, une simple feuille de papier où l’on écrit les avantages et inconvénients de deux traitements possibles peut déjà servir de bonne base à la réflexion partagée, la discussion avec les proches et l’évaluation commune. Toujours est-il qu’il ne s’agit pas non plus de considérer les aides à la décision comme un moyen simple et idéal pour gagner du temps, comme on pourrait dire «voici une brochure; quand vous l’aurez lue, vous n’aurez qu’à me dire quel traitement vous souhaitez». Ce ne serait ni juste ni conforme à l’approche de la décision partagée, qui inclut également la recommandation du médecin.
En tant que médecin, comment faut-il procéder lorsqu’un patient ne veut pas prendre de décision de manière autonome?
Il convient de respecter, en principe, une telle attitude. Le médecin peut ainsi formuler sa propre recommandation. Mais il existe des études très intéressantes sur le fait que de nombreuses personnes, ne voulant pas paraître des patients «difficiles», se soumettent à la pression implicite de ne pas vouloir faire perdre du temps à un médecin très occupé [4]. C’est pourquoi il vaut tout de même la peine de prendre le temps d’expliquer les raisons pour lesquelles on recommande d’initier un certain traitement. Par exemple, je peux expliquer à une patiente présentant une infection urinaire pourquoi je souhaite lui prescrire des antibiotiques, et lui exposer les motifs pour lesquels je considère que le risque d’effets indésirables reste à un niveau acceptable. Cette approche peut permettre à la patiente d’exprimer son point de vue personnel, ses valeurs ou son expérience. Elle pourrait alors exprimer son soulagement de pouvoir, sans symptômes, retourner au travail après 24 heures, tout comme elle pourrait, au contraire, signaler qu’elle redoute surtout que ce traitement lui provoque, comme à son habitude, une diarrhée et une mycose vaginale. Ou alors, peut-être se montre-t-elle sensible à la problématique des résistances aux antibiotiques, et, pour cette raison, elle souhaite autant que possible éviter d’en faire usage. On sait effectivement aujourd’hui que, même sans recourir aux antibiotiques, la plupart des patientes ne présentent plus de symptômes après sept jours [5].
Où se situent les limites du concept de décision partagée?
Les situations d’urgence touchent notamment aux limites de cette approche. De même, lorsque quelqu’un ne se trouve pas en mesure, pour d’autres raisons, de prendre une décision en connaissance de cause et que l’on ne peut pas interroger une personne chargée de représenter ses intérêts. En outre, le modèle perd son sens s’il convient clairement de favoriser un traitement particulier pour des raisons médicales. C’est le cas lorsque les options ne sont pas cliniquement équilibrées, c’est-à-dire qu’il n’y a pas «d’équipoise». Une telle situation ne devrait cependant pas nous dispenser d’expliquer clairement aux personnes concernées les données sur lesquelles se fonde notre recommandation clinique. Enfin et surtout, le concept de décision partagée n’implique pas que les médecins doivent donner suite à tous les souhaits de leur patientèle. Il n’est donc pas question d’ordonner immédiatement une IRM à la demande de toute personne présentant des maux de tête, ni de prescrire, sans indication fondée, un médicament associé à un risque d’abus.
Quels aspects positifs la décision partagée présente-t-elle pour vous, en tant que médecin?
Cela me permet tout d’abord d’assumer pleinement mon devoir d’information. J’ose également considérer comme très probable que mon traitement corresponde effectivement aux souhaits de mes patients, ce qui peut augmenter les chances de succès thérapeutique. En outre, j’améliore la qualité de mon travail, car la décision partagée exige également de moi un examen critique de mes convictions et de mes valeurs. En effet, selon mon parcours, ma pratique et mon réseau, je recommande plus ou moins fréquemment, par exemple, de prendre des antibiotiques ou de faire remplacer une prothèse de genou. La décision partagée offre ici une réelle opportunité de mieux prendre en compte l’opinion de chaque patiente et patient. Leurs préférences peuvent d’ailleurs varier considérablement – les médecins qui s’y intéressent s’en rendent bien vite compte!

PEPra: la plateforme d’information pour la prévention au cabinet médical

Quand aborder les comportements à risque chez les patientes? Comment stimuler leur motivation en vue d’un changement de comportement? Quelles offres spécifiques leur recommander dans la région? Chaque jour, les équipes des cabinets médicaux se trouvent confrontées à de telles questions. C’est là qu’intervient la plateforme d’information de la FMH, qui a pour objectif de faciliter et d’encourager la prévention au cabinet médical fondée sur les preuves. Centré sur les patients et adapté à la médecine ambulatoire de premier recours, le site www.pepra.ch propose à toute l’équipe du cabinet des outils éprouvés, des informations complémentaires, ainsi que des indications sur les offres régionales de prévention. Dans les modules de formation continue PEPra, l’accent est mis sur les mises à jour cliniques, les techniques d’entretien et les possibilités pour toute l’équipe de s’engager dans des mesures de prévention. Le projet bénéficie du soutien de la fondation Promotion Santé Suisse. Pour en savoir plus: www.pepra.ch > Modules de formation continue (https://www.pepra.ch/fr/formations-continues)
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Doctor with female patient
Il est du devoir du médecin d’expliquer les différentes options de traitement et de comprendre ce que les patients considèrent comme le plus adapté.
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1 Académie suisse des sciences médicales: La communication dans la médecine au quotidien – Un guide pratique; 2013.
2 Gerber M., Kraft E., Bosshard C.: Décision partagée – médecin et patient décident ensemble; Bulletin des médecins suisses 2014;95:50, p. 1883-89.
3 www.pepra.ch > Conseil et Communication > Décision partagée (https://www.pepra.ch/fr/conseil-communication/shared-decision-making)
> Recommandations EviPrev et Aides à la Décision (https://www.pepra.ch/fr/eviprev)
4 Judson TJ, Detsky AS, Press MJ. Encouraging Patients to Ask Questions: How to Overcome “White-Coat Silence”. JAMA. 2013;309(22):2325–2326. doi:10.1001/jama.2013.5797
5 Holzer D., Rohrbasser A., Scharf T. et al: Development of tools to implement shared decision-making for guideline-recommended antibiotic prescriptions in primary healthcare physician practices in Switzerland; Institute of Primary Health Care (BIHAM), University of Bern, 2021.
6 Elwyn G, Durand M A, Song J, Aarts J, Barr P J, Berger Z et al. A three-talk model for shared decision making: multistage consultation process BMJ 2017; 359 :j4891