Parce que le patient est roi

Tribüne
Édition
2022/1516
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20663
Bull Med Suisses. 2022;103(1516):527-528

Affiliations
Rédactrice du Bulletin des médecins suisses

Publié le 12.04.2022

Pourquoi le CHUV veut améliorer l’accueil des patientes et patients et ce que le ­secteur hospitalier peut apprendre de l’hôtellerie.
Comme médecin, on a l’habitude de se former, de mettre à jour ses connaissances médicales et de les approfondir. En général, cela a lieu lors de congrès, de webinaires ou dans le cadre d’une formation complémentaire. Il est plus rare de voir des médecins sur les bancs d’une école… hôtelière. Pourtant, c’est bien le concept du projet pilote conjoint du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL), lancé en octobre 2021 et qui vient de s’achever. Pourquoi cette collaboration inédite? Co-instigatrice de ce cours unique en Suisse avec le Prof. Lohyd Terrier de l’EHL, Béatrice Schaad, professeure titulaire à l’Institut des Humanités en médecine CHUV-UNIL, explique que la démarche est née de la «forte préoccupation du CHUV de soigner la qualité de l’accueil».

A l’origine, un espace de doléances

Si l’Hôpital universitaire peut se targuer de proposer des traitements de pointe, il peut faire mieux sur le plan ­humain. C’est ce qui ressort des 250 griefs de patients ­insatisfaits de leur prise en charge. Il y avait quatre fois plus de plaintes sur la relation que sur la pratique clinique. «Il est plus facile de se plaindre d’un dysfonctionnement relationnel que d’une prise en charge clinique. Malgré ce biais, nous avons été frappés par cette différence», explique Béatrice Schaad. Le CHUV a créé il y a dix ans un espace de doléances, désormais aussi ouvert aux professionnels de la santé face aux difficultés de certains avec les patients. «La question de la relation est mutuelle. Notre constat est que la préoccupation de la qualité de l’accueil est forte des deux côtés.» Des aspects également centraux dans l’hôtellerie. Voilà pourquoi le CHUV a fait appel à l’EHL, école hôtelière réputée mondialement, sise à quelques arrêts de métro. «Nous pensons que les professionnels de la santé peuvent profiter des compétences hôtelières en matière d’accueil.» Le but étant in fine d’améliorer la prise en charge du patient.
Mauvais numéros affichés, appels transférés de service en service, signalétique différente que celle de la lettre de convocation: le parcours du patient est semé d’embûches, déjà avant qu’il soit à l’hôpital. Tout le contraire d’un cinq étoiles, où l’on s’occupe du client depuis le clic pour la réservation jusqu’à son arrivée à l’hôtel. «La prise en charge péchait dès que le patient consultait notre site. Ces points faibles ont depuis été améliorés, nous nous attelons maintenant à l’accueil pendant le séjour hospitalier», dit Béatrice Schaad.

Médecine de pointe, mais fragmentée

Le cœur du problème: il manque une vision commune de l’accueil au sein de l’établissement, de l’administration aux médecins en passant par le corps infirmier. Si chaque membre du personnel a une idée positive de l’accueil, inhérente aux métiers de la santé, et souhaite bien accueillir le patient, le problème réside dans les silos entre les différents corps de métier, malgré les efforts en matière d’interprofessionnalité. «Les formations médicales restent très cloisonnées. A l’EHL, on touche à tous les métiers, tout le monde parle la même langue de l’accueil et forme une grande famille», affirme la co-créatrice du cours. Un aspect qui a frappé les actuels quinze participants. Pour briser ces silos, le cours est ouvert à toute la ligne de soins, y compris l’administration.
A cela s’ajoute une fragmentation croissante des soins due à une médecine toujours plus spécialisée. Béatrice Schaad illustre: «Dans le système de soins actuel, le patient passe d’un spécialiste à un autre, et chaque médecin aura possiblement sa propre définition de l’accueil. Ces variations de culture peuvent heurter.» En répétant son anamnèse, le patient a l’impression de devoir toujours recréer la relation médecin-patient. Sans parler du risque de perte d’informations. «C’est une difficulté soulevée par les ­participants, on réfléchit alors à comment fluidifier le travail et la transmission d’informations», précise Lohyd Terrier, co-créateur du projet.
Le cours ne vise pas à transformer le personnel du CHUV en véritables hôteliers, mais à développer des compétences émotionnelles et interactionnelles issues des métiers de service. «Ces aptitudes sont souvent déjà là, mais elles étaient peut-être en dormance. Le cours sert à mettre le doigt dessus, précise Lohyd Terrier. Nous travaillons sur l’importance de la prise en considération des besoins du patient.» L’une des cinq journées de cours, qui se tiennent à l’EHL, est dédiée à la description du patient contemporain et de ses attentes. «Plus la personne soignante sait à qui elle s’adresse, mieux elle peut s’adapter aux besoins du ­patient», résume le professeur à l’EHL.
Prof. Daniel Genné, membre du comité de la Société suisse des médecins chefs de service, salue la démarche du CHUV, «tant l’accueil peut être amélioré en milieu hospitalier», dans le secteur public notamment. «Les soignants n’ont presque aucune formation dans ce domaine bien qu’ils soient sans cesse confrontés à des attentes des patients.»
Clé de voûte de la formation: les participants doivent résoudre des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Si des outils de l’hôtellerie peuvent être une aide, comme cartographier le parcours du patient, c’est la réflexion en groupe qui doit permettre de trouver des solu­tions communes. «Ce travail de consensus est essentiel pour adresser au mieux les problèmes identifiés», souligne Béatrice Schaad. De retour au CHUV, ne risque-t-on pas d’oublier ce qui a été appris? «Deux consultants pédagogiques s’assurent que les compéten­ces et les solutions développées par le groupe amènent à un changement réel sur le terrain.»

Régler les petits écueils du quotidien

Les deux instigateurs du cours sont conscients qu’on ne peut pas régler tous les écueils d’un hôpital en cinq jours de formation. «Le but est d’enclencher une dynamique. Les participants sont orientés ‘humain’, ils veulent traiter le patient au mieux. Quand ils se rendent compte de l’importance de l’interaction avec le patient et constatent les bénéfices à la fois pour eux et pour autrui, ils veulent mettre ces outils en œuvre», affirme Lohyd Terrier. Face aux contraintes du quotidien, il n’est pas toujours facile de bien accueillir le patient, malgré la volonté. «Ce cours doit ouvrir des nouvelles perspectives», renchérit Béatrice Schaad.
Pour la présidente de l’Association suisse des infirmiè­res et infirmiers, Sophie Ley, il est pertinent de développer les compétences d’accueil des soignants. Toutefois, un bon accueil dépend aussi des ressources à disposition. «Si certaines techniques peuvent être utiles, le manque de temps et d’effectif reste un facteur déter­minant.»
La première volée d’étudiants a achevé le cours fin mars. Le bilan est positif: «Les professionnels sont ­enthousiastes. Ils ont beaucoup aimé le fait d’être en groupe et de résoudre ensemble des problèmes, mais aussi de sortir du cadre hospitalier», dit Béatrice Schaad. Les retours par écrit permettront de voir si des adaptations sont nécessaires. Il sera aussi discuté à l’interne si et comment généraliser cette ­formation, qui devrait rester facultative et suscite de l’intérêt. «Nous avons été contactés par des secteurs soumis à une grande concurrence, pour lesquels la question de l’accueil est cruciale. Ils prennent souvent en charge des patients chroniques, le risque que des conflits se répètent est donc accru», évoque l’employée du CHUV.
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