Les faibles doses d'irradiation ont des effets sur la santé

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Édition
2022/36
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20871
Bull Med Suisses. 2022;103(36):37-39

Affiliations
a Dr en médecine interne / oncologie FMH; b Dr en médecine interne FMH; c Pr émérite en radiologie, FMH; d Dr en médecine interne générale, FMH, médecin urgentiste SSMUS/FMH, médecin urgentiste chef, CU en médecine de catastrophe (Paris/Amiens), président de PSR/IPPNW Suisse, e Pr émérite en médecine interne / oncologie FMH, président de l’institut de recherche oncologique (IOR), Bellinzone; f Pr émérite en pharmacologie, EPF

Publié le 06.09.2022

RadioprotectionDatant de 2007, les directives actuelles de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) sont en partie dépassées. Les résultats de plus de 20 études épidémiologiques menées au cours des quinze dernières années montrent que les faibles doses de rayonnement présentent des risques pour la santé. Une raison de mieux tenir compte des données médicales afin de protéger la population.
En 2018, le relâchement des ordonnances dans le domaine de l’énergie nucléaire a conduit PSR/IPPNW Suisse à mettre en garde contre une «érosion de la radioprotection» [1]. La Commission de radioprotection de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) s’est également opposée sur le fond à la révision. Cela a motivé un postulat du Conseil des Etats, lequel demande d’établir «des comparaisons avec les recommandations et valeurs limites en vigueur à l’échelon international ainsi qu’avec les conclusions scientifiques concernant les radiations ionisantes à faibles doses». Le Conseil fédéral a proposé début 2019 d’accepter ce postulat [2].

Fiche d’information incorrecte

Sur la «fiche d’information» de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) du 7 décembre 2018 [3], on peut lire: «Des évaluations statistiques effectuées sur de grands groupes de population montrent qu’aucun effet sur la santé n’est décelable pour des doses de rayonnement inférieures à 100 mSv». Cette affirmation est en contradiction avec les connaissances scientifiques actuelles. Ainsi les résultats d’études disponibles avant 2018, que nous avons cités [1], montraient déjà qu’il y avait un risque accru de cancer lors de doses de rayonnement inférieures à 100 mSv – valeur définie comme étant une «faible dose de rayonnement ionisant» ([2] et tableau 1). La méta-analyse du National Cancer Institute (NCI) des États-Unis, datant de juillet 2020 ([4] et tableau 2) apportent des précisions supplémentaires. Cette analyse de 26 études épidémiologiques publiées entre 2006 et 2017 conclut que les doses de rayonnement inférieures à 100 mSv entraînent un risque accru de cancer. Nous nous sommes donc adressés en octobre 2020 à la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE-N) avec une prise de position [5], demandant, entre autres, une révision de la fiche d’information de l’OFEN [3].

Résultats sur les risques pour la santé

La CIPR est l’autorité internationale de référence en matière de radioprotection. Depuis la publication des lignes directrices en 2007 [6], de nombreux experts de la CIPR ont participé à plusieurs études épidémiologiques sur les effets des faibles doses. Ainsi, 6 des 16 auteurs de l’étude du NCI [4] sont membres de la CIPR. En 2017 la CIPR avait déjà constaté, dans une méta-analyse, que les résultats des études sur les faibles doses de rayonnement étaient complémentaires à ceux trouvés chez les survivants japonais des bombes atomiques [7].
La CIPR dispense également des cours sur les risques liés aux doses de rayonnement inférieures à 100 mSv, donnant des informations détaillées sur la méta-analyse du NCI [4]. De même, les résultats des travaux menés par l’épidémiologiste pionnière britannique Alice Stewart dans les années 1950 ont été récemment confirmés [8]. Elle avait démontré que la pratique radiologique de l’époque, consistant à examiner les femmes enceintes au moyen de radiographies de l’abdomen, augmentait considérablement le risque de malignité chez l’enfant: pour une dose fœtale de 10 mGy, l’incidence de cancer augmentait de 50% jusqu’à l’âge de 15 ans.
Grâce au suivi au long cours des survivants de la bombe atomique, ainsi que des personnes irradiées lors des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, de nombreuses maladies non malignes radio-induites ont été découvertes ainsi que des troubles de la reproduction [5]. Pour des doses de rayonnement inférieures à 100 mSv, les risques accrus de maladies cardiovasculaires, d’infarctus du myocarde ou d’attaques cérébrales ont été décrits [9]. L’ordre de grandeur des décès cardiovasculaires induits par les radiations est comparable à celui des tumeurs malignes.

Méthodologie remise en question

Aucune étude sérieuse n’a été réalisée à ce sujet, en particulier pas en rapport avec l’énergie nucléaire.
En 2018, l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) a toutefois calculé les cas supplémentaires de décès par cancer qui surviendraient à la centrale nucléaire de Gösgen en cas de défaillance de dimensionnement qui se situerait dans la catégorie de fréquence 1 fois par 10 000 ans, en utilisant la méthode de calcul de la dose collective [10]. Cette méthodologie a toutefois été récemment remise en question [11].
Quel serait le nombre potentiel de victimes en cas d’accident nucléaire grave? La Suisse a également été touchée par l’irradiation, comme le reste de l’Europe, suite à l’explosion de Tchernobyl le 26 avril 1986. Pendant les vingt premières années, la dose de radiation accumulée a été d’environ 3500 sieverts [12], ce qui devrait avoir induit un cancer mortel chez environ 400 personnes résidant en Suisse et pourrait en atteindre d’autres, selon les calculs de la Commission fédérale de radioprotection (CPR) de l’OFSP [13] et les chiffres de l’OMS [14].

Résumé

Une révision de la fiche d’information de l’OFEN [3] est impérative pour des raisons médicales et scientifiques. Le texte suivant pourrait être proposé:
«De nombreuses publications récentes portant sur de grands groupes de population met en évidence qu’il existe un risque augmenté de cancer même en cas de doses de rayonnements nettement inférieurs à 100 millisieverts. En outre, de nombreuses études épidémiologiques démontrent des risques accrus pour d’autres maladies (comme les maladies cardiovasculaires) et des troubles de la reproduction, également pour des doses inférieures à 100mSv».
Enfin, dans la perspective des futures directives sur la radioprotection, un consensus doit être trouvé sur une méthodologie qui permette d’estimer le nombre de cancers radio-induits et de maladies non malignes liées aux faibles doses d’irradiation. Une étroite collaboration entre l’OFEN et l’OFSP est souhaitable.