Entrustable professional activities

Une nouveauté ou un classique revisité?

FMH
Édition
2022/2122
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20813
Bull Med Suisses. 2022;103(2122):709-712

Affiliations
a Dr méd., MME, Institut d’anesthésiologie, Hôpital universitaire de Zurich; b Dr méd., Chirurgie Ausserschwyz GmbH, Churerstrasse 54, 8808 Pfäffikon; c Dre méd., enseignante clinicienne et MME, Clinique médicale, Hôpital Limmattal

Publié le 24.05.2022

«Pourquoi tout ce battage autour des EPA?». Ce commentaire n’a rien d’inhabituel et montre que beaucoup d’incertitudes persistent encore au sujet de la formation médicale basée sur les compétences et surtout en ce qui concerne les EPA. Cet ­article a pour objectif d’exposer ce que sont les EPA (Entrustable professional ­activities), et pourquoi, dans la frénésie du travail quotidien, elles représentent un avantage pour la formation postgraduée.

Pourquoi faut-il des EPA?

Les activités supplantent les compétences: les articles précédents de cette série thématique se sont penchés en détail sur la formation médicale basée sur les compétences et les modèles de compétences, comme les rôles du référentiel CanMEDS [1, 2] dont la mise en pratique en tant qu’instrument d’enseignement et d’évaluation dans le quotidien clinique s’avère cependant difficile. Ces rôles ne se laissent mesurer que de manière limitée, et ils comportent le risque de fragmenter les personnes en de simples qualités ou compétences. C’est cette difficulté qui a conduit à l’introduction des EPA. Celles-ci permettent d’appliquer dans la pratique clinique quotidienne la théorie complexe de l’apprentissage de la médecine basé sur les compétences.
Traduit en français par «activité professionnelle pouvant être réalisée de manière autonome», le terme d’EPA représente une activité clinique. On peut «confier» une EPA à un médecin en formation afin qu’il la réalise de manière autonome, s’il en a montré les compétences nécessaires [3].
C’est pourquoi il est primordial de distinguer à la base que les «compétences» constituent des caractéristiques d’une personne, tandis que les «EPA» correspondent à des activités. Les EPA permettent d’évaluer la manière dont une personne en formation post­graduée – avec toutes ses compétences – exerce une activité clinique donnée.

