Health Literacy Survey

La santé par le savoir

Hintergrund
Édition
2022/43
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21153
Bull Med Suisses. 2022;103(43):18-20

Publié le 25.10.2022

Compétences en santéUne personne sur deux en Suisse éprouve des difficultés à trouver et à comprendre les informations liées à la santé. Pourquoi les compétences en santé sont si importantes et comment les médecins peuvent les améliorer.
J’ai toujours eu, moi l’auteur de cet article, une impression bizarre quand je sortais un petit carnet lors de ma consultation chez le médecin. J’y avais inscrit des questions et je notais les réponses correspondantes. Une telle visite passe souvent bien vite et j’ai tendance à oublier la moitié des choses à peine sorti. Depuis les recherches faites pour cet article, je ne me sens plus aussi bizarre. Tout d’abord, je sais maintenant que les spécialistes recommandent à leur patientèle de noter les informations dans un carnet et voient cela comme l’expression de compétences en santé. De plus, je connais la raison de cette recommandation: je ne suis pas le seul à avoir une piètre mémoire. Une étude [1] montre que les patientes et les patients ont oublié 40 à 80% des informations une fois sortis de la consultation. Et la moitié de ce dont ils se souviennent est incorrect. Voilà qui n’est pas agréable à entendre pour les médecins, mais qui n’est pas si surprenant: ces personnes se trouvent dans une situation particulière car elles sont malades et, bien souvent, souffrent et ont peur. Un état qui perturbe aussi leur capacité à comprendre et enregistrer les informations.

Ne pas surestimer son vis-à-vis

Les médecins ont tout intérêt à ne pas surestimer les compétences en santé de leur patientèle. Ces compétences se définissent ainsi [2]: les connaissances, la motivation et la capacité à trouver, comprendre, évaluer et utiliser des informations de santé pertinentes, et à prendre ainsi des décisions concernant sa propre santé.
Les résultats de l’étude européenne «Health Literacy Survey» [3] ont été publiées récemment. Cette étude portait sur les compétences en santé de la population européenne. En Suisse, l’enquête a été menée par le Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz (Centre pour les compétences en santé de Careum), sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique. Elle s’appuie sur une enquête représentative auprès de la population adulte.
Les principales conclusions en sont les suivantes: la difficulté majeure pour les personnes, quel que soit leur pays, est d’évaluer la fiabilité des informations médicales. De nombreuses personnes interrogées ont en outre du mal à trouver des informations relatives au traitement des problèmes psychiques. S’orienter au sein du système de santé complexe et utiliser les offres d’informations numériques est considéré comme difficile. À l’échelle de l’Europe, 46% des personnes interrogées ont souvent du mal à gérer les informations de santé. Leurs compétences en santé sont par conséquent jugées faibles. En Suisse, ce chiffre est même légèrement supérieur en s’élevant à 49%. Selon la Dre Saskia De Gani, directrice du Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz et responsable de l’étude en Suisse, il ne faut toutefois pas surévaluer cet écart car les méthodes de relevé ont légèrement différé selon les pays.

Les facteurs sociaux

La moitié de la population admet ainsi avoir souvent des difficultés à gérer les informations relatives à la santé. Toutes les personnes ne sont pas touchées dans la même mesure. Celles qui ont des difficultés financières ou font partie d’une classe sociale basse, celles qui ont du mal à comprendre la langue du pays où elles vivent ou celles qui souffrent d’une maladie chronique montrent également des compétences en santé plutôt faibles. L’étude alerte par conséquent sur une erreur de jugement: des douleurs chroniques ne transforment pas automatiquement les personnes atteintes en spécialistes de leur pathologie. Les résultats de l’enquête pointent bien davantage le fait que ce sont précisément les personnes qui sont fréquemment en contact avec le système de santé et confrontées à des problèmes de santé complexes, qui sont tributaires d’un soutien spécifique.

