La formation basée sur les ­compétences – une introduction

FMH
Édition
2022/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20510
Bull Med Suisses. 2022;103(06):170-173

Affiliations
a Dr méd., p.-d. et MME, Université de Zurich, Hôpital universitaire de Zurich, Institut d’anesthésiologie, Zurich, Suisse; b Dre méd., p.-d. et MME, Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM), Berne, Suisse

Publié le 08.02.2022

«La formation basée sur les compétences – une introduction» est le titre du premier article de la nouvelle série thématique de l’ISFM dans le Bulletin des médecins suisses. Au cours des dernières années, la formation médicale est devenue un ­domaine à part entière, avec des connaissances spécialisées et un langage propre. Le présent article a pour objectif d’introduire les principaux termes utilisés et, nous l’espérons, d’éveiller votre intérêt pour le projet de formation médicale postgraduée basée sur les compétences.

Résumé

La formation basée sur les compétences (competency-­based medical education, CBME) a pour aspect central la définition des compétences qui devraient être acquises à la fin d’une période de formation. Par compétence on entend un ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes qui correspondent aux tâches de la vie professionnelle quotidienne. Elle implique également que ces compétences à atteindre à la fin de la formation soient au cœur de toutes les activités de formation postgraduée. Un feed-back fréquent et constructif permet de faire le point et de développer les compétences de façon efficace. Pour ce faire, les personnes chargées de la formation doivent être en mesure d’identifier et d’exploiter les situations appropriées pour fournir un feed-back efficace sur le chemin parcouru. Dans ce contexte, les évaluations en milieu de travail (EMiT) tiennent un rôle central: le concept des EPA (entrustable professional activities) en élargit l’envergure et augmente leur pertinence en termes de contenu. Les EPA sont des ensembles de tâches typiques de la spécialité concernée, que les médecins se voient progressivement confier au cours de leur formation postgraduée, de sorte à pouvoir les exercer de manière autonome. Le niveau de compétence est alors déterminé par l’évaluation du degré de supervision nécessaire.
Les EMiT ou les EPA s’inscrivent dans la documentation de formation postgraduée; elles peuvent ainsi rendre transparent non seulement le parcours d’apprentissage des médecins en formation postgraduée, mais également les exigences au niveau du programme.

Introduction

Une caractéristique essentielle de la médecine est son évolution constante. Cela ne vaut pas seulement pour les connaissances et les technologies, mais aussi pour les concepts de maladie ou les conditions éthiques et sociales. Indispensable, la formation permet à chaque médecin de répondre aux nouvelles exigences et de pouvoir façonner les évolutions futures. Des études à la retraite, via le diplôme de spécialiste, chaque étape de sa carrière professionnelle est marquée par un type de formation: prégraduée, postgraduée, continue.
Il y a encore cinquante ans, personne n’aurait remarqué qu’un programme de formation postgraduée n’enseignait que des connaissances spécialisées et que l’examen final en médecine ne représentait qu’un simple examen de connaissances. Il en va autrement aujourd’hui: outre les connaissances purement techniques, on reconnaît l’importance cruciale des ­aptitudes pratiques, de la communication avec les patientes et les patients et au sein de l’équipe médicale, de la gestion des processus, ainsi que des attitudes éthiques fondamentales. Au sens large, on peut appeler compétences la somme de ces différents aspects partiels. Le référentiel CanMEDS [1], qui décrit cette vision plus globale de l’activité médicale, sera abordé plus loin dans cet article. L’examen formalisé de cette compétence d’action médicale intégrée a été introduit il y a environ dix ans dans la formation médicale postgraduée en Suisse avec l’arrivée des évaluations en milieu de travail (EMiT). Ainsi, la plupart d’entre vous connaissent les termes Mini-CEX (mini-clinical examination) [2] ou DOPS (direct observation of procedural skills) [3]. Ils constituent un premier pas important en direction de la formation médicale basée sur les compétences (CBME) [4, 5].

