Le don d’ovules, la dernière chance pour l’instant interdite

Tribüne
Édition
2022/23
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20818
Bull Med Suisses. 2022;103(23):786-789

Publié le 07.06.2022

Le don d’ovules pourrait bientôt être légal en Suisse. En mars, le Conseil national a approuvé une motion en ce sens. En attendant le verdict du reste du Parlement, les couples qui souhaitent bénéficier du don d’ovocytes doivent se rendre à l’étranger. Le suivi de la grossesse se fait en Suisse. A quoi les médecins doivent-ils être attentifs? Les réponses aux principales questions.

Combien de femmes en Suisse ­bénéficient-elles d’un don d’ovule?

Il n’existe pas de statistiques officielles. Dr méd. Anna Raggi, spécialiste en médecine de la reproduction et endocrinologie gynécologique, cofondatrice du centre pour la médecine de la reproduction fertisuisse, ne connaît pas les chiffres exacts, mais pense qu’environ 500 femmes recourent au don d’ovules par an en Suisse. La plupart ont plus de 40 ans. «La majorité consultent en raison de leur âge, après plusieurs FIV infructueuses. C’est un fait: les couples ont des enfants toujours plus tard. Dans le cas des femmes plus jeunes, il s’agit souvent de ménopause précoce.» Avec le don d’ovocytes, le taux de réussite d’une grossesse est haut: même à 42 ans, une femme a 60% de chance de tomber enceinte par transfert, taux qui tombe à moins de 10% en cas de FIV avec ses propres ovocytes. «Après 4 à 5 cycles, quasiment 100% des patientes sont enceintes.»
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En Espagne, un des pays les plus prisés pour le don d’ovocytes, la clinique d’ivf-life à Alicante traite entre 200 à 400 patientes suisses par an, dit son directeur Dr Jon Aizpurua. La clinique IVI à Valence a vu le nombre de Suissesses plus que tripler en dix ans, selon Dr Jakob Doblinger, spécialiste en médecine reproductive. De 114 en 2010, il a passé à 377 en 2021. Selon Dr Aizpurua, les patientes ont beaucoup de questions et s’informent minutieusement avant d’entamer un traitement. Elles se préoccupent de savoir pourquoi une personne fait don de ses ovocytes, ajoute Dr Doblinger.
Le Portugal attire aussi les couples suisses. La clinique ferticentro à Coimbra en traite environ 70 par an, un chiffre en hausse constante, selon Vladimiro Silva, ­directeur du Laboratoire de PMA.
A part les deux pays ibériques, les couples suisses se rendent majoritairement en République tchèque (dons anonymes), en Angleterre et en Finlande (dons non anonymes). Anna Raggi ne travaille pas directement avec des médecins étrangers, mais s’assure auprès des établissements de la bonne prise en charge des patientes. «Je m’annonce pour montrer qu’il y a un médecin qui les suit en Suisse.» Elle conseille et accompagne avant et après l’intervention, en général jusqu’à la 8e semaine de grossesse.

Quelles sont les bases légales du don d’ovules en Suisse?

La loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA) régit depuis janvier 2001 les conditions générales de la procréation artificielle en Suisse: l’arti­cle 4 stipule que le don d’ovules est interdit.
Les médecins qui s’entretiennent avec des personnes dont le désir d’enfant est encore inexaucé au sujet des options possibles doivent donc tenir compte des aspects juridiques du don d’ovules, en plus des questions médicales. Concrètement, il s’agit dans ce cas de protéger les droits de quatre parties. La donneuse étrangère et le centre de don d’ovules sont protégés dès lors qu’ils respectent les lois de leur pays. La receveuse et future mère n’encourt pas non plus de sanctions. D’après le droit suisse, elle est la mère légale de l’enfant, puisqu’elle lui donne naissance. Ensuite, les ­médecins qui suivent la patiente pendant la grossesse et l’accouchement ne sont pas punissables en Suisse.
Enfin, reste la question de savoir si un médecin en Suisse peut recommander un don d’ovules, participer activement à la procédure, mettre la patiente en re­lation avec un centre correspondant à l’étranger ou même collaborer avec un tel prestataire. Dans les trois cas, le droit suisse ne prévoit aucune sanction. Seule la réalisation d’un don d’ovules est punissable.
A l’occasion des débats parlementaires sur le don d’ovules en Suisse et son éventuelle autorisation, le  législateur devra toutefois également répondre à d’autres questions, qui se posent dans le cadre de la pratique clinique. Qui peut donner des ovocytes et à quelle fréquence? Les tests génétiques doivent-ils être systématiques? Chez la future mère et chez la donneuse? Comment la documentation du don est-elle réglementée? Autre aspect délicat à légiférer: l’importation d’ovocytes. Un coup d’œil à l’étranger, notamment en Italie, où le don d’ovules est autorisé, montre qu’il n’y aura sans doute pas suffisamment de dons en Suisse.
Avec un don d’ovule, le taux de réussite d’une grossesse est élevé: même chez les femmes de 42 ans, ce taux est de 60% par transfert (Vchalup | Dreamstime.com).

