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Je vous demande pardon

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Édition
2022/42
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21079
Bull Med Suisses. 2022;103(42):12-16

Publié le 18.10.2022

Communication médecin-patientLa franchise est la base de la culture de l’erreur en médecine. Mais cette franchise doit-elle s’appliquer aussi à l’égard de la patientèle? Les spécialistes en sont absolument convaincus. Informer et exprimer ses regrets est indispensable et permet de désamorcer la situation.
Les erreurs font partie de la vie. L’important, c’est de les gérer au mieux.
© Sarah Kilian / Unsplash
D’un côté, les besoins des patientes et patients, et de leurs proches. Comme dans le cas de Madame B., dont la mère est morte à la suite d’une erreur de médication du médecin de famille. L’assurance responsabilité civile a versé à Mme B. une indemnité. «Pouvoir discuter de l’incident avec le médecin m’aurait aidé bien davantage», a écrit Mme B. dans le courrier adressé au journal local et consulté par la journaliste. Elle n’aurait alors pas fait appel à un avocat. La docteure avait refusé la discussion, sous prétexte qu’elle ne se sentait pas responsable. Mme B.: «Deux ans plus tard, j’ai encore du mal à comprendre comment tout cela s’est passé, et à quel point l’attitude de la docteure a été froide et inhumaine. Vous les médecins, assumez vos erreurs. Vous aussi, vous êtes des êtres humains.»
De l’autre côté, il y a la position délicate des médecins qui ont commis une erreur de diagnostic ou de traitement. On peut citer cette jeune femme, médecin hospitalier, qui a raconté son histoire de manière anonyme dans le livre Der Fehler, der mein Leben veränderte (L’erreur qui a changé ma vie), paru en 2018. Seule durant un service de nuit, elle avait confondu des seringues, entraînant la dépendance physique d’une patiente. Des poursuites au civil et au pénal avaient suivi. «J’éprouvais un sentiment de honte tellement fort», explique-t-elle. «Comment vivre avec la culpabilité d’avoir handicapé quelqu’un à ce point?», se demande-t-elle. Personne ne lui a fait de reproches: «Je devais surtout faire face à moi-même et apprendre à vivre avec le fait d’avoir commis une erreur.»
Les mots de compassion aident les patients comme les médecins.
© Mark Tulin / Unsplash

La parole est d’or

Comme dans tout domaine, les erreurs surviennent aussi dans la santé. Depuis quelques années, les institutions mettent de plus en plus en œuvre de mesures visant à en parler de manière plus ouverte et à augmenter ainsi la sécurité des patients. Mais il s’agit ici d’un aspect encore différent: la communication des médecins avec leurs patientes et patients à la suite d’un incident. Faut-il parler ou, pour des raisons juridiques, garder le silence? Et si on parle, que dire? Reconnaître l’erreur et présenter ses excuses? Elton John chantait déjà dans les années 1970 «Sorry seems to be the hardest word». Pour Thomas Steffen, président de la fondation Sécurité des patients Suisse, cela ne fait pas de doute: la parole est d’or. Dès qu’un incident relativement important pour la patiente ou le patient se produit, le ou la responsable médical(e) doit chercher à dialoguer, peu importe l’origine de la défaillance.
Lui-même médecin, le Dr Steffen connaît par expérience le premier réflexe: «On préfère ne rien faire en espérant que les choses se tasseront.» S’ajoute à cela la crainte que les mots portent préjudice autant à soi-même qu’à l’institution. Pour autant, le patient serait en droit «d’être pleinement informé de ce qui s’est passé, en termes compréhensibles.» Il faut communiquer les faits, sans faire de spéculations. Si les circonstances des faits sont encore inconnues, il faut le signaler, tout en garantissant que le cas sera approfondi et que les résultats seront présentés ultérieurement au cours d’un autre entretien.

Construire des «ponts d’empathie»

Thomas Steffen considère qu’il est tout aussi important d’entretenir la relation médecin-patientèle au moyen de «ponts d’empathie». Il souligne le fait qu’exprimer des regrets crédibles, dire «Je regrette ce qui s’est passé» est possible, indépendamment de l’éventuel examen futur de la situation au niveau juridique. La fondation Sécurité des patients Suisse préconise les excuses en cas d’erreur manifeste. Présenter des excuses est une démarche essentielle qui peut largement contribuer à atténuer et à calmer la douleur et la colère du patient ou de la patiente après le préjudice. «La transparence et la compassion donnent confiance dans le fait d’être traité de façon juste dans cette situation», affirme le président.
La parole en lieu et place d’un silence gêné. Susanne Gedamke, directrice de l’Organisation suisse des patients OSP, a déjà constaté combien l’expression des regrets par les spécialistes peut à elle seule désamorcer la situation. Si les spécialistes restent en retrait, «c’est très dur pour les patients». Ils ne se sentent pas considérés ni pris au sérieux, et souhaitent avec d’autant plus de véhémence une clarification par un tiers. Les recherches confirment cette tendance (voir interview p. 16 de l’expert en sécurité David Schwappach). L’OSP mène chaque année environ 400 enquêtes médicales préalables pour détecter l’existence d’une éventuelle erreur médicale au sens de la loi. Selon Susanne Gedamke, la volonté des patientes et des patients de recourir à la voie juridique «naît souvent de la détresse à la suite d’une communication non satisfaisante avec le médecin». Dans le même temps, les médecins déclarent sans cesse à l’OSP que les assureurs responsabilité civile leur interdisent de communiquer, ce qui est «aussi très pesant pour le médecin.»

