«L’avenir? Des thérapies ciblées et moins d’effets secondaires»

Wissen
Édition
2022/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21037
Bull Med Suisses. 2022;103(38):76-77

Publié le 20.09.2022

Cancer pédiatriqueLes thérapies innovantes comme l’immunothérapie suscitent de grands espoirs pour guérir les cancers infantiles résistants. Or la recherche dans ce domaine peine à avancer. Les explications de Dr méd. Nicolas Waespe, spécialiste en oncologie pédiatrique à l’Hôpital de l’Île à Berne.
Dr méd. Nicolas Waespe, quels sont les défis liés à la recherche en oncologie pédiatrique?
Ils sont de différentes natures. Le cancer pédiatrique est beaucoup plus rare que le cancer adulte: chaque année environ 300 enfants et adolescents sont diagnostiqués, contre environ 40 000 adultes. Ces enfants sont atteints de formes de cancer très diverses, on en compte une soixantaine. Chaque cancer nécessite un traitement adapté, ce qui constitue un défi. Il faut ouvrir pour cela des études spécifiques pour la pédiatrie. Comme le nombre de patients par étude est bas, il est difficile de trouver du financement. Or on a vraiment besoin de ces études.
Dans les années 1960, la majorité des enfants atteints de cancer mouraient. Aujourd’hui, quatre sur cinq guérissent. Faut-il encore mettre tant d’efforts dans la recherche?
Les progrès ont certes été fulgurants en soixante ans, mais il faut continuer sur cette voie afin de guérir les 10 à 20% d’enfants qui continuent de mourir d’un cancer. La recherche est également cruciale pour réduire les effets secondaires. À l’époque, le but premier était de guérir. Aujourd’hui, on constate de plus en plus qu’une grande partie des enfants guéris développent des complications plus tard dans la vie.
Quelles sont ces complications?
Cela dépend du type de cancer et du traitement. Certaines séquelles restent à vie et restreignent considérablement le quotidien. Souvent, les tumeurs solides nécessitent une opération, ce qui peut endommager le fonctionnement des organes ou mener à une amputation de membre. Certaines chimiothérapies augmentent le risque d’insuffisances cardiaques ou d’infarctus. D’autres traitements agissent sur les poumons ou l’ouïe. La radiothérapie peut influer sur la croissance de l’enfant ou engendrer une tumeur secondaire. La transplantation de cellules souches peut avoir des effets sur le système immunitaire et affecter la peau.
S’il y a tant d’effets secondaires, pourquoi continue-t-on de recourir aux approches conventionnelles?
Parce que ces thérapies sont très efficaces, elles ont fait leurs preuves, on les connaît bien, de même que leurs effets à long terme. Elles continueront donc d’être utilisées. L’objectif désormais est de traiter les tumeurs de la manière la plus ciblée possible afin qu’il y ait le moins d’effets secondaires possible. C’est un défi, mais les efforts en ce sens portent leurs fruits.
Justement, quelles sont ces thérapies innovantes?
On administre de plus en plus des anticorps, qui attaquent les tumeurs de manière ciblée. Ces anticorps se lient sur les cellules cancéreuses présentant des particules spécifiques. Le système immunitaire reconnaît cette cellule liée et l’élimine. Cette technique est par exemple efficace contre certaines leucémies. D’autres leucémies ne présentent pas la protéine nécessaire à la surface et ne répondent pas. Il existe aussi des traitements par «petites molécules» qui bloquent certains mécanismes au sein de la cellule cancéreuse et stoppent sa multiplication.
Qu’en est-il des thérapies par cellules CAR-T? Sont-elles aussi efficaces chez les enfants?
Elles peuvent être très efficaces, mais là encore, cela dépend de la forme du cancer. Avec cette thérapie, on prélève chez la personne malade des cellules immunitaires que l’on modifie de manière ciblée pour qu’elles puissent reconnaître et détruire les cellules cancéreuses. Ces cellules modifiées sont injectées à la personne et se multiplient dans le corps pour combattre le cancer.
Y a-t-il moins d’effets indésirables avec ces nouveaux traitements ?
Les thérapies qui stimulent le système immunitaire peuvent causer des réactions allergiques, des rougeurs de la peau, des chutes de tension, voire des problèmes pulmonaires. On commence à mieux comprendre ces réactions et il existe des traitements spécifiques pour diminuer ces effets.
Et les séquelles à long terme?
Ces thérapies étant nouvelles, nous ne connaissons encore pas bien leurs effets dix ou vingt ans plus tard. Mais nous avons l’espoir que les traitements plus ciblés aient moins d’effets secondaires. Là aussi, il est important de mener des études pour mieux comprendre les effets à long terme de ces traitements plus ciblés.
Vous le disiez avant, il est difficile d’ouvrir des protocoles d’études…
L’industrie pharmaceutique a peu d’intérêt à développer des médicaments spécifiquement pour les enfants. Nous devons souvent utiliser des traitements pour adultes, ce qui n’est pas toujours adapté. Nous le faisons par exemple avec un enfant atteint d’une tumeur cérébrale difficile à traiter. Il devrait y avoir plus de pression politique pour que l’industrie mène des études en oncologie pédiatrique. À cela s’ajoutent les importantes démarches pour ouvrir un protocole. Un contrôle éthique rigoureux est judicieux, mais il y a trop de bureaucratie. Je vois là un potentiel d’amélioration.
Cela entrave-t-il l’accessibilité de ces traitements?
Nous avons la chance d’avoir un très bon système de santé et des standards très élevés, qui nous donnent accès à la plupart de ces traitements. Toutefois, il peut être plus difficile de se procurer une thérapie ciblée, les démarches étant plus grandes. Heureusement, les sociétés pharmaceutiques coopèrent la plupart du temps et nous pouvons compter sur notre réseau international.
Ces thérapies de pointe sont souvent très chères…
Oui, mais je vois cela comme un investissement pour la vie d’un enfant en croissance. L’enfant pourra continuer son parcours de vie, aller à l’école, exercer un métier. C’est un investissement qui profite à toute la société.

Campagne de Cancer de l’Enfant en Suisse: L’Espoir de la guérison

Fondée en 2015, l’organisation faîtière Cancer de l’Enfant en Suisse sensibilise le grand public au cancer pédiatrique et s’engage en faveur des enfants et familles concernés. Elle consacre annuellement plus de 250 000 francs à des projets de recherche qui visent à améliorer les chances de survie des enfants malades et à réduire les effets à long terme de la maladie et des traitements. Sa campagne actuelle, qui dure jusqu’en novembre, se focalise sur l’importance de la recherche dans ce domaine afin de faire progresser les traitements. Plus d’infos: www.kinderkrebs-schweiz.ch/fr/actualites/campagnes/l-espoir-de-la-guerison
Dr méd. Nicolas Waespe
Il est oncologue hématologue pédiatrique et travaille en tant que chef de clinique à l’Hôpital de l’Île de Berne. Après ses études à Bâle et à Paris, il a effectué un fellowship à Toronto, au Canada, où il a suivi une formation approfondie en génétique des cancers.
Près de 300 enfants et adolescents reçoivent chaque année un diagnostic de cancer en Suisse.
© Windnight / Dreamstime