Analyse d’un récent arrêt du Tribunal fédéral

Suicide assisté: médecin ayant fourni du pentobarbital punissable?

Tribüne
Édition
2022/24
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20788
Bull Med Suisses. 2022;103(24):822-824

Affiliations
Professeure de droit, Universités de Genève et de Lausanne

Publié le 14.06.2022

Le Tribunal fédéral a récemment tranché sur le cas d’un médecin ayant prescrit du pentobarbital à une patiente qui souhaitait se suicider avec son mari mourant. Dans son arrêt, la cour exclut toute condamnation selon la Loi sur les produits thérapeutiques, estimant ses dispositions pénales inapplicables. Bien que détaillé et instructif, l’arrêt n’est pas toujours convaincant.
A la demande de sa patiente, un médecin prescrit du pentobarbital. Il est destiné à une femme certes âgée (86 ans), mais en bonne santé et capable de discernement qui souhaite se suicider avec son mari gravement malade. Suite au suicide de la patiente, le médecin n’est pas poursuivi pénalement pour infraction à l’art. 115 du Code pénal (CP), la condition du «motif égoïste» posée par cette disposition légale n’étant ici pas remplie, le médecin ayant agi de manière altruiste. Il est en revanche poursuivi pour violation de l’art. 86 de la Loi sur les produits thérapeutiques (LPTh), en l’occurrence pour avoir prescrit un médicament d’une manière non conforme aux «règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales». La justice genevoise lui a infligé une peine pécuniaire de 120 jours-amende à 100 francs ainsi qu’une amende de 2400 francs. Sur recours devant le Tribunal fédéral (TF), seule cette question est litigieuse, l’arrêt ne traitant pas de l’éventuel droit (justiciable) des patients en bonne santé à réclamer un suicide assisté à l’aide de pentobarbital ni de l’éventuel droit des médecins d’offrir leur soutien dans ce cas de figure.
Dans son arrêt du 9 décembre 2021 [1], rendu public seulement en mars 2022, le TF, dans sa composition à cinq juges au lieu de trois habituellement, exclut toute condamnation selon la LPTh, estimant ses dispositions pénales ici inapplicables.
eskay lim / Unsplash

Renvoi aux tribunaux genevois

L’arrêt est long, détaillé, instructif, mais pas toujours convaincant. Il écarte l’application de la LPTh et casse donc la sanction pénale prononcée sur cette base. La cour admet qu’une prescription de pentobarbital est théoriquement soumise à la LPTh et à la LStup (Loi sur les stupéfiants), car le produit, par sa composition et ses différents usages thérapeutiques possibles, pourrait être qualifié de médicament (il peut agir médicalement) et parallèlement de stupéfiant (étant classé dans le tableau b de l’Annexe 1 de l’Ordonnance sur les tableaux des stupéfiants). En principe, cette double qualification du produit pourrait emporter l’application concurrente des deux lois. Toutefois, pour le TF, la LPTh doit ici céder le pas à la LStup, car cette dernière est plus précise et plus stricte. Ce caractère plus strict découle, selon l’arrêt, des art.  46 et 48 OCStup, lesquels exigent que le médecin prescripteur examine lui-même le patient, respectivement que la «quantité de stupéfiants prescrite [ne dépasse en principe pas …] un mois» de traitement.
Ayant exclu toute condamnation selon la LPTh, le Tribunal renvoie l’affaire aux tribunaux genevois pour qu’ils déterminent si l’art. 20, al. 1, let. a LStup a ici été violé au motif que le stupéfiant (i.e. le pentobarbital) aurait été prescrit en violation de l’art. 11, al. 1 LStup. Les juges cantonaux devront déterminer si la prescription s’est faite «dans la mesure admise par la science». Cette notion de la LStup a été jugée équivalente à «selon les règles reconnues par les règles pharmaceutiques et médicales», exigence de l’art. 26 LPTh.