Choisir les formules au cas par cas

Qu’en est-il alors du point de vue légal quand la responsabilité financière est inévitable? D’après Iris Herzog-Zwitter, du service juridique de la Fédération des médecins suisses FMH, tout dépend du contrat conclu avec l’assurance et du choix des mots lors de l’entretien. Si les informations factuelles et les mots compatissants sont recommandés, il faut éviter les affirmations précipitées telles que «Nous sommes responsables et allons tout assumer». D’expérience, la juriste sait que telle ou telle formule doit être choisie au cas par cas. Sur le plan légal, une indemnité n’est versée que, entre autres, si la violation de l’obligation de diligence est prouvée. Susanne Gedamke, de l’Organisation suisse des patients OSP, considère que cette «orientation vers la culpabilité» du droit suisse de la responsabilité civile rend plus difficile une communication ouverte et pèse sur la relation médecin-patientèle.
Elle renvoie aux modèles de la responsabilité objective en place dans d’autres pays qui ont instauré un fonds pour les patients victimes d’incidents médicaux. Dans la majorité des cas, il s’agit de compenser un dommage, et non d’accuser un médecin. D’autant plus que les médecins sont justement incités à communiquer lorsqu’ils sont face à une situation qui les met mal à l’aise. D’après plusieurs études, ils peuvent devenir la seconde victime («second victim») d’une erreur: en cas de soutien insuffisant, ils la paient parfois de leur propre santé [1]. Chaque année, cinq à sept collègues ayant commis une erreur contactent ReMed, le réseau de soutien de la FMH pour les médecins en situation de crise, principalement pour demander du soutien. «Ces personnes sont bouleversées et souvent livrées à elles-mêmes», affirme Peter Christen, membre de la direction du programme ReMed.

Sentiments de culpabilité et de honte

Titulaire d’une formation complémentaire en psychothérapie, ce médecin généraliste expérimenté constate chez ses collègues des sentiments de culpabilité et de honte à l’égard des patients, mais aussi de la déception vis-à-vis d’eux-mêmes et des doutes sur leurs compétences professionnelles, y compris lorsque l’erreur a pu être évitée de justesse. Parfois, les appels à ReMed pour cause de burn-out ou de dépression ont pour origine une erreur plus ancienne. Ces médecins subissent parfois des flashbacks lorsqu’ils travaillent. La mission de ReMed est d’être à l’écoute des collègues. Le médecin-conseil sait parfaitement que parler aide aussi à assimiler l’événement et à trouver comment sortir de la crise de manière constructive. Il est tout aussi important de prendre conscience d’une chose: aucun médecin n’est à l’abri d’une erreur. Peter Christen considère que parler avec la patiente ou le patient peut aussi contribuer à cette assimilation. Cela agit comme une «libération à long terme», pour les deux parties.
David Schwappach, les médecins assument-ils leurs erreurs face aux patientes et patients?
Il le faudrait dans tous les cas, et je crois qu’ils le font de plus en plus souvent. On a toutefois tendance à sous-estimer l’aspect suivant: personne n’aime faire des erreurs, et en parler n’est pas agréable, surtout face à la personne qui en est victime. Ce n’est pas spécifique à la médecine, on touche ici à des principes fondamentaux: à la base de l’activité médicale, il y a l’envie d’aider les gens, pas de leur faire du mal. Quand cela arrive, la situation devient affreuse. Probablement faut-il faire preuve d’autoréflexion et se dire: «Je résiste à la tentation de dissimuler ce qui se passe».
Les médecins redoutent pourtant des conséquences juridiques à la suite de leurs déclarations.
C’est un vrai problème: les médecins se taisent par peur que leurs propos entraînent des conséquences légales et de responsabilité civile pour eux ou leur institution. Pourtant, je crois que ce risque est surestimé. De très bonnes études démontrent que plus la communication est franche et sincère, plus le risque que les patients se tournent vers un avocat ou tout autre organe est faible.
Éviter une communication franche ne ferait que rajouter de l’huile sur le feu?
Exactement. Cela alimente un cercle vicieux au sein duquel le ou la médecin se sent généralement mal à l’aise. Les victimes vont alors plus loin dans leurs démarches, si elles en ont la force. Mais beaucoup n’en ont pas le courage. En principe, les médecins et les institutions doivent alors assumer leur responsabilité.
Le fait de présenter ses excuses est-il considéré comme un aveu de culpabilité?
Aucune assurance responsabilité civile n’interdit aux médecins de faire preuve d’empathie et d’informer de manière objective. Ce qu’il ne faut pas dire, c’est: «J’assumerai les dommages causés». La notion d’excuses est assez controversée: en Allemagne, on est aujourd’hui clairement autorisé à présenter des excuses alors qu’en Suisse, les juristes sont plus réticents. Je crois qu’en fin de compte, tout cela n’a aucun lien avec le fait de dire «Je vous demande pardon».
Interview: Susanne Wenger
Prof. Dr David Schwappach, MPH
Responsable du domaine de recherche majeur Sécurité des patients, à l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne.
La liste complète des références est disponible sur bullmed.ch ou via code QR.
1 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22653722/
(Communication dans le quotidien médical)