Pourquoi la médecine du futur sera numérique

Praxistipp
Édition
2022/43
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21126
Bull Med Suisses. 2022;103(43):74-75

Publié le 25.10.2022

NumérisationLes relations entre les personnes, avec toutes leurs facettes, sont toujours analogues. Il en va des relations personnelles comme du rapport entre le médecin et le patient. Mais en quoi doivent-elles devenir numériques et est-ce tout simplement possible?
Au cours de sa longue histoire mouvementée, la médecine n’a souvent pas été considérée uniquement comme une science. On parle aussi d’«ars medica», donc de l’art de guérir, comme si le médecin était une sorte de Léonard de Vinci – qui, il est vrai, outre ses chefs-d’œuvre artistiques, maîtrisait très bien l’anatomie humaine. Quoi qu’il en soit, le patient est toujours plus que la somme de ses résultats de laboratoire. En médecine, l’humain est toujours au centre et la relation entre médecin et patiente centrale pour le succès du traitement. Difficile ici de s’imaginer un «ménage à trois» avec un robot. La numérisation est-elle judicieuse dans la médecine?
Vous rappelez-vous votre premier trajet en voiture dans une ville étrangère, quand votre passager a tenté en vain de trouver le chemin en s’aidant d’une carte routière peu pratique? Les cartes sont aujourd’hui toutes numérisées, la géolocalisation a rendu la question «où suis-je?» obsolète et le GPS nous indique à tout moment de sa voix monocorde comment arriver à destination. Pensez également aux services de streaming musical tels que Spotify: je peux écouter ma chanson préférée autant de fois que je le souhaite et l’application me propose ensuite des chansons similaires qui, bien souvent, me plaisent également. Nous confions même notre fortune à des ordinateurs: la plupart des personnes effectuent aujourd’hui leurs transactions bancaires depuis chez elles. Les virements en ligne sont rapides, faciles et aussi sécurisés qu’un virement au guichet de la banque.

Plus de compréhension et d’échange

Si on l’accepte, la numérisation et la disponibilité des données en quelques secondes possèdent un énorme potentiel pour révolutionner les conditions existantes. Les résultats collectés par voie numérique peuvent faciliter considérablement la prise de décision dans le domaine des soins médicaux. Ils constituent la base pour un travail basé sur les évidences et axé sur la personne. La recherche clinique n’est pas la seule à profiter des données. Dans la pratique, ells contribuent de manière essentielle à une meilleure compréhension et à un meilleur échange entre médecins et patientèle, payeurs et autorités.
Avec un dossier électronique du patient, les médecins à l’hôpital peuvent, par exemple, partager très simplement les résultats avec les médecins traitants, le personnel soignant et les pharmacies. Tous peuvent saisir des informations supplémentaires et ont une vue d’ensemble des antécédents médicaux, et pas seulement de ce que la patiente décrit dans l’anamnèse. Le dossier électronique du patient est déjà une réalité en Estonie. Là-bas, les médecins d’urgence peuvent consulter les antécédents médicaux du patient pour ajuster le traitement, et les données permettent aux médecins à l’hôpital de se préparer à accueillir le patient avant l’arrivée de l’ambulance. Par ailleurs, en Estonie, les médicaments sont prescrits de manière numérique – ce qui peut sauver des vies lorsqu’on pense à l’écriture illisible de certains collègues.

L’intelligence artificielle – une aide véritable

En plus de ces facilités pratiques, la numérisation offre également des opportunités: à l’avenir, le médecin pourrait accéder aux données des applications du smartphone ou de la montre fitness du patient. Il peut surveiller de près la tension artérielle ou la glycémie de la patiente, même sans que cette dernière doive prendre place régulièrement dans la salle d’attente. Par ailleurs, les algorithmes apprennent en continu et aident déjà les pathologistes et radiologues expérimentés à établir des résultats. Ces derniers se fieront peut-être un jour autant à l’intelligence artificielle que nous le faisons tous aujourd’hui avec notre GPS, tout simplement parce que c’est pratique?
La numérisation a un grand pouvoir, mais un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. La mise en œuvre des processus numériques doit offrir une plus-value, sinon elle n’en vaut pas la peine. En outre, il est essentiel que nous veillions à ce que des aspects tels que l’éthique, la vie privée et la protection des données soient pris en compte. La numérisation est inéluctable. Nous ne devrions pas attendre qu’elle nous dépasse, mais l’accepter et la façonner activement.
Prof. Dr méd. Jörg Goldhahn
Le directeur de l’Institut pour la médecine translationnelle de l’EPF de Zurich rédige cette chronique avec ses collaboratrices Theresa Rauschendorfer et Anja Finkel.
© Luca Bartulović