Compétences faibles

Les résultats montrent aussi que les personnes qui ont des compétences en santé élevées ont tendance à adopter un comportement plus favorable à la santé, à se sentir plus en forme, et à moins solliciter le système de santé. L’étude ne mentionne pas pour autant les causes et les effets de cette tendance.
Pour Saskia De Gani, une chose est claire: «Quand nous parvenons à améliorer les compétences en santé, les patientes et les patients peuvent se prendre davantage en main. Dans ce contexte, l’amélioration de ces compétences recèle un grand potentiel en matière de santé publique et d’endiguement de l’augmentation des coûts de la santé.» Les études [4] portant sur cet aspect estiment qu’entre 3 et 5% des coûts totaux de la santé résultent d’un manque de compétences en santé.

Améliorer les compétences en santé

Les 10 recommandations de la «Health Literacy Survey» pour la Suisse:
Stratégie globale nationale pour les compétences en santé
Accent sur les groupes cibles présentant des compétences en santé particulièrement faibles
Faciliter l’utilisation des informations de santé numériques
Modifier les conditions individuelles et structurelles
Poursuivre les programmes et les projets, encourager des mesures complémentaires
Simplifier l’orientation au sein du système de santé
Renforcer l’auto-prise en charge pour les maladies chroniques
Impliquer le système de formation
Formation initiale et continue interprofessionnelle pour les spécialistes de la santé
Recherche et surveillance autour du thème des compétences en santé

Agir au niveau des organisations

La promotion de ces compétences fait également partie des objectifs de la stratégie en matière de politique de la santé «Santé2030» [5] du Conseil fédéral. Mais comment atteindre cet objectif? Il existe en principe deux moyens: agir au niveau des personnes en améliorant leurs compétences individuelles, ou agir au niveau des organisations et des systèmes pour mieux correspondre aux demandes des personnes et les aider dans leur autonomie et leur capacité d’action. «Cette deuxième approche a été relativement négligée jusqu’à aujourd’hui», commente Saskia De Gani (voir interview). Le Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz a par conséquent lancé le projet pilote «Selbst-Assessment Gesundheitskompetente Organisation» (Auto-évaluation Organisation compétente en matière de santé) [6] en collaboration avec la Direction de la santé publique du canton de Zurich.

Un sujet récurrent

Ce projet a pour objectif de développer un outil destiné aux prestataires de soins ambulatoires, qui doit leur permettre d’évaluer les compétences en santé de leur organisation à l’aide d’une check-list, d’identifier les actions nécessaires, et d’améliorer la situation par des mesures ciblées. Dans l’expérience pilote, l’outil développé à ce jour a reçu un bon accueil auprès des cabinets médicaux et des organisations d’aide et de soins à domicile. Quatre cabinets Medix Zürich ont pris part à ce projet pilote. «Les entretiens qui ont eu lieu sur la base de l’auto-évaluation nous ont fortement aidés à constater ce qui fonctionne bien et dans quels domaines il existe un potentiel d’amélioration», déclare Claudia Küchlin, coordonnatrice de projet Medix. Les améliorations déjà en place vont de la signalisation dans les cabinets médicaux à une nouvelle consultation pour le diabète. Mais plus que tout, la motivation de ne rien lâcher est là: «Le sujet des compétences en santé doit être un élément permanent de nos séances internes», affirme Claudia Küchlin. Le projet pilote entre à présent dans la phase suivante. Les outils définitifs vont être mis à la disposition de tous les médecins de premier recours intéressés.

L’importance grandissante du coaching

Carlos Beat Quinto, médecin de famille et responsable du département Santé publique et professions de la santé de la FMH, souligne l’importance des aspects structurels visant l’amélioration des compétences de santé: «La formation est le pilier essentiel à de bonnes compétences en santé. Il ne faut donc pas lésiner sur la formation et l’accès à celle-ci.»
Les capacités de communication et les aspects relatifs à la santé publique sont d’ores et déjà mis davantage en avant lors des études de médecine. Toutefois: «Cela ne sert pas à grand-chose si, une fois leurs études achevées, les médecins se retrouvent face à une réalité dans laquelle les conditions cadres compliquent l’application des apprentissages.» La pénurie de spécialistes en médecine rend la situation plus difficile encore, tout comme les limites fixées par la politique, telles que la limite de temps pour l’entretien avec la patientèle. Cette restriction empire d’autant plus la situation que le médecin joue de plus en plus un rôle de coach santé, notamment pour aider à trier les informations obtenues sur Internet et les réseaux sociaux. «Nous devons aller au-devant des divers besoins des patientes et des patients. Les personnes vulnérables ont tout particulièrement besoin de plus de temps et d’un accompagnement plus intense», précise Carlos Beat Quint.

