Enfants et adolescents migrants

Prise en charge médicale des réfugiés mineurs d'Ukraine

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Édition
2022/3132
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20927
Bull Med Suisses. 2022;103(3132):974-977

Affiliations
Pour le groupe de référence pour la santé des migrants de pédiatrie suisse et le Paediatric Infectious Disease Group of Switzerland (PIGS)

Publié le 03.08.2022

Depuis février 2022, plus de 55 000 personnes d’origine ukrainienne, majoritairement des femmes et des enfants, ont trouvé ­refuge en Suisse. Le statut de protection S leur confère un droit aux soins médicaux. Pédiatrie suisse et le PIGS ont élaboré des recommandations pour garantir leur prise en charge optimale.
L’invasion de l’Ukraine par les troupes russes en février 2022 a déclenché une vague de réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 55 000 ­fugitifs, pour la plupart des femmes et des enfants, se sont déjà vus accorder en Suisse le statut de protection par l’obtention d’un permis S, qui leur garantit, outre le droit de séjour, des soins de santé selon la LAMal. L’objectif d’une coordination cantonale et fédérale ainsi que de recommandations pédiatriques est de donner aux enfants arrivés en Suisse les mêmes chances en matière de santé qu’aux enfants qui grandissent en Suisse.
Afin d’aider les pédiatres et les généralistes qui s’occupent de mineurs réfugiés d’Ukraine, le groupe de ­référence pour la santé des migrants de pédiatrie suisse et le PIGS (Paediatric Infectious Disease Group of Switzerland) ont élaboré des recommandations consensuelles correspondant à l’état actuel des connaissances. Ces recommandations doivent être adaptées aux besoins individuels des patients et de leurs familles.
Michele Ursi | Dreamstime.com