L’essentiel en bref

• Le Tribunal fédéral a dû trancher sur le cas d’un médecin ayant prescrit du pentobarbital à une patiente en bonne santé. Pour la justice genevoise, ce produit est soumis tant à la Loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) qu’à la Loi sur les produits thérapeutiques (LPTh). Le TF écarte, lui, l’application de la LPTh et renvoie l’affaire à la justice genevoise en vue d’un examen sous l’angle de la LStup.
• L’arrêt du TF ouvre des champs de discussion intéressants, mais laisse la plupart des questions ouvertes. Il laisse entendre que le pentobarbital ne remplirait pas la définition d’un médicament selon la LPTh, puisqu’il ne soignerait pas une maladie.
• Le TF ne critique pas les textes non contraignants des milieux médicaux qui excluent le suicide «de convenance» des personnes en bonne santé et capables de discernement, quand bien même il retient qu’il n’y a pas d’intérêt de police sanitaire à empêcher ce type de suicide.
• Il laisse aussi entendre que le corps médical peut aider, de manière altruiste, les patients capables de discernement en leur fournissant n’importe quel produit, tant qu’il ne s’agit pas d’un stupéfiant.
• L’arrêt est à saluer pour ses conséquences pratiques positives. Le médecin qui fournit une aide altruiste à une personne capable de discernement souhaitant mourir ne doit pas être puni pénalement. Il devrait en aller de même selon la LStup.

Beaucoup de questions ouvertes

L’arrêt du TF entame plusieurs champs de discussion intéressants, mais laisse regrettablement la plupart des questions ouvertes. Ainsi, il écrit que le pentobarbital utilisé pour se suicider, tout particulièrement lorsqu’on est en bonne santé, ne l’est pas dans un but thérapeutique. L’arrêt laisse entendre, mais sans trancher, que le pentobarbital ne remplirait alors pas la définition d’un médicament selon la LPTh, puisqu’il ne soignerait, ne traiterait, ne préviendrait, ni ne soulagerait une maladie (ou un autre trouble). L’arrêt relève aussi que l’assistance au suicide fournie par les professionnels de la santé n’est «pas une activité à laquelle le médecin est tenu par les règles déontologiques», elle «n’est pas un acte médical» et elle «ne relève pas de l’état des connaissances médicales ou pharmacologiques, non plus que de la science».
Malheureusement, l’arrêt ne dit pas si cela a pour conséquence l’inapplicabilité des art. 26 LPTh, respectivement 11 LStup, car on se situerait hors du domaine médical? Ou, au contraire, cela doit-il signifier que ces deux dispositions sont violées, car la prescription serait alors contraire aux règles médicales? Faute d’indication du TF, ce sont les instances genevoises qui devront se pencher sur ces questions.
Dans la partie introductive de son arrêt, la cour suprême décrit en détail les règles élaborées par la FMH et par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) en matière de suicide assisté, relatant de surcroît la controverse ayant accompagné la révision des règles de l’ASSM. Il évoque également l’autre controverse découlant de l’arrêt Gross de la Cour européenne des droits de l’homme rendu en mai 2013 qui jugeait que la réglementation suisse en matière d’assistance au suicide était trop floue. Cependant, cet arrêt n’est pas entré en force, car la requérante est décédée alors que la cause était pendante. Le TF note que ces textes non contraignants des milieux médicaux continuent à exclure le suicide «de convenance» des personnes en bonne santé et capables de discernement (aussi appelé Suizid-Bilan). Cependant, il ne critique pas frontalement ces textes, alors même que son arrêt retient qu’il n’y a pas d’intérêt de police sanitaire à empêcher ce type de suicide.