Y a-t-il des risques pour la donneuse et la receveuse?

Bien que minimes, des risques existent pour la donneuse. Les centres pratiquant le don d’ovocytes peuvent les réduire en choisissant rigoureusement les donneuses, qui doivent être en bonne santé et chez qui ­maladies cardiovasculaires et risque de thrombose sont exclus. A la clinique IVI à Valence, «les donneuses potentielles passent par des examens très approfondis», affirme Dr Jakob Doblinger. Avant le prélèvement, la donneuse reçoit un traitement hormonal qui vise à stimuler la production d’ovules. Face à la crainte d’une surstimulation, Anna Raggi répond que les techniques actuelles permettent de cibler très précisément les médicaments, rendant le risque quasiment nul. Le pré­lèvement des ovules est en général réalisé sous anesthésie totale. Très rares, les risques subséquents (<1%) sont des saignements et infections.
La receveuse est exposée à davantage de risques: le ­futur bébé est, du point de vue génétique, doublement étranger à la mère en raison du sperme de l’homme et de l’ovule étranger. «La réponse immunologique est plus forte en cas de don d’ovule et fait augmenter le risque de prééclampsie», explique Anna Raggi. A cela s’ajoutent les risques liés à la grossesse à un âge avancé: diabète gestationnel, accouchement prématuré et césarienne entre autres. Le risque de fausse couche n’est en revanche pas accru, car «l’ovule est celui d’une femme jeune». Quant aux nombres d’embryons transférés, les pratiques diffèrent d’un pays à l’autre. A Chypre, il est fréquent de transférer plusieurs embryons pour augmenter les chances d’une grossesse. Pour Anna Raggi, cette méthode est à éviter absolument, car elle peut aboutir à une grossesse gémellaire qui comporte beaucoup plus de risques.
La spécialiste insiste sur la nécessité d’un entretien avant un recours au don d’ovocytes. «Avant de partir à l’étranger, les couples doivent savoir ce que cette intervention implique physiquement et émotionnellement. Il faut être conscient des risques.»

Pourquoi la Commission d’éthique soutient-elle le don d’ovules?

Le don d’ovules n’est pas autorisé en Suisse. Juriste et présidente de la Commission nationale d’éthique, Andrea Büchler affirme: «Cette interdiction ne peut être justifiée.» Elle explique le principal argument avancé par les partisans de l’interdiction: «La maternité ne doit pas être éclatée. Une séparation de la maternité génétique et biologique mettrait en danger le bien-être de l’enfant.» Au contraire, selon elle, «il n’y a pas de preuve que les enfants nés grâce à un don d’ovules traversent par la suite une crise identitaire à cause de cela.»
Dorothea Wunder, spécialiste en médecine de la reproduction et membre de la Commission d’éthique, ajoute qu’en cas d’abrogation, la législation suisse devra être conçue de telle manière que le don d’ovules, à l’instar du don de sperme, ne soit pas anonyme. Si l’enfant le souhaite, il aura le droit d’obtenir des informations sur la donneuse. Elle critique le fait que le don d’ovules soit toujours interdit: «Je ne pourrais comprendre une ­interdiction que si la Suisse était également opposée au don de sperme.»
Mais ce n’est pas parce que l’un est autorisé que la ­Commission d’éthique plaide pour l’autre. Le principal argument d’Andrea Büchler en faveur du don d’ovules: «Nous vivons dans une société libérale. Ce n’est pas le fait d’autoriser que nous devons justifier, mais celui d’interdire.» Selon elle, les raisons invoquées jusqu’à présent pour motiver l’interdiction ne sont pas valables. Outre la maternité éclatée, qu’elle ne juge pas problématique, les opposants au don arguent que le prélèvement d’ovules est une intervention plus risquée que le don de sperme. La juriste conteste: «On peut décider par soi-même de se soumettre à une telle intervention, de la même façon qu’on peut donner un organe ou participer à un essai clinique de manière ­réfléchie et autodéterminée.»
A l’heure actuelle, les Suissesses qui souhaitent tomber enceintes grâce à un don d’ovules doivent se rendre à l’étranger. Andrea Büchler souligne: «Comme il n’y a pas de raisons valables à l’interdiction, cette conséquence rend leur parcours encore plus difficile.»
Pour la Commission nationale d’éthique, il est clair que dans une société libérale, ce n’est pas l’autorisation qui doit être justifiée, mais l’interdiction (Mark König / Unsplash).