L’état de santé des personnes ­migrantes

Avant février 2022, les conflits dans l’est du pays avaient déjà conduit à une vague de migration interne avec plus de 200 000 enfants déplacés. Les conflits ont perturbé l’accès aux soins dans ces zones, dans un contexte sanitaire déjà peu uniforme en Ukraine. La mortalité infantile est deux fois plus élevée en Ukraine qu’en Suisse, la tuberculose présente des souches multirésistantes, il existe des taux élevés d’hépatite C et des flambées isolées de poliomyélite vaccinale sont observées. Alors qu’un programme national VIH mère-enfant a couvert jusqu’à 97% des femmes enceintes et a permis de réduire massivement les taux de transmission verticale, le dépistage des hépatites B et C pour les femmes enceintes reste incomplet. Des examens de prévention sont prévus. Le calendrier de vaccination diffère quelque peu des recommandations suisses et la couverture vaccinale peut être affectée par crainte de mauvaise qualité des vaccins ou par des ruptures de stock [1].
La migration en vue de fuir la guerre signifie pour la plupart des mineurs une séparation d’avec leurs pères, car ceux-ci ne sont généralement pas autorisés à quitter le pays. Les conditions dans lesquelles les familles prennent la fuite peuvent augmenter le risque d’infections et d’autres vulnérabilités. S’installer en Suisse n’est pas toujours facile, et ce, non seulement en raison de la langue: les formalités, un nouveau quotidien, la disparition des ressources de prise en charge et des projets ou emplois potentiellement porteurs de sens, l’inquiétude pour ceux qui sont restés au pays, la colère face à la guerre, et les craintes pour l’avenir peuvent également affecter les enfants, les adolescents et les principaux adultes référents, raison pour laquelle il est indispensable de s’enquérir de la situation psychosociale et sanitaire des familles. Le tableau à la page suivante reprend les principales recommandations pour les professionnels de la santé.
Figure 1: Les enfants et adolescents ukrainiens qui ont fui leur pays doivent être examinés attentivement en Suisse. Il est ­important de tenir compte des aspects psychologiques et sociaux pour une prise en charge optimale.­
En raison de la fuite, les documents de vaccination ne sont pas toujours disponibles, mais des photos peuvent souvent être organisées par les accompagnants. En ­général, il faut partir du principe que les enfants de moins de 6 ans n’ont reçu qu’une seule dose de vaccin contre la rougeole et les oreillons, raison pour laquelle un vaccin ROR peut être proposé sans attendre une documentation photographique – contrairement à d’autres vaccinations. Sur le site Internet de pédiatrie suisse, vous trouverez, entre autres documents utiles, un certificat de vaccination ukrainien avec traduction. [3].
La situation psychologique et sociale des enfants, des adolescents et des personnes adultes de référence devrait faire l’objet d’une attention particulière. Un soutien à bas seuil et des offres sociales, comme des lieux de rencontre avec d’autres personnes concernées peuvent déjà apporter un soutien aux familles [4]. Un suivi psychologique ou psychiatrique ou une inscription au Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre de la Croix-Rouge suisse sont à considérer en cas de besoin.
Souvent, les personnes ukrainiennes ayant fui la guerre sont hébergées temporairement dans des familles. D’autres arrivent d’abord dans des foyers avant d’être réorientées. En outre, l’espoir d’un retour existe. Afin que les informations médicales soient disponibles pour la famille des patientes et patients ainsi que pour les professionnels de la santé, elles ­devraient être transmises aux personnes de référence, idéalement sous forme électronique et sur papier (vaccinations, résultats, consultations, procédures discutées, etc.) Il peut également être utile de remplir le carnet de santé (en particulier les pages 30/31 pour les nouveaux arrivants), qui peut être commandé gratuitement sur le site Internet de la CSS [5].
Recommandations
Communication
Déterminer le besoin d’intervention d’un interprète et informer tous les interprètes volontaires de la confidentialité/du ­secret médical et s’assurer que le patient et la famille peuvent parler ouvertement.
Genéralités
Identifier les problèmes ­médicaux pressants• Maladie aiguë ou chronique nécessitant un traitement sans délai, médicaments manquants
• Besoin de protection ou d’isolement
Anamnèse • Maladies chroniques, problèmes de santé/de développement connus.
• Traitement curatif et préventif antérieur et conseils reçus.
• Transit, date d’arrivée, situation actuelle en Suisse (logement, sentiment de sécurité, scolarisation, garde des enfants, situation financière, situation familiale, contacts sociaux, loisirs, ressources).
• Evaluer les besoins des personnes qui s’occupent principalement des enfants (santé/stabilité/disponibilité affective/soutien pour la garde des enfants).
Status • Effectuer un examen préventif approfondi et adapté à l’âge de l’enfant selon la check-list de pédiatrie suisse [2].
Santé mentale
Evaluation du bien-être ­psychique, recherche 
d’une détresse et 
d’un besoin de traitement• Eviter d’investiguer les détails traumatiques.
• Rechercher des symptômes de souffrance psychique: troubles du sommeil, cauchemars, changements de comportement, hypervigilance, énurésie récente, crises d’angoisse, dépression, etc. et s’assurer que le patient et sa famille se sentent en sécurité.
• Evaluer les besoins des enfants/adolescents/parents/soignants en matière de soutien psychosocial/soins spécialisés.
Vaccinations
Assurer la protection ­vaccinale• En règle générale, seules les vaccinations documentées doivent être prises en compte.
• S’assurer d’une bonne protection vaccinale et, si nécessaire, proposer de vacciner selon les recommandations suisses (OFSP).
• Tous les vaccins de rappel DTPa/dTpa devraient également inclure la poliomyélite (IPV), même pour les adolescents, pour lesquels une dose d’IPV est proposée.
• La deuxième dose du vaccin contre la rougeole n’est administrée qu’à l’âge de 6 ans en Ukraine: proposer de vacciner sans attendre les enfants de moins de 6 ans contre la rougeole.
• 3 doses d’hépatite B (jour de naissance, 2 mois, 6 mois) peuvent être acceptées.
• Le taux d’anticorps contre l’anatoxine tétanique peut être déterminé 4 semaines après une dose unique d’un vaccin combiné adapté à l’âge et contenant l’anatoxine tétanique (y compris la polio), afin de déterminer si une autre vaccination de rattrapage est nécessaire. La vaccination contre la varicelle doit également être envisagée pour les enfants de moins de 11 ans qui vivent dans des centres d’asile pour une période prolongée si l’enfant n’a pas contracté la maladie oureçu la vaccination auparavant.
Dépistage
Rechercher les maladies transmissibles ou métaboliques• Le dépistage de la tuberculose par Mantoux ou IGRA devrait être proposé à tous. Il peut être effectué en même temps que d’autres analyses de sang, à condition qu’il n’y ait pas d’exposition/de symptômes dans l’anamnèse. Le dépistage peut être effectué simultanément, mais non dans les 4 semaines suivant la vaccination contre la rougeole.
• VIH 1/2: une sérologie devrait être proposée en particulier en l’absence d’un test VIH négatif fiable de la mère pendant la grossesse et/ou en cas d’exposition/de facteurs de risque.
• Hépatite B: une sérologie devrait être proposée si aucune vaccination complète contre l’hépatite B n’a été effectuée dans le passé (3 doses).
• Hépatite C: une sérologie devrait être proposée.
• Dépistage néonatal (Guthrie): pour les nourrissons nés en Ukraine <= 6 mois, un dépistage néonatal CH peut être envisagé, indépendamment d’un dépistage néonatal ukrainien ­antérieur.
Informations et documentations
Transmettre aux adultes responsables de l’enfant• Donner des informations de prévention adaptées à l’âge, informer sur les services de santé,sur la prise en charge des coûts, et sur les personnes à contacter en cas d’urgence (y compris le numéro d’urgence 144 pour les urgences vitales).
• La documentation des consultations (diagnostics, vaccinations, résultats d’examens, propositions etc.) devrait être remise - si possible sous forme électronique et sur papier - ­au ­­parent/responsable qui accompagne l’enfant.