Un défi pour tous

Les idées pour améliorer les compétences en santé ne manquent pas. Même les auteur-e-s de l’enquête ont présenté leurs recommandations (voir encadré). En parallèle, les médecins peuvent se réjouir de l’un des résultats: dans la «Health Literacy Survey», seuls 6% des personnes interrogées ont indiqué avoir du mal à suivre les recommandations de leur médecin. Un succès sur lequel il faut bâtir.

Partager les expériences

Au sein de plusieurs projets, le Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz développe avec des partenaires des outils visant à améliorer les compétences en santé des personnes et des organisations. Le centre est donc toujours intéressé par une collaboration avec les médecins afin de formuler des produits répondant aussi à leurs besoins et adaptés à la pratique.
Contact:
Saskia De Gani, directrice du Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz
Tél. +41 43 222 64 29
saskia.degani[at]careum.ch
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Après une consultation, la plupart des patients oublient 40 à 80% des informations.
© OneLineStock / Dreamstime
Saskia De Gani, dans quelle mesure avez-vous été surprise par les résultats de l’enquête sur les compétences en santé de la population suisse?
Ce que j’ai trouvé surprenant, c’est que même 40% des personnes ayant suivi une formation dans le secteur de la santé admettent avoir du mal à gérer les informations de santé, et en particulier à les trier. Cela nous a incités à mener une enquête complémentaire spécialement dédiée aux compétences en santé des professionnels, au cours de laquelle nous avons interrogé des professionnels de la santé en Suisse, Allemagne et Autriche. Les résultats seront disponibles début 2023 et devraient aider à mettre au point des mesures adaptées pour améliorer la situation.
Quelles difficultés dans la gestion des informations de santé par la patientèle estimez-vous être les plus graves?
De nombreuses personnes interrogées ne connaissent pas leurs droits en tant que patiente ou patient. Par exemple, une minorité seulement de la population connaît l’existence du droit à un deuxième avis pour les traitements médicaux, et sait que les frais liés à celui-ci sont pris en charge par la caisse-maladie. Il serait donc souhaitable d’informer davantage les patientes et les patients de ce droit, et de leur indiquer les moyens d’obtenir un deuxième avis.
D’une manière générale, quelles sont les mesures les plus importantes pour améliorer les compétences en santé?
Je suis convaincue que le bénéfice sera maximal si nous agissons non pas au niveau des individus, mais des institutions et du système de santé. La Suisse devrait commencer par réunir autour d’une table toutes les organisations qualifiées et toutes les personnes spécialisées concernées, puis élaborer un plan national de mesures pour l’amélioration des compétences de santé. Ensuite, ce sujet devrait être plus fortement ancré dans la formation initiale et continue du personnel de santé. Pour cela, les ressources doivent aussi être présentes pour la mise en œuvre dans l’activité professionnelle quotidienne. Troisièmement, il serait judicieux que le sujet des compétences en santé soit plus présent dans les écoles. Le «Lehrplan 21» (ndlr: Plan d’études 21) offre de bonnes conditions préalables pour cet objectif.
Dre Saskia de Gani
Directrice du «Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz»
3 https://m-pohl.net/Results
Careum Zentrum für Gesundheitskompetenz:
https://careum.ch/de/bereiche/gesundheitskompetenz
Guide pratique: informer et conseiller de manière compréhensible (collecte de matériel pour la promotion des compétences en santé)
https://www.allianz-gesundheitskompetenz.ch/download/pictures/62/pe8anqh2f92xisbkgf21hlgxvi6pja/p181132_praxisleitfaden_gesundheitskompetenz_fr_web.pdf
Alliance Compétences en santé