Sondage de la FMH sur les applications numériques dans les domaines de la prévention et du suivi

«There is an app for that»: musique d’avenir ou quotidien médical?

FMH
Édition
2022/3132
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20948
Bull Med Suisses. 2022;103(3132):962-965

Affiliations
a Dre rer. nat., cheffe suppléante de la division Numérisation/eHealth de la FMH; b Dr rer. biol. hum, chef de la division Numérisation/eHealth de la FMH

Publié le 03.08.2022

Quelle place occupent en Suisse les quelque 300 000 applications numériques de santé disponibles? Quel rôle faut-il leur attribuer en ce qui concerne la prévention et le suivi médical, aujourd’hui et demain? Font-elles déjà partie intégrante du quotidien médical ou sont-elles seulement à considérer comme musique d’avenir? Face à ces interrogations, le Digital Trends Survey 2022 fournit des réponses.
Mené par la FMH pour la troisième fois, le Digital Trends Survey s’oriente sur le concept du parcours du patient (patient journey). Il doit permettre l’évaluation subjective – du point de vue du corps médical et de la population – de l’utilité des nouvelles applications ­numériques de santé et des besoins en la matière. Cette année, l’accent est mis sur les applications numériques qui soutiennent la prévention et le suivi. Le sondage 2021 [1] était consacré aux applications numériques utilisées pendant le traitement – celui de 2019 [2], avant le traitement.
Diverses questions ont été abordées dans l’édition de cette année. Quelles applications numériques de santé dans les domaines de la prévention et du suivi intéressent le corps médical suisse? Lesquelles sont proposées aux patients? Quelles expériences les médecins ont-ils fait en la matière? Et quelles applications ­numériques demande la population suisse?
L’étude complète du Digital Trends Survey 2022 peut être consultée sur www.fmh.ch/fr/themes/ehealth/tendances-et-technologies.cfm.
National Cancer Institute / Unsplash

Méthode

Un sondage en ligne a été réalisé de décembre 2021 à janvier 2022, auprès de 487 médecins travaillant dans le secteur ambulatoire et de 2002 personnes domiciliées en Suisse (≥18 ans). La figure 1 présente la répartition par âge et par sexe des personnes interrogées. La méthode et le questionnaire ont été développés conjointement avec des médecins et gfs.bern. Le questionnaire comportait des questions fermées classiques et des batteries de questions. La validité du questionnaire a été vérifiée au moyen de prétests cognitifs et quantitatifs.
Figure 1: Répartition des échantillons par âge et par sexe.

Les applications numériques ont du potentiel

A ce jour, peu de médecins proposent, dans leur cabinet ou leur institution, les applications numériques de prévention ou de suivi mentionnées dans le cadre du sondage. Les offres numériques les plus proposées à des fins de prévention (figure 2) comprennent: des applis ou des smartwatches pour observer les paramètres vitaux pour des tableaux cliniques susceptibles de se développer (p. ex. hypertension artérielle), ainsi que des tests disponibles en ligne pour estimer le risque ou l’ampleur d’une addiction (7% chacune). Les offres ­numériques les plus proposées pour le suivi après un traitement médical (figure 2) comprennent: les plans de médication électroniques pour améliorer la prise correcte des médicaments (11%) et les applis associées à des dispositifs auxiliaires (p. ex. appareils délivrant des doses, d’injection, de mesure) pour améliorer l’autogestion et la thérapie correcte des maladies chroniques (7%).
Figure 2: Les applications numériques de santé les plus fréquemment proposées pour la prévention et le suivi.
Cette observation appuie la constatation que seul un médecin interrogé sur sept estime avoir exploité le potentiel actuel des soins de santé numériques. Parmi la population, une personne interrogée sur cinq pense que ce potentiel est pleinement exploité. A quoi pourrait être due une telle réticence à utiliser ces aides ­numériques à la prévention et au suivi?
Les résultats du Digital Trends Survey 2022 réfutent les quatre hypothèses suivantes.