Les niveaux de supervision

Les EPA apportent une nouveauté importante au niveau de l’échelle d’évaluation. Alors que, traditionnellement, les évaluations jugeaient du «bon» et du «mauvais», ou servaient à trancher entre ce qui est «atteint» et «non atteint», il est ici question d’estimer le niveau de supervision dont une personne a besoin pour pouvoir exercer une activité [4, 5] (cf. tab. 1). Nous utilisons probablement déjà intuitivement ce type d’évaluation, cependant elle reste souvent implicite, et n’est pas documentée.
Tableau 1: Echelle de supervision des EPA, avec un niveau d’autonomie qui se développe du bas vers le haut [5].
NiveauDescription
Supervision des autresDans cette activité, le médecin peut superviser des collègues d’un moindre niveau de formation.
Supervision à distanceLe médecin superviseur n’est pas physiquement présent, mais peut être joint par téléphone ou appelé dans un délai d’environ 20–30 minutes.
Supervision indirecteSupervision réactive: sur appel, le médecin superviseur peut venir rapidement.
Supervision directeSupervision proactive: le médecin superviseur pratique l’activité avec les médecins en formation.
ObservationPeut observer ou seconder activement, mais ne peut pas encore mener personnellement l’activité.
La question essentielle peut se reformuler ainsi: est-ce que je laisserais ce médecin en formation traiter des membres de ma famille? Et, si oui, de quel niveau de ­supervision a-t-il besoin pour le faire? [6]
Une telle évaluation reste toujours subjective et dépend du contexte. Cela peut paraître étonnant, puisque, jusqu’à présent, les évaluations ont toujours visé une certaine «objectivité». Toutefois, on reconnaît aussi désormais la valeur élevée de la subjectivité dans les évaluations en milieu de travail. La somme des ­évaluations subjectives de différentes situations par plusieurs médecins formateurs permet, en effet, d’obtenir des informations fiables sur la performance d’une personne en formation, comme une image qui intègre tous les pixels qui la composent [7, 8]. Un des prochains articles de la série décrira plus en détail ce concept, appelé «évaluation programmatique» (programmatic assessment).
En tant que médecin formateur, c’est votre perspective qui constitue finalement la seule évaluation pertinente, car vous restez la seule personne à posséder ­l’expertise de juger si, dans une situation clinique donnée, vous pouvez confier une activité particulière à un médecin en formation.
Il est d’ailleurs intéressant de considérer les différents facteurs qui exercent une influence sur cette évaluation, comme la complexité de la situation, le contexte de la tâche, l’expérience clinique de la personne qui ­supervise, ainsi que la relation entre les médecins formateurs et ceux en formation [9]. Quant aux principaux facteurs qui concernent le médecin en formation, ils sont présentés dans la classification suivante (cf. tab. 2).
Tableau 2: Facteurs d’influence concernant l’évaluation des médecins en formation [10].
Agency
(faculté d’agir)
Proactif vis-à-vis du travail, de l’équipe, de la sécurité, du développement personnel
Reliability (fiabilité)Consciencieux, prévisible, responsable, sérieux
Integrity (probité)Honnête, bienveillant, centré sur les patients
Capability (capacité)Erudit, compétent, conscient de la situation
Humility(modestie)Apte à reconnaître ses limites et demander de l’aide, ­réceptif au feed-back
En anglais, cet agencement compose l’acronyme «A RICH DECISION», qui suggère une évaluation judicieuse [10]. Une évaluation attentive et rigoureuse tient compte de ces influences de manière consciente. En outre, l’entretien de feed-back peut alors directement aborder ces sujets précis, alors que ce sont justement des facteurs qui restent souvent inexprimés.

Le prospectif supplante le rétrospectif

L’évaluation du niveau de supervision peut s’effectuer de manière rétrospective ou prospective. La méthode rétrospective consiste à décrire le niveau qui a été nécessaire, comme lorsque l’on dit: «Tu as fait ceci de ­manière autonome; j’ai dû t’aider pour cela.» La manière prospective d’évaluer représente un point essentiel des EPA. «En se basant sur la performance qui vient d’être observée, quel niveau de supervision sera nécessaire pour la personne en formation la prochaine fois qu’elle sera confrontée à une situation identique ou de complexité similaire?» Cette méthode s’avère pertinente, car il est fréquent d’avoir une activité clinique à confier à un jeune médecin, pour une exécution autonome, et de devoir en prendre la décision sans l’avoir déjà observée nous-mêmes. Ainsi, les évaluations préalables de nos collègues concernant cette EPA peuvent nous aider à prendre de telles décisions.
De plus, il faut avoir confiance en la capacité du mé­decin en formation à transférer ses compétences à la nouvelle situation et, ce faisant, à reconnaître ses limites, afin de pouvoir demander de l’aide à temps. C’est pré­cisément de cette «confiance» qu’il est question dans le terme entrustable.
A partir de quand le médecin-assistant peut-il s’acquitter seul de son activité?

Le continuum supplante la segmentation

Une autre ambition des EPA consiste à optimiser le continuum entre formation initiale, postgraduée et continue. Avec l’introduction des EPA dans les études de médecine par le biais du catalogue PROFILES, les étudiantes et les étudiants acquièrent une panoplie d’activités cliniques concrètes. Plusieurs sociétés de discipline développent aujourd’hui des EPA basées sur celles de PROFILES, et les étendent au niveau du titre de spécialiste. De telles EPA consistent, par exemple, à «pratiquer une réanimation» ou à «traiter une personne atteinte d’insuffisance cardiaque». Ces exemples précis montrent également que des EPA similaires peuvent s’appliquer à différentes disciplines, ce qui permet de créer des synergies dans la formation postgraduée.