CBME, EPA et programmatic assessment

Les compétences peuvent être décrites comme la somme des connaissances, des aptitudes, des valeurs et attitudes dans un domaine donné (voir encadré «Définitions»).
«Basé sur les compétences» signifie que toutes les activités de formation postgraduée sont menées dans la perspective des compétences finales à atteindre. Les objectifs de formation doivent donc correspondre aux tâches concrètes du travail quotidien, et la réussite de la formation postgraduée devrait être également mesurée en fonction des compétences acquises.
La finalité n’est donc plus déterminée par la simple ­durée de formation postgraduée exigée par le programme, mais par la capacité des médecins à exécuter de manière autonome les tâches concrètes de la spécialité (independent practice). Dans la mesure du possible, les résultats de la formation devraient être observables et vérifiables, car la transparence profite à toutes les personnes impliquées.
Pour commencer, un feed-back fréquent et constructif permet de faire le point sur l’évolution en cours et de développer les compétences de manière efficace. La ­garantie d’un cadre psychologique sûr (educational safety) s’avère ici essentielle [6]. En effet, les personnes en formation doivent établir une relation de confiance avec les personnes chargées de les former et avoir la certitude que tout ce qui est échangé dans le cadre de la situation d’apprentissage reste entre elles. Formatrices et formateurs doivent reconnaître les situations d’enseignement appropriées (il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense) et les utiliser (c’est souvent plus facile qu’on ne le pense). Ceci requiert un feed-back efficace dans le but d’apporter un soutien. Les EMiT peuvent ­aider, mais elles présentent aussi quelques limites. D’abord, ces évaluations prennent relativement beaucoup de temps; leur réalisation demande en moyenne jusqu’à 20–30 minutes. De plus, elles sont souvent perçues comme peu authentiques et ont tendance à aboutir à un feed-back non spécifique [7]. Il existe donc un risque que les EMiT se transforment en un exercice formaliste consistant à cocher des cases sur une liste de vérification [8, 9]. Par ailleurs, un certain caractère d’examen ne peut jamais être totalement exclu. Un moyen d’optimiser les EMiT serait notamment de les raccourcir tout en les utilisant plus souvent, afin d’améliorer le suivi par des évaluations fréquentes. Les applications mobiles peuvent apporter une aide supplémentaire en soutenant le processus d’évaluation [10].
Figure 1: Rôles du référentiel CanMEDS avec exemples. Image adapted from the CanMEDS Physician Competency Diagram with ­permission of the Royal College of Physicians and Surgeons of Canada.
Outre l’adaptation de la fréquence et de la durée des différentes EMiT, c’est avant tout la pertinence de leur contenu qui doit être garantie. Pour ce faire, les EPA (entrustable professional activities) se sont avérées extrêmement utiles ces dernières années [11], car elles sont mieux adaptées aux caractéristiques du quotidien clinique [12, 13]. La définition actuelle du terme EPA ­figure dans l’encadré «Définitions». Les EPA constituent des ensembles de tâches clairement définies et typiques de la spécialité concernée (professional activities), que les médecins se voient progressivement confier au cours de leur formation postgraduée, de sorte à pouvoir les exercer de manière autonome. Pour une EPA observée, la personne responsable de la formation se pose la question suivante: «Quel niveau de supervision sera utile à l’assistante si la même tâche lui est à nouveau confiée demain?» Ce niveau requis (level of supervision) devient ainsi la mesure du niveau de compétence, et l’outil d’évaluation est en conséquence appelé entrustment scale [14]. Le degré d’autonomie est ainsi adapté à la performance observable, ce qui favorise activement le développement individuel.
Dans le logbook, l’évaluation et la documentation régulières des «niveaux de supervision» permettent également de suivre les progrès de l’apprentissage sur un graphique. Cela augmente la transparence pour les médecins en formation et pour les personnes qui les forment, et permet d’identifier les lacunes en matière de compétences. Par exemple, l’attribution d’une certaine tâche à une certaine personne peut être déterminée plus rapidement. Si l’évaluation et le feed-back ont lieu à une fréquence suffisante, le poids de chaque évaluation individuelle diminue, ce qui atténue le caractère d’examen d’une EMiT. L’intégralité de toutes les évaluations permet néanmoins de prendre une décision d’examen définitive («réussi» / «non réussi»). L’évaluation en milieu de travail s’en trouve modifiée. La situation d’examen ne sert plus à contrôler ce qui a été appris (assessment of learning), mais doit être utilisée en vue de l’élargissement des compétences ou de l’apprentissage (assessment for learning) [15]. Ce concept est appelé programmatic assessment [16]. C’est le changement culturel vécu, porté conjointement par les médecins en formation et ceux qui les forment, qui constitue l’élément central d’une véritable évaluation programmatique. En effet, les médecins en formation doivent adopter une attitude active et assumer une plus grande responsabilité vis-à-vis de leur formation postgraduée, notamment par leur intérêt à recevoir un feed-back [17].
Quant aux personnes chargées de la formation, elles doivent faire preuve de compétences en enseignement. Or, il a été clairement démontré qu’un bon enseignement ne découle pas du talent de l’enseignant-e, fortuitement présent ou pas, mais que ces compétences-ci doivent être tout bonnement apprises, et également entraînées. L’ISFM propose à cet effet depuis quelques années une formation appelée teach the teachers, en collaboration avec le Royal College of Physicians de Londres. Désormais, ces cours sont également dispensés en français et en allemand.
Dans les paragraphes précédents, nous avons esquissé l’orientation d’une pratique moderne de la formation postgraduée. La prochaine section se consacre aux objectifs de la formation médicale. Mentionné précédemment, le référentiel CanMEDS décrit de manière exhaustive les compétences du «bon» médecin.