Pas d’atteinte au but de protection

En effet, l’arrêt observe que la prescription de pentobarbital pour le suicide assisté d’une personne en bonne santé ne porte pas «atteinte aux buts de police sanitaire qui ont été assignés à la LPTh», soit «un but de protection de la santé et – en lien avec l’aide au suicide – de prévention des infractions et autres abus». Il appuie ce constat en soulignant que l’aide fournie a ­permis à la patiente «de mettre fin à ses jours d’une manière moins brutale que celle qui aurait immanquablement résulté d’une autre méthode de suicide.» Il note aussi que si le médecin avait fourni son aide avec une autre méthode, par exemple en remettant une arme à feu, il aurait été à l’abri de toute poursuite. Le TF écrit même que le médecin n’aurait pas pu être ­sanctionné s’il avait fourni, en vue du suicide, une ­«substance thérapeutique non ­soumise à ordonnance per­mettant, prise dans des quantités suffisantes, de parvenir au même résultat». On pense par exemple à des ­anti-douleurs comme le paracétamol.
Une telle affirmation laisse entendre que les professionnels de la santé peuvent aider, de manière altruiste, leurs patients à se suicider en leur fournissant n’importe quel produit, en tout cas si ce dernier n’est pas un stupéfiant. Même si la motivation du Tribunal est à cet égard trop brève, on verrait mal le médecin fournissant le stupéfiant permettant une mort douce se faire sanctionner, alors qu’échapperait à toute sanction le même médecin fournissant l’aspirine en overdose qui causerait une mort douloureuse. De même, on verrait mal l’application de la LStup aux prescriptions à des fins de suicide, puisque cette loi vise avant tout à éviter que ne circulent des produits addictifs susceptibles de causer des dépendances et les troubles physiques, psychiques et sociaux y associés. Or, celui qui se suicide avec du pentobarbital n’est pas à risque de souffrir de dépendance et n’occasionne aucun trouble du type susmentionné. En d’autres termes, appliquer la LStup à de telles prescriptions ne permet aucunement de réaliser les buts assignés par le législateur à cette loi. Cela empêcherait simplement le suicide conçu «d’une manière moins brutale», comme l’a exprimé le TF.

Décision avec des effets positifs

Personnellement, je salue l’arrêt, non pour sa motivation, mais pour ses conséquences pratiques positives. Le médecin qui fournit une aide altruiste à une personne capable de discernement souhaitant se suicider ne doit pas faire l’objet de sanctions pénales, ni selon le CP, ni selon la LPTh, même si le patient est en bonne santé. Comme expliqué ci-dessus, il devrait à mon avis en aller de même selon la LStup. La reconnaissance d’un intérêt à la mort la moins «brutale» possible est aussi à saluer. Si des abus sont à craindre – comme insistent souvent les détracteurs du suicide assisté –, il faudrait à mon sens les prévenir en misant sur un contrôle approprié de la capacité de discernement du patient, tout en vérifiant que d’autres mesures (médicales ou non) ont été proposées à la personne pour vérifier le caractère ferme et définitif de sa volonté. En revanche, poursuivre pénalement le médecin altruiste qui a dûment procédé à ces vérifications est, à mon sens, choquant.

Das Wichtigste in Kürze

• Das Bundesgericht (BGE) musste über den Fall ­eines Arztes entscheiden, der einer gesunden Patientin Pentobarbital verschrieben hatte. Für die Genfer Justiz unterliegt dieses Produkt sowohl dem Bundesgesetz über die Betäubungsmittel (BetmG) als auch dem Heilmittelgesetz (HMG). Das BGE schloss die Anwendung des HMG aus und wies den Fall zur Prüfung unter dem Gesichtspunkt des BetmG an die Genfer Justiz zurück.
• Das Urteil eröffnet interessante Diskussionsfelder, lässt aber die meisten Fragen offen. Es lässt vermuten, dass Pentobarbital die Definition eines Arzneimittels nach dem HMG nicht erfüllt, da es keine Krankheit heilt.
• Das BGE kritisiert nicht die unverbindlichen Texte medizinischer Fachkreise, die den selbst gewählten Suizid von gesunden und urteilsfähigen Personen ausschliessen, auch wenn es festhält, dass es kein gesundheitspolizeiliches Interesse an der Verhinderung dieser Art von Suizid gibt. 
• Es deutet auch an, dass die Ärzteschaft den Pa­tientinnen und Patienten helfen kann, indem sie ihnen jedes beliebige Produkt zur Verfügung stellt, solange es sich nicht um ein Betäubungsmittel handelt.
• Das Urteil ist wegen seiner positiven praktischen Folgen zu begrüssen. Eine ärztliche Fachperson, die einer urteilsfähigen Person mit Sterbewunsch uneigennützige Hilfe leistet, darf nicht strafrechtlich bestraft werden. Dasselbe sollte auch nach dem BetmG gelten.