La structure interne d’une EPA

La littérature ne nous présente souvent que les titres des EPA. Néanmoins, la véritable valeur du concept ­réside dans leur description détaillée, présentée au moyen d’une structure claire en huit rubriques qui précisent la définition d’une certaine activité et révèlent sa pertinence pour une société de discipline ­médicale donnée (cf. tab. 3).
Tableau 3: Modèle de structure et de contenu d’une EPA [3].
TitreDes titres courts sont souvent utilisés. Un titre complet contient toujours un verbe.
Spécifications et limitesDescription précise de l’activité: contexte clinique, groupe de patients, cadre temporel, délimitation par rapport à d’autres EPA.
RisquesRisque si l’activité n’est pas réalisée correctement.
Mentionner les rôles correspondants d’après le référentiel CanMEDS. Chaque EPA couvre plusieurs compétences.
CompétencesMentionner les rôles correspondants d’après le référentiel CanMEDS. Chaque EPA couvre plusieurs compétences.
KSA =
Knowledge
Skills
Attitudes
Les connaissances, les compétences et l’attitude constituent la partie essentielle d’une EPA. Les médecins en formation doivent en faire preuve afin d’être en mesure de réaliser de manière autonome une certaine EPA.
Méthodes d’évaluationObservation directe (évaluations en milieu de travail, p. ex. DOPS, Mini-CEX ou ­Fieldnotes); alternativement, discussions basées sur des cas (p. ex. entrustment-based discussions).
Evaluation longitudinale: feed-back de sources multiples (feed-back «à 360°»).
Conditions préalablesNombre d’observations requises. Unités d’enseignement et cours obligatoires.
Niveau de supervision attenduCeci définit le niveau de supervision à certains moments clés de la formation ­postgraduée, notamment pour l’obtention du titre de spécialiste.
Durée de validitéSans une pratique continue et attestée, le niveau atteint est considéré comme perdu après une certaine durée, en particulier pour les activités à risque.
Le cœur des EPA réside dans la description des connaissances, des compétences et des attitudes (ou «KSA», l’acronyme de Knowledge, Skills and Attitudes). C’est surtout cette rubrique qui définit ce que les personnes en formation doivent montrer pour être autorisées à réaliser l’EPA de manière autonome. Bien qu’elle soit souvent présentée sous forme de liste, la rubrique des «KSA» ne doit pas être utilisée comme une liste de vérification, mais plutôt servir d’orientation pour la réa­lisation de l’EPA ou pour l’entretien de feed-back. Cette structure précise de leur description se retrouve notamment dans le curriculum européen de cardiologie, dorénavant aussi introduit en Suisse [11].

Le lien entre les EPA et les EMiT

Les évaluations en milieu de travail (EMiT) ont été présentées dans cette série thématique du BMS [12]. Les EPA ne sont pas elles-mêmes des outils d’évaluation; l’utilisation d’EMiT peut toutefois servir à évaluer de telles activités cliniques concrètes. Comme nous l’avons déjà lu à ce sujet, l’observation directe représente le meilleur moyen d’évaluer une EPA. C’est aussi dans ce cadre que se déroulent les entretiens de feed-back les plus constructifs. Cependant, il n’est pas toujours possible de tout observer pour des raisons de temps, de logistique ou en raison de la rareté de certaines situations cliniquement pertinentes, telles que les situations d’urgence. C’est pourquoi des discussions de cas (appelées entrustment-based discussions [13]) ou l’analyse d’un dossier médical peuvent également servir à évaluer le niveau de supervision requis pour une activité donnée.

