Thérapie algorithmique

Wissen
Édition
2022/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21111
Bull Med Suisses. 2022;103(45):68-69

Publié le 09.11.2022

DépressionPlusieurs essais sont souvent nécessaires pour trouver le traitement adéquat en cas de maladie psychique. La start-up Deeppsy utilise des algorithmes pour augmenter le taux de réussite et ainsi raccourcir la souffrance des personnes concernées.
Prise de température, tests sanguins, radios, cultures microbiennes – tout cela aide à diagnostiquer les maladies physiques et à les traiter de manière ciblée. En revanche, les indicateurs mesurables font encore largement défaut pour les maladies psychiques. «Les maladies psychiques sont plus ou moins traitées selon la méthode essai-erreur», explique Sebastian Olbrich, psychiatre, chef du groupe de recherche à l’Université de Zurich et co-fondateur de la start-up Deeppsy. Comme la plupart du temps, les échecs ne se manifestent pas immédiatement – mais au plus tôt deux semaines après dans le cas des dépressions –, chaque essai de traitement infructueux prolonge la souffrance des personnes touchées.

Améliorer le taux de réussite

C’est là qu’intervient la start-up Deeppsy: l’équipe internationale et interdisciplinaire souhaite améliorer l’efficacité et la rapidité de la recherche de thérapies au moyen de certains biomarqueurs. Pour identifier des traitements prometteurs, Deeppsy recourt aux électroencéphalogrammes (EEG) et aux électrocardiogrammes (ECG). «Ces derniers sont rapides, non invasifs et possèdent une valeur prédictive», explique Sebastian Olbrich. Deeppsy recourt pour son analyse à des algorithmes qui identifient des motifs caractéristiques, appelés marqueurs, dans les lignes en zigzag.
Les marqueurs EEG et ECG donnent des indications sur les thérapies ayant des chances de soulager les souffrances de certains groupes de personnes. Concrètement, ils peuvent aider à choisir entre différentes catégories de médicaments possibles ou à évaluer si, par exemple, la stimulation magnétique transcrânienne, le neurofeedback ou la thérapie comportementale peuvent être utiles.

Rendre la recherche visible

Tous les marqueurs utilisés par Deeppsy sont issus de la recherche et reposent sur des publications scientifiques. «En principe, notre méthode permet d’appliquer les résultats de la recherche fondamentale à la pratique», explique Sebastian Olbrich. À l’heure actuelle, la start-up utilise cinq marqueurs EEG et cinq marqueurs ECG.
Un tel marqueur, qui peut être lu sur l’EEG, est la vigilance, une mesure de l’éveil et de sa régulation. Elle permet de déduire si une personne a plutôt besoin de médicaments stimulants ou calmants et donc – statistiquement parlant – si elle répond mieux à certaines classes de médicaments qu’à d’autres. Un marqueur ECG peut être par exemple la fréquence cardiaque, un indicateur de stress.

Utilisation pour les dépressions

La première maladie que Deeppsy a choisi de traiter est la dépression. «Les dépressions sont très fréquentes», indique Sebastian Olbrich pour justifier ce choix. «Près de 10% de la population suisse en souffrent chaque année. Près d’une personne sur dix sera touchée au moins une fois dans sa vie.» Par ailleurs, les dépressions sont la principale cause des suicides.
Les personnes gravement atteintes ont besoin d’une aide rapide. «Mais le premier essai de traitement n’est couronné de succès que pour environ la moitié des patients», déclare Sebastian Olbrich. La méthode de Deeppsy doit permettre d’améliorer ce taux de 20%. C’est ce qu’ont montré des tests de faisabilité réalisés par Brainclinics à Nimègue, aux Pays-Bas, qui utilise des marqueurs similaires. La fondation travaille avec Sebastian Olbrich et Deeppsy.

