Pseudo-science et loi fédérale sur l'assurance-maladie

FMH
Édition
2022/13
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20674
Bull Med Suisses. 2022;103(13):413

Affiliations
Dre méd., présidente de la FMH

Publié le 29.03.2022

Alors que les discussions politiques autour de l’arti­cle 47c LAMal semblaient déjà traîner en longueur [1], il se pourrait que nous ne soyons qu’au début d’un changement de paradigme historique. Si le Parlement venait à l’adopter sous cette forme, ce projet inadapté se traduirait pour la population par des soins inadaptés.
Même si le Conseil national a procédé à quelques ­ad­aptations, le nœud du problème reste le même: des facteurs permettant d’expliquer l’évolution des coûts et des volumes de prestations sont à définir et tout dépassement devrait être considéré comme «injustifié» et faire l’objet d’une correction tarifaire. Un argument avancé en faveur de l’article 47c consiste à affirmer qu’il pourrait être mis en œuvre sur une base scientifique, il ne porte en effet que sur des coûts et des volumes de prestations «inexplicables» et donc «injustifiables». Ce qui semble à première vue convaincant ne se révèle ­finalement ni applicable, ni judicieux dans la pratique.
Premièrement, nous ne disposons pas de facteurs permettant d’expliquer entièrement l’évolution des coûts. D’après l’Office fédéral de la statistique, 56% de l’augmentation des coûts suivent une tendance de fond composée de «différents facteurs non identifiables séparément» et même l’OFSP a estimé par le passé que 65% de la hausse des coûts ne sont «pas attribuables à des facteurs clairement identifiables»[2]. Statistiquement donc, une grande part d’incertitude demeure. Le KOF, par exemple, pronostiquait pour le canton de Berne une évolution des coûts pour 2019 entre –1,1% et +7,8% [3]. Souhaitons-nous évaluer l’adéquation des soins de santé sur de tels chiffres? Ce ne serait plus une approche scientifique, mais pseudo-scientifique, et ouvrirait la porte à l’arbitraire.
Deuxièmement, même en cas de surmédicalisation avérée, les réductions tarifaires ne seraient pas pertinentes. Une prestation qui aurait été fournie en surnombre par certains serait sous-rémunérée pour tous les médecins, indépendamment de savoir s’ils avaient raison ou tort de la fournir. Ce serait ­réduire un tarif approprié et conforme aux règles applicables en économie d’entreprise, approuvé par le Conseil fédéral. Le sous-financement qui en résulterait conduirait à des soins insuffisants.
L’article 47c n’est donc pas la solution au problème des traitements superflus. Il ne faut pas diminuer leur ­rémunération mais les condamner et les éviter. C’est ce à quoi servent déjà les procédures EAE fondées sur un principe beaucoup plus pertinent. Une méthode de ­détection statistique permet d’identifier les fournisseurs de prestations présentant une structure de coûts hors normes et procède à leur contrôle individuel. Un contrôle étendu est ainsi mis au service de l’équité. Ce qui est statistiquement hors normes n’est pas forcément injustifié, citons les cabinets spécialisés dont les patients ont un besoin fréquent de prestations spé­cifiques. De plus, le monitoring des coûts exigé par ­l’article 47c (avec sanctions) existe depuis longtemps. Sa mise en œuvre aurait déjà eu lieu si le DFI ne bloquait pas le TARDOC depuis 2019.
L’article 47c ne résout donc aucun problème, bien au contraire il en crée de nouveaux. Vouloir accomplir cette tâche insurmontable vouerait le partenariat tarifaire à l’échec et signerait la mise en place d’un tarif ­étatique. Les incitations négatives et une prise en charge médicale insuffisante deviendraient la norme. Le Conseil fédéral a beau dire que le «pilotage des coûts» tel que le prévoit l’article 47c n’induit pas de rationnement [4], il ignore que dans une économie planifiée, le manque de prise en charge médicale n’est pas visé par les mesures prises mais en est la conséquence. Un état de fait que les partenaires tarifaires ne pourraient plus éviter puisqu’ils devraient, d’après l’article 47c, tenir compte des «décisions de planification et de gestion des autorités compétentes». Aucun pays au monde n’a une moins bonne prise en charge médicale que la nôtre parce qu’il l’aurait souhaité. Certains ont misé sur la pseudo-science, pensant que cela fonctionnerait.
1 Gilli Y. Les nombreuses vies de l’art. 47c LAMal; Bull Med Suisses. 2022;103(8):237; URL: https://bullmed.ch/article/doi/saez.2022.20573
2 Département fédéral de l’intérieur DFI. Office fédéral de la statistique OFS. Prévisions des coûts du système de santé. Méthode et résultats. Actualités OFS; 14 Santé; Neuchâtel, mai 2007.
3 Sturm JE, Anderes M. Prognose der Kostenentwicklung in der obligatorischen Krankenpflegeversicherung (OKP) für die Jahre 2019 und 2020. Etude sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP); EPF Zurich, KOF Studien 138, juin 2019 ­(uniquement en allemand).
4 Intervention d’Alain Berset au Conseil national; Session de printemps 2022. 28.2.2022; URL: https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55830