Les profils formulés en termes d’EPA

Afin d’obtenir une image aussi claire que possible du niveau des médecins en formation postgraduée, la documentation des évaluations basées sur les EPA revêt une grande importance. Cela peut se faire sans problème, en quelques minutes, grâce à la technologie ­mobile. En rassemblant les données des évaluations, on obtient des profils individuels, formulés en fonction des EPA, qui permettent aux médecins en formation d’identifier les lacunes existantes. En outre, cela permet aux personnes qui les forment d’utiliser de manière plus ciblée leurs ressources temporelles limitées. Les médecins en formation peuvent ensuite emporter leur profil d’EPA individuel dans l’établissement où ils poursuivent leur formation postgraduée, afin de continuer à l’optimiser.
Le Dr méd. Adrian Marty, MME, travaille en tant que chef de clinique avec responsabilité élargie à l’Institut d’anesthésiologie de l’Hôpital universitaire de Zurich, où il occupe également la fonction de responsable en Medical Education au centre de simulation. Expert international en matière d’EPA, il est aussi membre de la Commission EPA de l’ISFM, ainsi que Chief Visionary Officer chez precisionED SA.
Le Dr méd. Stefan Eisoldt est médecin spécialiste en chirurgie et Fellow of the European Board of Surgeons (EBSQ coloproctology). Il travaille en tant que chirurgien installé dans le service de chirurgie Ausserschwyz, à Pfäffikon.
La Dre méd. Sonia Frick, enseignante clinicienne et MME, est médecin spécialiste en médecine interne et en soins intensifs. Elle travaille en tant que médecin-cheffe adjointe de la clinique médicale, Hôpital Limmattal et est membre de la Commission EPA de l’ISFM.

Un exemple concret

L’exemple suivant illustre comment le processus s’inscrit dans la pratique quotidienne. Un médecin en formation demande une évaluation pour une EPA qui va être ou vient d’être réalisée, comme une intervention ou un entretien clinique. Si possible, cette évaluation devra avoir lieu immédiatement après la réalisation de l’EPA, lorsque la personne responsable aura pu se faire une bonne idée de ses capacités, soit en l’observant directement durant l’EPA, soit en discutant du cas concerné. La détermination du niveau de supervision et l’appréciation de l’EPA font ainsi l’objet d’un entretien de feed-back. La description des EPA sert de ressource principale, comme décrit ci-dessus. Il est tout à fait ­possible, voire judicieux, de ne se focaliser que sur un aspect partiel d’une EPA. A la fin, il est important d’avoir défini ensemble un niveau de supervision et un objectif d’apprentissage aussi utile que possible pour le développement ultérieur. Pour réduire au maximum la charge administrative liée à la documentation de l’évaluation, certaines applications pour smartphones se révèlent plus appropriées que les options sur papier [14].

Résumé et vision

En quoi l’introduction des EPA pourrait-elle maintenant améliorer la formation postgraduée?
La formation postgraduée a pour objectif de soutenir le plus efficacement possible les futurs médecins spécialistes dans leur développement. Les deux étapes pour y parvenir au mieux comprennent la définition claire, dès le départ, des activités à maîtriser, ainsi que l’organisation d’évaluations et d’entretiens de feed-back aussi fréquente que possible. Les EPA simplifient et renforcent ce processus, en permettant de diviser le travail quotidien en unités décrites et observables. L’évaluation et l’entretien de feed-back peuvent alors pleinement se baser sur les descriptions concrètes de ces EPA, en particulier la rubrique des «KSA». En outre, la mise en regard de l’évaluation du médecin en formation avec celle de la personne qui le forme peut même potentialiser l’effet de cet entretien [14]. Avec la notion de niveaux de supervision, les médecins peuvent apprécier la progression de leur formation, en termes de situation actuelle et de finalité à poursuivre. Une telle perspective les encourage à mener activement leur formation postgraduée.
L’influence positive des EPA sur la culture d’apprentissage et d’enseignement nous convainc précisément en raison de leur conformité à la pratique de l’activité médicale.
Les EPA, une nouveauté vouée à devenir un grand classique.