Le diagnostic médical demeure

Mais comment tout cela se déroule-t-il? «Même avec la méthode Deeppsy, un médecin établit un diagnostic sur la base de symptômes et de résultats cliniques», souligne Sebastian Olbrich. Les EEG et les ECG sont généralement enregistrés dans leurs cabinets et anonymisés avant d’être chargés sur la plateforme basée sur le web de Deeppsy. Des algorithmes fondés sur des preuves analysent ensuite les données.
Mesurer les ondes cérébrales pour pouvoir déterminer le traitement adéquat, tel est l’objectif de la start-up Deeppsy.
© Deeppsy.io
Les résultats sont présentés dans un rapport. D’une part, sous forme graphique. D’autre part, un résumé est établi pour chaque marqueur pour indiquer ce que les EEG et les ECG ont montré, leur signification et quelles recommandations thérapeutiques scientifiquement prouvées peuvent en être déduites en fonction de l’état actuel de la recherche. La littérature correspondante est également listée. «Avant d’être envoyé au médecin, le rapport est soumis à un contrôle visuel, c’est-à-dire à un contrôle de qualité par un être humain», explique Mateo de Bardeci, spécialiste en données et co-fondateur de Deeppsy.

Certification en cours

La méthode Deeppsy se trouve actuellement en cours de certification comme application médicale. «Il s’agit avant tout de montrer que nous travaillons proprement, que nous calculons correctement et que la méthode est plus utile que nuisible», explique Mateo de Bardeci. La certification devrait être achevée d’ici fin 2023. La start-up souhaite ensuite commercialiser sa prestation.
«Seul un suivi précis des résultats du traitement ou une étude prospective pourra montrer si l’outil Deeppsy peut effectivement aider à mettre en place plus rapidement des traitements adaptés», indique Sebastian Olbrich. C’est également l’avis d’Erich Seifritz, psychiatre, psychothérapeute et directeur médical de la clinique de psychiatrie, psychothérapie et psychosomatique à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich. «La preuve par l’exemple fait encore défaut.» Mais, en principe, Erich Seifritz considère l’approche de Deeppsy comme «intelligente» et «judicieuse». Pour un meilleur diagnostic des souffrances psychiques, il souhaiterait toutefois «un ensemble de biomarqueurs différents» et pas uniquement des marqueurs EEG et ECG.
La méthode Deeppsy suscite d’ores et déjà de l’intérêt: les premières demandes sont arrivées, selon Sebastian Olbrich. Une sorte de test est en cours avec un psychiatre. Et quelques cliniques ont manifesté leur intérêt pour le produit fini. Différents groupes pharmaceutiques envisagent également une collaboration.

Des objectifs ambitieux

À l’avenir, l’équipe Deeppsy, qui compte auprès du psychiatre Sebastian Olbrich et du spécialiste des données Mateo de Bardeci un développeur de logiciel, Enzo Altamiranda, et deux spécialistes des EEG et des ECG, souhaite élargir son offre à d’autres maladies. À savoir le TDAH, le syndrome d’Asperger ou la schizophrénie. La start-up souhaite avant tout développer un algorithme qui apprend par lui-même et qui s’améliore ainsi continuellement. Pour cela, il faut toutefois disposer d’un grand nombre de données. «Notre vision, explique Mateo de Bardeci, est qu’à l’avenir, des indicateurs objectifs basés sur des données puissent être utilisés pour les décisions thérapeutiques en psychiatrie, tout comme pour les maladies physiques.»

L’équipe fondatrice de Deeppsy

Prof. Dr méd. Stefan Olbrich (à gauche sur la photo) est spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et directeur du centre pour la dépression, les maladies anxieuses et la psychothérapie à la clinique universitaire de Zurich ainsi que chef de groupe de recherche au département de psychiatrie, psychothérapie et psychosomatique de l’Université de Zurich. Mateo de Bardeci (à droite) a étudié la physique à l’EPF de Zurich et est spécialisé en neuro-informatique, statistiques et apprentissage automatique.