Comment gérer les réserves des patientes sur le plan éthique?

Est-ce que je veux avoir un enfant grâce à un don d’ovules? Quels sont mes sentiments par rapport au fait d’être la mère biologique, mais pas génétique? Dois-je raconter à mon enfant comment il a été conçu? Et si oui, quand?
Anna Raggi, spécialiste en médecine de la reproduction, est régulièrement confrontée à ces questions de la part de femmes qui ne parviennent pas à avoir un ­enfant, mais pourraient tomber enceintes grâce à un don d’ovules.
En plus de son activité de médecin, elle est présidente de «FertiForum». La commission de la Société suisse de médecine de la reproduction entend promouvoir l’accompagnement psychosocial de l’infertilité et de la procréation médicalement assistée, y compris sur la question du don d’ovules.
Anna Raggi aborde également ces aspects psycho­sociaux avec ses patientes lors de ses consultations. «Certaines me disent qu’elles ne raconteront jamais à leur enfant comment il a été conçu, alors qu’elles l’ont déjà dit à leur mère», explique-t-elle. «Je leur ­demande alors: pensez-vous vraiment que ça va fonctionner?»
Dorothea Wunder estime, elle aussi, que les médecins devraient encourager leurs patientes à ne pas garder leur traitement secret. La spécialiste en médecine de la reproduction et membre de la Commission nationale d’éthique raconte: «J’ai connu plusieurs situations où le secret a été éventé et où l’enfant, devenu adolescent, a eu le sentiment qu’on lui avait menti.»
Elle s’applique à aborder ces incertitudes avec ses patientes. «Mais ce n’est probablement pas le cas partout», dit-elle. Toutes les cliniques étrangères ne ­proposant pas de consultation psychologique avant l’intervention, elle est convaincue que la décision de certaines femmes n’est pas suffisamment réfléchie.
Selon Anna Raggi et Dorothea Wunder, ce manque de réflexion conduit parfois la femme enceinte à vouloir avorter, par exemple. Toutes deux sont persuadées que le fait que les médecins recherchent très tôt le dialogue avec leurs patientes au sujet de leurs éventuelles incertitudes ne peut être que bénéfique pour la suite du ­traitement et le bien-être de l’enfant.
Il est important de prêter attention aux incertitudes de la patiente et d’en parler lors de la consultation (Mark Adams | Dreamstime.com).

A quoi faut-il veiller au niveau de la communication médecin-patiente?

«Qu’est-ce qui vous a amenée à prendre cette décision? Comment la vivez-vous?» Anna Raggi, spécialiste en médecine de la reproduction, estime que les médecins devraient poser ces questions à chaque patiente qui souhaite tomber enceinte ou qui l’est déjà grâce à un don d’ovules. «Le but est de les aider à réfléchir à leur décision.» Et il faut leur laisser l’espace nécessaire pour faire le deuil de leurs précédentes tentatives de grossesse. «Il faut qu’une étape soit terminée pour qu’elles puissent commencer la suivante.»
Sandra Cesna, psychologue, elle-même devenue mère grâce à un don d’ovules, s’occupe de couples qui veulent recourir à cette technique. Elle souligne que les médecins doivent communiquer avec prudence, les ­patientes se trouvant dans une crise existentielle: «Chaque mot a son importance.» Elle explique que beaucoup ressentent de la honte de ne pas pouvoir tomber enceintes. Elles ont donc besoin d’empathie et de conseils compétents qui les rassurent.
Sandra Cesna sait d’expérience combien il est difficile de sortir d’une consultation avec de pénibles nouvelles. «Ce serait bien de pouvoir ensuite confier les ­patientes aux soignants.» Ou de s’enquérir par téléphone de leur état.
Beaucoup de femmes auraient aimé connaître l’option du don d’ovocytes plus tôt. Anna Raggi et Sandra Cesna ont déjà entendu ce grief à plusieurs reprises. La médecin en parle donc très tôt: «Certaines me regardent de travers sur le coup, mais elles peuvent ensuite prendre le temps d’y réfléchir.»
Qu’en est-il du partenaire? Il est important qu’il soit présent lors des consultations, estime Anna Raggi. Les couples vivent en effet le processus ensemble. «Il faut accorder de l’attention à l’autre personne du couple et lui demander si elle a besoin d’une aide psychologique», complète Sandra Cesna. Et d’ajouter que les couples se sentent souvent très seuls face à leur situation, qu’il faut les encourager à demander le soutien de leur entourage: «Les réactions sont généralement positives.»
Collaboration: Rahel Gutmann, Eva Mell, Julia Rippstein, Sandra Ziegler