Définitions

Compétence
Faculté observable d’un médecin qui comprend plusieurs composantes telles que les connaissances, les aptitudes, les valeurs et les attitudes.
Entrustable professional activities (EPA)
Les EPA (en français: «activités professionnelles pouvant être ­réalisées de manière autonome») sont des unités de compétence professionnelle qui peuvent être entièrement confiées à un médecin en formation dès lors que la capacité de réaliser sans supervision l’ensemble des tâches qu’elles comprennent a pu être démontrée.

Référentiel de compétences médicales

Tous les programmes de formation postgraduée en Suisse s’appuient sur le référentiel de compétences pour les médecins, développé par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada dans les années 1990, que l’on appelle CanMEDS [4]. Le catalogue national des objectifs de formation pour les études de médecine en Suisse (PROFILES [18]) se réfère également explicitement à la norme CanMEDS. Le schéma comprend sept rôles qui englobent tous les domaines de l’activité médicale. Une illustration éloquente montre les rôles comme des pétales qui se chevauchent, à l’intersection desquels se trouve l’expert-e médical-e, qui représente l’intégration de tous les rôles (voir fig. 1). En 2015, trois thèmes fondamentaux, communs à tous les rôles, se sont ajoutés au modèle CanMEDS: patient safety, interprofessionalism et accountability for the continuity of care (ce qui peut également être compris comme «centrage sur les patients») [1]. CanMEDS 2015 met ainsi encore plus en avant la responsabilité du médecin vis-à-vis de l’individu (patient-e) et de la société (système de santé).
L’intérêt du référentiel CanMEDS réside dans le fait qu’il décrit toute l’étendue de l’activité médicale au moyen d’un modèle simple. Il met en évidence le fait que le «médecin compétent» a besoin de bien plus que de connaissances spécialisées et d’habileté manuelle. La formation postgraduée doit donc expressément inclure des rôles prétendument moins importants, qui s’articulent autour de l’expert-e médical-e, dont notamment les aptitudes à la communication ou l’activité médicale dans un contexte éthique. La transmission de telles compétences peut se faire dans le cadre de cours formels mais aussi lors d’un enseignement explicite sur le lieu de travail. En tant que personnes de référence, formatrices et formateurs y tiennent un rôle important.
Enfin, le référentiel CanMEDS [1] inclut également l’aspect de l’apprentissage tout au long de la vie et se penche aussi expressément sur la formation continue et l’organisation de la fin de carrière. La nécessité d’une formation continue, gérée si possible de manière autonome, découle des données qui montrent l’évolution du niveau de compétence au cours de la vie professionnelle [19] et d’autres données indiquant qu’une formation professionnelle complémentaire régulière est associée à une meilleure performance au travail [20]. La formation continue au sens du continuous professional development (CPD) devient ainsi une autre compétence clé du médecin, qui permet d’exercer la médecine avec une qualité élevée à long terme [21].