L’hypothèse 1 postule que les médecins suisses considèrent les aides numériques comme sans importance en matière de soins, et ne les utilisent donc presque pas.

Les résultats du sondage montrent la grande importance que le corps médical suisse accorde aux applications numériques de santé. Comme précédemment, 85% des médecins interrogés se déclarent plutôt ou tout à fait d’accord avec le fait que l’utilisation des possibilités numériques est importante pour les soins de santé. Le corps médical reste donc convaincu de l’importance de la numérisation dans la prise en charge des patients. Cela se reflète également dans le fait que 65% des médecins interrogés s’estiment d’accord avec l’argument selon lequel une nouvelle plate-forme ­numérique de vaccination s’avère nécessaire. En outre, 68% des médecins indiquent qu’une telle plate-forme devrait être intégrée au dossier médical électronique. Par ailleurs, 71% des médecins gèrent déjà les dossiers médicaux de manière électronique, et plus de la moitié d’entre eux soutiennent l’introduction du dossier électronique du patient (DEP) ainsi que le prévoit la loi ­fédérale (LDEP) [3].

L’hypothèse 2 postule que les médecins ne connaissent pas les applications numériques de santé mentionnées dans le cadre du sondage à des fins de prévention et de suivi, et ne les proposent donc pas.

Le corps médical ne connaît effectivement pas la majorité des applications numériques de santé mentionnées dans ce sondage. Toutefois, la plupart des médecins interrogés connaissent: les applis ou smartwatches pour observer les paramètres vitaux pour des tableaux cliniques susceptibles de se développer (p. ex. hypertension artérielle) (69%), les applis pour observer le comportement orienté vers la santé, à des fins de prévention (p. ex. diabète, maladie coronarienne) (53%) et les applis combinées à des capteurs à finalités d’entraînement chez soi (p. ex. analyse de la mobilité) (52%), ainsi que, pour le suivi médical, les plans de médication électroniques pour améliorer la prise correcte des médicaments (52%). En ce sens, cette seule hypothèse ne peut pas motiver leur réticence à utiliser les applications numériques de santé à des fins de prévention ou de suivi.

L’hypothèse 3 postule que les applications numériques de santé destinées à soutenir la prévention et le suivi n’intéressent fondamentalement pas les médecins.

Les résultats du Digital Trends Survey 2022 ne soutiennent simplement pas cette hypothèse. En effet, la majorité du corps médical s’intéresse aux plans de médication électroniques pour améliorer la prise correcte des médicaments (64%) et aux applis pour soutenir la prise correcte de médicaments (60%). Ainsi, les applications numériques visant à améliorer et à soutenir la prise correcte de médicaments par les patients suscitent un réel intérêt auprès des médecins interrogés.

L’hypothèse 4 postule que les médecins qui utilisent déjà des applications numériques de santé à des fins de prévention ou de suivi en font de mauvaises expériences, ce qui expliquerait pourquoi leurs collègues ne les utilisent pas.

Les résultats du sondage ne confirment pas non plus cette hypothèse. Les quelques médecins qui proposent déjà des applications numériques de soutien à la prévention et/ou au suivi dans leur cabinet ou institution mentionnent majoritairement des expériences plutôt à très bonnes. Par exemple, 83% de ces médecins indiquent avoir fait de plutôt à très bonnes expériences avec des applis ou smartwatches pour observer les ­paramètres vitaux pour des tableaux cliniques susceptibles de se développer.
Afin d’identifier les raisons valables pour lesquelles les médecins suisses font si peu usage des applis numériques de santé, nous discuterons ici les arguments mentionnés dans le sondage qui ont été acceptés tant par le corps médical que par la population suisse.

Argument 1 – Il faut un organisme national d’évaluation chargé d’apprécier la valeur ajoutée médicale des applications numériques de santé.

