La fin de la souris de laboratoire?

Tribüne
Édition
2022/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20492
Bull Med Suisses. 2022;103(04):116-117

Affiliations
Rédactrice en chef adjointe du Bulletin des médecins suisses

Publié le 25.01.2022

L’initiative «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine» demande toute interdiction de l’expérimentation animale et de la recherche sur l’être humain. Les représentants de huit institutions de recherche ont expliqué devant la presse pourquoi le bien-être des personnes en Suisse et à l’étranger en pâtirait.
Que se passerait-il s’il n’y avait plus de souris de laboratoire en Suisse, étudiées par Homo sapiens au service de la science? 556 107 animaux ont été examinés par les scientifiques suisses en 2020, dont 346 382 souris. Serait-ce bientôt la fin de ces expérimentations? Le 13 février, la population suisse votera sur l’initiative «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – Oui aux approches de recherche qui favorisent la sécurité et le progrès». Pour le comité d’initiative, l’acceptation serait le pas souhaité vers plus d’éthique, du devoir d’assistance, de la raison, du progrès et de la logique – pour ne citer que quelques mots clés du site des initiants [1].
Les opposants au texte dressent en revanche un tableau sombre: «L’acceptation de l’initiative signifierait une interdiction de la recherche», a déclaré mi-janvier Marcel Tanner, président des Académies suisses des sciences, lors d’une conférence de presse virtuelle de huit institutions de recherche académiques [2]. Des représentants de swissuniversities, du Conseil des EPF, de la Médecine Universitaire Suisse (unimedsuisse), du Centre de compétences 3R suisse, de Jeune Académie Suisse, du Fonds national suisse, de Swissfaculty et des Académies suisses des sciences ont fait bloc contre l’initiative arguant qu’un «oui» mettrait en péril la place scientifique helvétique, les chercheuses et chercheurs risquant de partir à l’étranger.

Des conséquences loin à la ronde

Marcel Tanner a en outre mis en garde contre les conséquences internationales. Grâce à ses recherches sur des maladies telles que la malaria, le VIH ou encore les maladies parasitaires, la Suisse contribue largement au développement de médicaments dont béné­ficient des personnes dans différents pays. «Cela n’est possible que grâce à l’expérimentation animale et aux études cliniques», a souligné Marcel Tanner. Une interdiction risquerait de faire reculer le progrès de la santé dans le monde entier.
En plus de l’abolition des expériences sur les animaux et les êtres humains, les auteurs de l’initiative exigent la fin du commerce, de l’importation et de l’exportation de produits de toute branche et de toute nature si ceux-ci «continuent de faire l’objet directement ou indirectement d’expérimentation animale», précise le texte de l’initiative [3]. «Il ne serait plus possible de fournir des soins de santé de haute qualité à la pointe des connaissances», a estimé Bertrand Levrat, président de l’Association Médecine Universitaire Suisse. Pour lui, il s’agit d’une «situation discutable sur le plan éthique» qui inciterait les personnes plus aisées à se faire traiter à l’étranger.
Les réglementations en matière d’expérimentation animale en vigueur sont strictes, ont par ailleurs rappelé les représentants de la recherche. En Suisse, les scientifiques sont tenus de planifier les expériences sur les animaux en respectant les 3R, soit «Replace, Reduce, Refine» (Remplacer, Réduire, Améliorer). Les expériences sur les animaux doivent si possible être ­remplacées par des méthodes d’expérimentation alternatives. Le nombre d’expériences sur les animaux doit être réduit, tout comme le nombre d’animaux par expérience. L’amélioration des conditions d’expérimentation et de détention doit réduire les contraintes et le stress et augmenter l’acquisition de connaissances par animal. En février 2021, le Conseil fédéral a lancé le programme national de recherche «Advancing 3R – Animaux, recherche et société», d’une durée de cinq ans, à l’aide duquel les aspects éthiques, juridiques, culturels et autres de l’expérimentation animale seront étudiés. Il doit aussi contribuer à réduire encore le nombre d’expériences sur les animaux [4].

Moyens de substitution irréalisables

Egalement présent devant la presse, le Centre de compétence 3R Suisse est une association d’utilité publique qui promeut les principes 3R et soutient les chercheu­ses et chercheurs dans leur mise en œuvre. Sa directrice exécutive Jenny Sandström a fait valoir qu’en cas d’acceptation de l’initiative, même le premier R («Replace») ne serait guère plus réalisable. En effet, pour développer des produits de substitution, par exemple des organoïdes, on dépendrait des connaissances issues de l’expérimentation animale.
Hubert Steinke, professeur d’histoire de la médecine à l’Université de Berne, a résumé l’histoire de l’ex­périmentation animale et humaine en Suisse en ces termes: «Ceux qui décident d’accepter cette initiative décident d’abandonner une grande partie de notre recherche actuelle.»

L’expérimentation animale en Suisse

Depuis 2012, environ 600 000 animaux sont utilisés en moyenne chaque année à des fins de recherche. Depuis 2016, un léger recul a été enregistré, dû à la diminution du nombre de souris et de poissons utilisés. Il y avait une nette hausse en 2015 en raison d’études comportementales sur de grands troupeaux ainsi que de projets de conservation des espèces.
En 2019, 3,2% de tous les animaux de laboratoire ont été classés dans le degré de gravité 3, soit le plus élevé. Ces bêtes ont été soumises à une «contrainte sévère» telles que fortes douleurs, souffrances continues ou grande anxiété. Les connaissances acquises dans le cadre d’expériences impliquant une contrainte sévère pour les animaux sont judicieuses pour la recherche sur des maladies graves et complexes telles que le cancer, l’épilepsie ou la maladie d’Alzheimer.