Préserver la santé des plus vulnérables

Comme beaucoup de médecins de famille et de pédiatres sont déjà bien occupés, ces recommandations peuvent sembler lourdes à appliquer. Il est important de souligner qu’il s’agit en fait d’un bilan pédiatrique classique de cabinet, avec potentiellement peu de dépistages supplémentaires. Un accent doit être mis sur le rattrapage vaccinal et une attention particulière doit être accordée aux besoins socio-émotionnels chez ­certaines familles, marquées par l’expérience de la guerre et de la migration forcée. Le site Internet de pédiatrie suisse est régulièrement mis à jour avec des informations et des liens utiles.
Certains cantons bénéficient de consultations pour migrants, d’autres en ont mis en place et certains mettent déjà gratuitement à disposition des interprètes. S’assurer que les enfants et les jeunes puissent rentrer chez eux en aussi bonne santé que possible à la fin du conflit peut-être une contribution à la reconstruction de l’Ukraine. Nous remercions toutes celles et ceux qui s’engagent pour la santé des enfants, des jeunes et de leur famille dans cette situation de vulnérabilité et de besoin de protection.
Cet article a été publié pour la première fois le 31 mai 2022 dans Swiss Medical Weekly [6]. Les affiliations des auteurs peuvent y être consultées.

L’essentiel en bref

• Plus de 55 000 personnes ukrainiennes, pour la plupart des femmes et des enfants, ont obtenu le permis S en Suisse depuis février 2022.
• Le statut de protection S leur confère un droit à l’hébergement, à ­l’assistance et aux soins médicaux.
• Afin d’aider les pédiatres et les généralistes qui s’occupent de mineurs réfugiés d’Ukraine, le groupe de référence pour la santé des migrants de pédiatrie suisse et le PIGS (Paediatric Infectious Disease Group of Switzerland) ont élaboré des recommandations consensuelles.
• Les recommandations complètes sur lesquelles se base cet article sont disponibles ici: Paediatric Refugees from Ukraine: Guidance for health care professionals https://smw.ch/article/doi/smw.2022.w30200.
fabienne.jaeger[at]unibas.ch
4 Voir par exemple «Femmes-Tische» : https://www.femmestische.ch/fr/centres-regionaux-27.html).
5 https://www.css.ch/fr/fournisseur-de-prestations/partenariat/devenir-partenaire/services-patients.html.
6 Jaeger FN, Berger C, Buettcher M, Depallens S, Heininger U, Heller Y, et al.; Migrant Health Reference Group of Paediatrics Switzerland; Paediatric Infectious Disease Group in Switzerland (PIGS). Paediatric refugees from Ukraine: guidance for health care providers. Swiss Med Wkly. 2022;152:w30200. doi: 10.4414/smw.2022.w30200.