L'heure du changement a sonné

Praxistipp
Édition
2022/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21158
Bull Med Suisses. 2022;103(44):64-65

Publié le 01.11.2022

DurabilitéQui dit transition vers un système de santé durable, dit aussi chamboulement radical des pratiques. Pourquoi il ne suffit pas de réduire les émission des gaz à effet de serre et comment faire pour que le secteur de la santé devienne réellement plus vert.
Les modèles de prédication nous apprennent que, pour faire face aux défis environnementaux actuels, il ne suffira pas de simplement réduire les émissions de CO2. En effet, les fondements mêmes de nos sociétés modernes doivent être repensés. Le système de santé ne fait pas exception, comme le montre le récent rapport du Shift Project consacré à la décarbonation du secteur de la santé [1]. En effet, même si l’on réduit de façon optimale les émissions de gaz à effet de serre (GES) des différents domaines de la santé, il restera encore un tiers d’émissions de CO2 en trop. Seul un changement radical des pratiques pourra permettre d’atteindre les cibles.

Les défis de la durabilité

Dans une analyse parue dans le British Medical Journal [2], Hensher et al. indiquent quatre contraintes liées au système socio-écologique dont les services de santé devront tenir compte dans le processus de transition vers un système de santé durable: 1) moindre disponibilité des ressources matérielles et d'énergie pour les procédures médicales, les produits pharmaceutiques ou les infrastructures; 2) une réduction de la complexité des systèmes de santé; 3) des modes de vie plus locaux à mesure que les moyens de transport se raréfient; 4) une diminution de l’espace disponible pour la construction de nouvelles infrastructures sanitaires.
L’anthropologue de la santé Katharine Zywert nous propose également une lecture intéressante des enjeux à venir pour la santé et nos services de santé [3]. En bref, les transitions des sociétés humaines (pour ne pas dire leur effondrement) au cours du temps sont déterminées par trois facteurs: la démographie humaine, la complexité de fonctionnement de la société et l’utilisation d’énergie. Dès lors, à mesure qu’une société devient plus complexe, l’apport d’énergie nécessaire à son fonctionnement devient trop important par rapport aux bénéfices que cela engendre, voire même totalement inefficace. La biomédecine contemporaine n’échappe pas à cette règle en raison de son orientation disproportionnée sur des approches technologiques et pharmaceutiques. En effet, les besoins énergétiques nécessaires au fonctionnement des services de santé rendent ceux-ci vulnérables, de moins en moins efficaces, délétères pour l’environnement et les patients, et finalement non durables.

Un changement radical s’impose

Alors, quel avenir envisager pour les services de santé? Katharine Zywert parle de reconnecter les aspects bio-psycho-spirituels de la santé des personnes au contexte socio-écologique actuel. Elle évoque également le fait de reconsidérer les grandes étapes de la vie dans une perspective transgénérationnelle (naissance, adolescence, vieillesse, mort). Finalement, elle nous parle de «bassins d’attraction». Celui dans lequel nous nous trouvons actuellement est lié au modèle dominant pour les services de santé (consumériste et productiviste) qui est, malgré les crises, encore très stable. Cependant d’autres «bassins d’attraction» alternatifs existent, constitués d’alternatives structurelles (décroissance, initiatives de transition écologiques locales) et ontologiques (culture et spiritualité, approche systémique de la santé, rituels).
Selon Hensher et al., rendre nos systèmes de santé plus résilients à l’aune des défis socio-écologiques contemporains nécessite bien plus que de simplement «verdir les chaînes d’approvisionnement» [2]. La tâche est immense. Cela passe nécessairement par un renforcement des approches préventives et de promotion de la santé, un ancrage important des services de santé de première ligne dans les communautés locales et une approche «low-tech à haute valeur ajoutée de santé» en médecine.
Saurons-nous créer ces nouveaux «bassins d’attractions alternatifs»? Des initiatives locales, quoique minoritaires et largement invisibles, existent déjà pour penser la santé autrement. Le moment venu, elles trouveront peut-être leur place dans un environnement socio-écologique qui aura radicalement changé.
Prof. Dr méd. Nicolas Senn
Chef du Département Médecine de famille à Unisanté et co-responsable de la plateforme «Durabilité et santé» de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.
© Luca Bartulović
1 The Shift Project: Décarboner la santé pour soigner durablement. 2021.
2 Hensher M, and Zywert K. Can healthcare adapt to a world of tightening ecological constraints? Challenges on the road to a post-growth future. BMJ. 2020;371: p. m4168.
3 Zywert K. Human health and social-ecological systems change: Rethinking health in the Anthropocene. The Anthropocene Review. 2017;4(3):216–38.