Huit médecins sur dix se déclarent favorables à la publication par la Confédération d’un catalogue d’applications numériques de santé recommandées, qui exposerait les preuves scientifiques de l’efficacité et l’utilité de celles-ci. La proportion de la population qui le souhaite s’avère tout aussi importante. Il s’agit là d’exprimer un besoin qui n’a pas été satisfait jusqu’à présent. En effet, contrairement à d’autres pays (tels que l’Allemagne [4] ou la Belgique [5]) qui prévoient et règlementent l’utilisation des applis à des fins thérapeutiques, la Suisse ne dispose pas d’informations sur la qualité médicale des indications fournies par les fabricants, ni de preuves scientifiques de l’utilité de ces ­applications. Il n’est donc pas étonnant que 85% des médecins interrogés trouvent difficile de garder une vue d’ensemble des multiples applications numériques disponibles pour chaque maladie. En conséquence, les médecins suisses sont laissés à eux-mêmes pour répondre à des questions comme celles qui suivent. Parmi l’offre variée, quelle appli dois-je choisir pour le tableau clinique spécifique que présente une certaine personne? L’efficacité médicale de cette appli a-t-elle été testée? L’application numérique choisie exercera-t-elle une influence positive durable sur l’état de santé de ma patiente, ou aidera-t-elle mon patient à surmonter sa maladie? Existe-t-il de bonnes alternatives à l’appli numérique que j’ai choisie?

Argument 2 – Les applis de santé devraient pouvoir être prescrites par le médecin et remboursées par l’assurance-maladie, car elles offrent une forme alternative de thérapie.

En Suisse, ce n’est pas seulement le choix et l’évaluation des applications numériques de santé qui sont laissés à l’appréciation de chaque médecin, mais également leur financement. Dans d’autres pays, cette question est déjà réglée. En Allemagne, par exemple, les ­applications numériques de santé (digitale Gesund-
heitsanwendungen, DiGA) [4] et les applications numériques de soins (digitale Pflegeanwendungen, DiPA) [6] qui reçoivent une évaluation positive par l’Institut fédéral allemand des médicaments et des dispositifs médicaux (Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizin­produkte, BfArM) se trouvent répertoriées et peuvent dès lors être prescrites à la charge de l’assurance-maladie. En France, le remboursement des applications ­numériques de santé considérées comme des dispositifs médicaux dépend de leur inscription sur la Liste des produits et prestations remboursables (LPPR) [7]. Les applis de surveillance à distance pour le suivi de l’insuffisance cardiaque, de l’insuffisance rénale, de l’insuffisance respiratoire ou du diabète peuvent y être remboursées via le projet ETAPES (Expérimentation de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé) [8]. En Suisse, près de la moitié (49%) des médecins interrogés se prononcent en faveur de la possibilité d’une prescription médicale et d’un remboursement des applications numériques de santé par l’assurance-maladie.

Argument 3 – L’excès de données générées par les applications numériques de santé entraîne rapidement une confusion qui peut entraver le devoir de diligence du médecin.

Parmi les médecins interrogés, 73% se déclarent d’accord avec cette affirmation. Parallèlement, ils sont tout aussi nombreux à estimer nécessaire de mieux être sensibilisés à l’utilisation des données de santé numériques. La même proportion du corps médical estime que les médecins doivent être formés à l’utilisation et à l’interprétation des applis de santé, ainsi qu’à la communication à leur sujet. La population se prononce également dans ce sens: huit personnes interrogées sur dix pensent que les patients sans affinité avec le numérique ont besoin d’une bonne formation pour utiliser et interpréter les applis de santé.

Argument 4 – Les applis de santé présupposent, chez les patients, de hautes compétences numériques et connaissances de base en matière de santé.

