Quand le COVID fait de l’ombre

Wissen
Édition
2022/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21106
Bull Med Suisses. 2022;103(44):62-63

Publié le 01.11.2022

Recherche scientifiqueAvec la pandémie, un grand domaine de recherche a vu le jour en l’espace de quelques mois. Les scientifiques ont réuni leurs efforts autour du nouveau virus. Quid de la recherche sur d’autres maladies virales? En a-t-elle souffert?
Lorsqu’il s’agit de planifier des projets de recherche, cela se fait généralement sur une période donnée et les fonds sont alloués en conséquence. On peut donc se demander si, durant la pandémie, qui a bouleversé le monde scientifique, les projets qui n’avaient pas trait au COVID-19 ont été mis de côté durant cette période. Le professeur Laurent Kaiser, médecin-chef au service de médecine interne aux Hôpitaux universitaires de Genève et infectiologue déclare: «De nombreux groupes comme le mien ont dû mettre en suspend leurs activités de recherche non liées au COVID et en souffrent encore.»

Des conditions plus difficiles

Dr méd. Claude Scheidegger, médecin généraliste, infectiologue et intensiviste, accompagne depuis de nombreuses années des projets de santé publique et a participé aux décisions concernant le financement de la recherche sur le COVID-19 auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Il explique que, pendant la pandémie, l’OFSP a eu la possibilité de soutenir la recherche sur le COVID-19 plus rapidement que par le biais de fonds réguliers. Mais quelles ont été les répercussions pour les projets non liés au COVID-19? Qu’est-ce qui a pu conduire un groupe de recherche à abandonner d’autres projets en raison de son engagement dans la recherche sur le COVID?
Les ressources en personnelles constituent un facteur décisif, affirme Claude Scheidegger. Quand il n’était pas possible d’augmenter le personnel pendant la pandémie, les chercheurs ont dû fixer des priorités et, le cas échéant, suspendre d’autres projets en faveur de projets liés au COVID. Que dit l’OFSP à ce sujet? Contacté, il indique qu’il a dû fixer des priorités dans tous les domaines en raison de la pandémie, ajoutant que la recherche a aussi été touchée. L’OFSP souligne ne pas être une institution de promotion de la recherche et ne la soutenir qu’à titre ponctuel.
Le rapport statistique sur la recherche sur l’être humain pour l’année 2020 et les comparaisons avec les années précédentes de l’OFSP montrent que les projets de recherche non liés au COVID-19 n’ont pas diminué par rapport aux années précédentes, mais que les projets liés au COVID-19 sont venus s’y ajouter [1]. Claude Scheidegger apporte toutefois un éclairage critique à ce sujet: «Il faut savoir que la préparation jusqu’à la soumission d’un projet prend en général des semaines, voire des mois, et que deux à trois mois supplémentaires s’écoulent avant d’obtenir l’autorisation finale, selon ce rapport.» L’expert estime que de nombreux autres projets ont été lancés au cours du premier semestre 2020 ou dès 2019. Une évolution due à la pandémie n’apparaîtrait vraisemblablement que dans les statistiques de 2021. De plus, selon lui, les statistiques ne répondent pas à la question de savoir quand les projets ont commencé après leur autorisation. Il est tout à fait concevable qu’en raison de la pandémie, le début de la mise en œuvre de nombreux projets non liés au COVID ait été retardé après l’approbation par la commission d’éthique.
Le réseau de compétences Public Health COVID-19 a très tôt mis en garde contre des conditions de recherche plus difficiles pendant la pandémie. Il demandait la mise à disposition de moyens supplémentaires pour achever judicieusement les projets financés par des fonds tiers. Le réseau de compétences est un groupement ad hoc de 25 sociétés scientifiques spécialisées dans le domaine de la santé publique, qui y associent leur expertise en matière d’épidémiologie, de méthodologie, de statistiques, de sciences sociales et de médecine. Ensemble, ils représentent plusieurs milliers de scientifiques d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse [2].

La recherche sur le VIH retardée

Pendant la recherche sur le COVID, d’autres projets de recherche sur les maladies virales, comme le VIH ou l’hépatite, ont été suspendus ou réduits de manière significative, confirme également le professeur Nicolas Müller, chef de clinique maladies infectieuses et hygiène hospitalière à l’Hôpital universitaire de Zurich. Il souligne que cela a concerné avant tout les cliniciens et les laboratoires qui sont également actifs dans le domaine du diagnostic. Il s’agissait en premier lieu du passage de l’activité de recherche à l’activité clinique, c’est-à-dire au développement et à la réalisation de procédures de diagnostic.
«Cela a entraîné des retards dans le domaine d’autres maladies infectieuses, retards qui sont en train d’être rattrapés. De même, ce n’est qu’au prix d’efforts considérables que nous avons pu faire de la recherche en plus de notre activité clinique, ou demander des subventions», explique Nicolas Müller et ajoute: «La recherche fondamentale n’a cependant guère été touchée par la pandémie, dans la mesure où elle n’était pas pratiquée par des médecins cliniques qui travaillaient dans la prise en charge des patients.»

De nouvelles connaissances à exploiter

Les résultats des conférences sur le VIH les plus éminentes – la CROI (Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections) et l’IAS (International AIDS Society) Conference – montrent que les recherches ont été malgré tout d’ampleur dans le domaine du VIH. Après avoir développé le vaccin contre le COVID, l’entreprise pharmaceutique américaine Moderna porte désormais son attention sur le VIH: en début d’année, les chercheurs ont administré la première dose d’un vaccin mRNA contre le VIH en phase de test (étude de phase 1). L’antigène correspondant a déjà été testé sous une autre forme (à base de protéines et non de gènes) dans une étude précédente, où il a entraîné la réponse immunitaire souhaitée chez 97% des participants à l’étude [3].
L’étude incroyablement détaillée du nouveau coronavirus a donc également permis de mieux comprendre d’autres virus. Nicolas Müller, de l’Hôpital universitaire de Zurich, le confirme. Selon lui, la recherche sur le COVID-19 a permis d’acquérir de nouvelles connaissances, notamment sur les virus respiratoires.
À quel point l’accent mis sur la recherche du nouveau coronavirus a-t-il été efficace? Nicolas Müller remarque que la recherche sur le COVID n’a pas eu autant d’impact en Suisse qu’ailleurs. Le Royaume-Uni, en particulier, a montré comment mener une recherche clinique pragmatique de haute qualité. Il renvoie à ce sujet à l’étude pionnière Recovery [4] de l’université d’Oxford visant à identifier les méthodes de traitement efficaces en cas de de COVID-19. Pour que ce soit également possible en Suisse, «les structures doivent être développées avant la prochaine pandémie», conclue-t-il.
Le coronavirus a fait et fait toujours l’objet de recherches intensives, mais les chercheurs ont également besoin de temps pour d’autres projets.
© kvQACYRdusA / Unsplash
1 Office fédéral de la santé publique. Chiffres-clés 2020. Medicine & Research Statistical Report Human Research in Switzerland. www.kofam.ch/upload/gutachten_und_berichte/BAG_Kennzahlenbericht_2020.pdf, Graphique 12 et 13.
2 Réseau de compétences Public Health COVID-19. www.public-health-covid19.de
3 Abbasi J. First mRNA HIV Vaccine Clinical Trial Launches. 2022;327(10):909. doi:10.1001/jama.2022.2699.
4 recovery – randomised evaluation of covid-19 therapy. www.recoverytrial.net