Conclusion

La formation médicale postgraduée et continue basée sur les compétences représente le moyen le plus efficace de développer et de maintenir un niveau élevé de compétences médicales et de qualité des soins. Elle augmente la transparence des objectifs d’apprentissage pour les médecins en formation et les médecins formateurs. Evaluer la «possibilité de confier» des activités professionnelles pouvant être réalisées de manière autonome (EPA) trace le chemin du développement professionnel et soutient particulièrement le développement de l’autonomie des médecins en formation. Introduit en Suisse en tant que cadre exhaustif pour décrire l’excellence médicale, le référentiel CanMEDS est désormais bien établi dans la formation prégraduée des médecins.
Les auteur-e-s: Jan Breckwoldt est chef de clinique avec responsabilité élargie à l’Institut d’anesthésiologie de l’Hôpital universitaire de Zurich. Monika Brodmann Maeder est spécialiste en médecine interne générale et présidente de l’ISFM.
Photos: màd
jan.breckwoldt[at]usz.ch
 2 Norcini JJ, Blank LL, Duffy FD, Fortna GS. The mini-CEX: a method for assessing clinical skills. Ann Intern Med. 2003;138:476–81.
 3 Loerwald AC, Lahner FM, Nouns ZM, et al. The educational impact of Mini-Clinical Evaluation Exercise (Mini-CEX) and Direct Observation of Procedural Skills (DOPS) and its association with implementation: A systematic review and meta-analysis. PLoS One. 2018;13(6):e0198009.
 4 Frank JR, Snell LS, ten Cate O, et al. Competency-based medical ­
education: theory to practice. Med Teach. 2010;32:638–45.
 5 Morcke AM, Dornan T, Eika B. Outcome (competency) based education: an exploration of its origins, theoretical basis, and empirical evidence. Adv Health Sci Educ Theory Pract. 2013;18:851–63.
 6 Johnson CE, Keating JL, Molloy EK. Psychological safety in feedback: What does it look like and how can educators work with ­learners to foster it? Med Educ. 2020;54:559–70.
 7 Watling CJ, Ginsburg S. Assessment, feedback and the alchemy of learning. Med Educ. 2019;53:76–85.
 8 Bindal T, Wall D, Goodyear HM. Trainee doctors’ views on workplace-based assessments: are they just a tick box exercise? Med Teach. 2011;33:919–27.
 9 Sabey A, Harris M. Training in hospitals: What do GP specialist trainees think of workplace-based assessments? Educ Prim Care. 2011;22:90–9.
10 Ferenchick GS, Solomon D, Foreback J, et al. Mobile technology for the facilitation of direct observation and assessment of student performance. Teach Learn Med. 2013;25:292–9.
11 Ten Cate O. Entrustability of Professional Activities and Competency-Based Training. Med Educ. 2005;39:1176–7.
12 Breckwoldt J, Beckers S, Breuer G, Marty A. Entrustable professional activities: Ein zukunftsweisendes Konzept für die ärztliche Weiterbildung. Anaesthesist. 2018;67:452–7.
13 Jonker G, Hoff RG, ten Cate OT. A case for competency-based ­anaesthesiology training with entrustable professional activities: an agenda for development and research. Eur J Anaesthesiol. 2015;32:71–6.
14 Ten Cate O, Schwartz A, Chen HC. Assessing Trainees and Making Entrustment Decisions: On the Nature and Use of Entrustment-­Supervision Scales. Acad Med. 2020;95:1662–9.
15 Schuwirth LW, Van der Vleuten CP. Programmatic assessment: from assessment of learning to assessment for learning. Med Teach. 2011;33:478–85.
16 Van der Vleuten CP, Schuwirth LW. Assessing professional competence: from methods to programmes. Med Educ. 2005;39:309–17.
17 Teunissen PW, Stapel DA, van der Vleuten C, Scherpbier A, Boor K, Scheele F. Who wants feedback? An investigation of the variables influencing residents’ feedback-seeking behavior in relation to night shifts. Acad Med. 2009;84:910–7.
18 Catalogue national des objectifs d’apprentissage PROFILES: https://www.profilesmed.ch/
19 Choudhry NK, Fletcher RH, Soumerai SB. Systematic review: The relationship between clinical experience and quality of health care. Ann Int Med. 2005;142:260–73.
20 Wenghofer EF, Marlow B, Campbell C, et al. The relationship between physician participation in continuing professional devel­opment programs and physician in-practice peer assessments. Acad Med. 2014;89:920–7.
21 Lockyer J, Bursey F, Richardson D, et al.; ICBME Collaborators. ­Competency-based medical education and continuing professional development: A conceptualization for change. Med Teach. 2017;39:617–22.