Tempora mutantur...

Zu guter Letzt
Édition
2022/35
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20984
Bull Med Suisses. 2022;103(35):1130

Affiliations
Prof. Dr méd., membre de la rédaction

Publié le 30.08.2022

Quand on prend de l’âge, l’étendue des souvenirs s’accroît et si on a bien connu ses grands-parents, comme j’en ai eu la chance, ces souvenirs peuvent recouvrir plus d’un siècle. Ceci permet de donner un autre regard à certains faits et aussi de constater à quel point on a changé soi-même: …nos et mutamur in illis.
Par exemple, le rôle de la femme: ma grand-mère dirigeait une petite entreprise. Avec huit enfants en 17 ans, elle était la maîtresse de maison. Il fallait organiser le nettoyage, la cuisine, la lessive mensuelle avec le repassage le lendemain, les anniversaires, les commissions journalières (il n’y avait ni frigidaire ni machine à laver), la gestion de l’argent. Pendant que mon grand-père travaillait comme médecin-chirurgien, c’était elle qui s’occupait des soins et de l’éducation des enfants. Elle ne s’intéressait guère à la politique et aurait voté non au vote des femmes. Elle ne sortait jamais sans se ­couvrir d’un chapeau, comme toutes les femmes à l’époque. Je la connaissais bien et je crois qu’elle était heureuse – nous avions tous fêté joyeusement son mariage de diamant avec mon grand-père. Dans le monde, il existe encore des sociétés qui n’ont pas subi ces changements et où les femmes ont l’habitude de s’occuper de la maison et de se couvrir les cheveux. Quand nous les critiquons, rappelons-­nous à quel point le rôle la femme a changé sous nos ­latitudes en moins d’un siècle!
Avec leurs huit enfants, mes grands-parents ne pouvaient chauffer qu’une seule chambre à 17°C durant la Première Guerre mondiale. S’en souvenir peut nous ­aider à accepter la perspective de devoir baisser cet ­automne la température de nos intérieurs de 23 à 21°C. Ou de manger moins de viande. Même moi, j’ai vécu la période quand beurre, farine, viande et lait étaient ­rationnés pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

…nos et mutamur in illis

Comme on peut changer avec les années! Jeune étudiant, j’étais un fervent partisan de l’idée de raser une partie de la vielle ville de Bâle afin de laisser de la place aux voitures. On était moderne et croyait au progrès. Heureusement, un vote populaire a sauvé une partie de cette belle ville.
Dans le service de médecine que je dirigeais entre 1978 et 1986, il y avait aussi un hôpital de malades chroniques avec une excellente équipe de soins. On y soignait depuis plusieurs années une patiente d’une soixantaine d’années qui était restée comateuse après une apoplexie – alimentation artificielle, aucune ­escarre. Quand sa fille m’a supplié de la laisser mourir, je refusai net. N’étais-je pas lié par le serment d’Hippocrate? Il faut se rappeler que mon collègue de l’hôpital Triemli, le Dr Urs Peter Haemmerli, fut suspendu et poursuivi pénalement quelques années auparavant pour avoir laissé mourir certains patients. La plupart des médecins et moi aussi avons changé notre avis sur le thème de l’euthanasie. N’est-il pas normal que chez d’autres collègues ou dans d’autres sociétés ces changements n’ont pas encore eu lieu?
Prenons encore l’exemple de l’éthique: pouvez-vous vous imaginer que pendant la période susmentionnée il n’y avait pas de commission d’éthique dans le canton? «L’éthique, c’est moi!» disait mon collègue chi­rurgien quand je suggérais la création d’une telle ­commission lors d’une réunion des chefs de service.
Et les exemples ne s’arrêtent pas là: l’homosexualité était une maladie, les soins intensifs étaient réservés aux moins de 70 ans, les gardes duraient de vendredi à lundi matin, le burnout n’existait pas encore, etc.
Tempora mutantur. Le Bulletin des médecins suisses changera aussi. Nos et mutamur in illis? On verra bien! Il est connu qu’à mon âge mutare devient un peu plus ­difficile et vous comprendrez bien que je n’écrirai plus un énième «Et encore» après plus de 15 ans en qualité d’éditorialiste amateur.
hans.stalder[at]saez.ch