Deux tiers des médecins sont convaincus que l’utilisation des applications numériques de santé exige, chez les patients, de hautes compétences numériques et des connaissances élevées en matière de santé. Mais la population suisse dispose-t-elle de telles compétences numériques dans le domaine de la santé? L’enquête suisse sur la littératie en santé (Health Literacy Survey 2019–2021) montre de manière éloquente qu’une grande partie de la population présente des difficultés à utiliser les applications et informations numériques de santé [9]. Ce résultat met en évidence un obstacle à franchir avant de pouvoir proposer davantage d’applications numériques de santé à la population suisse.

Conclusion – De quoi a-t-on besoin?

Les applications numériques de santé peuvent effectivement soutenir et améliorer les soins médicaux [10]. Les résultats du Digital Trends Survey 2022 permettent de déduire les conditions à satisfaire pour exploiter ce potentiel largement reconnu.
Afin que les applications numériques de santé deviennent une mesure d’accompagnement thérapeutique à prendre au sérieux et gagnent leur place dans le quotidien médical, il faut:
– un organisme national d’évaluation chargé d’apprécier la valeur ajoutée médicale des applications ­numériques de santé;
– un programme adéquat de formation médicale initiale, postgraduée et continue pour enseigner aux médecins l’utilisation et la gestion des applications numériques de santé;
– une rémunération et une tarification appropriées pour les médecins qui souhaitent recourir à des applications numériques de santé.
Pour concrétiser la conception de l’organe national d’évaluation souhaité, du programme de formation médicale initiale, postgraduée et continue, ainsi que de la tarification, la Suisse peut profiter des expériences d’autres pays qui permettent déjà la prescription d’applications numériques de santé. Par exemple, les coûts des applications numériques de santé ne devraient pas dépasser la rémunération des prestations médicales fournies de manière conventionnelle [6]. Toutes les personnes interrogées cette année conviennent également que les applications numériques de santé doivent compléter le traitement médical, et en aucun cas le remplacer.
Les experts s’accordent à dire que les applications ­numériques de santé doivent répondre aux diverses exigences, tant celles des patients que celles des fournisseurs de prestations médicales. De même, les applications numériques de santé ne servent pas à remplacer la relation entre patients et médecins – leur rôle est, au contraire, de la promouvoir.
ehealth[at]fmh.ch
3 Golder, L., Jans, C., Ivankovic, M. & Kress, J. SWISS EHEALTH BAROMETER 2020. GFS.Bern 1–73. 2020.
4 Ludewig, G., Klose, C., Hunze, L. et al. Digitale Gesundheitsanwendungen: gesetzliche Einführung patientenzentrierter digitaler Innovationen in die Gesundheitsversorgung. Bundesgesundheitsbl 64, 1198–1206. 2021.
5 mhealthbelgium.be/news/persbericht-duidelijk-financieringskader-nodig-voor-doorbraak-medische-apps-in-belgie-4
7 LPPR: Dossier submission to the Medical Device and Health Technology Evaluation Committee (CNEDiMTS): www.has-sante.fr/jcms/c_2964238/en/guide-to-the-specific-feactures-of-clinical-evaluation-of-connected-medical-device-cmd-in-viewof-its-application-for-reimbursement
8 MedTech Europe. Recognising the value of digital health apps: An assessment of five European healthcare systems. Positions Paper. 2021. www.medtecheurope.org/wp-content/uploads/2021/11/2111_v4.8_mte_dht_reimbursement16.11.2021-2.pdf
9 De Gani, S. M., Jaks, R., Bieri, U., Kocher, J. Ph. Health Literacy Survey Schweiz 2019–2021. Schlussbericht im Auftrag des Bundesamtes für Gesundheit BAG. Zürich, Careum Stiftung. 2021.
10 GKV Spitzenverband. Bericht des GKV-Spitzenverbandes über die Inanspruchnahme und Entwicklung der Versorgung mit Digitalen Gesundheitsanwendungen. gemäß § 33a Absatz 6 SGB V. Berichtszeitraum: 01.09.2020 – 30.09.2021