Je crois que l'assistance au suicide ne fait pas partie des actes médicaux (avec réplique)

Briefe / Mitteilungen
Édition
2021/49
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20384
Bull Med Suisses. 2021;102(49):1654

Publié le 07.12.2021

Je crois que l’assistance au suicide ne fait pas partie des actes médicaux (avec réplique)

Lettre concernant: Beck P. L’assistance au suicide fait partie des actes médicaux. Bull Med Suisses. 2021;102(46):1527.
Le Dr Beck fait état des 200 personnes qu’il a acceptées d’accompagner dans leur choix de suicide, alors que les patients qui m’ont confronté à leur désir de mourir avec l’association Exit n’en forment qu’une dizaine en 40 ans de médecine hospitalière et de cabinet.
Je n’aurais aucune fierté, comme le Dr Beck, d’avoir accompagné quatre professeurs de la faculté de médecine dans leur suicide. J’ai assez travaillé dans les milieux universitaires pour me rendre compte que mes professeurs étaient sur le plan moral ni meilleurs ni moins bons que les autres, parfois imbus de leur supériorité intellectuelle qui pouvait leur faire croire à une quelconque supériorité ­morale. Le fait que ces personnes aient décidé de se suicider avec l’aide de l’un de leurs confrères ou consœurs ne peut en aucun cas apporter de caution à cette cause.
Je suis reconnaissant au Dr Beck d’avoir sou­ligné le fait qu’il «croit que l’assistance au ­suicide fait partie des actes médicaux». Nous sommes en effet dans le domaine de la croyance. Celle-ci, comme toute foi, n’empêche jamais la raison de se déployer, ainsi que tente de le faire le Dr Beck avec honnêteté, mais en dernière instance, celle du choix sera un acte de foi.
De ma propre et petite expérience, je n’ai pas vu le suicide comme un acte de liberté. Malgré les précautions que prennent les membres d’Exit pour faire de leur démarche un acte bienveillant et médicalement solidement étayé, j’ai souvent ressenti chez les patients que j’ai suivis quelque chose de dissonant, d’à peine perceptible ou d’autre fois crevant les yeux, une espèce de grain de sable qui me ­faisait dire qu’il y avait déjà durant la vie du futur suicidé quelque chose de mort, quelque chose d’éteint qui poussait la personne à «choisir sa mort». Je ne parle pas ici de personnes réellement en fin de vie où les soins palliatifs prennent tout leur sens. Projection d’un croyant, vous me rétorquerez. Je ne pourrais que vous retourner l’argument.
On ne peut pas décemment et médicalement proposer l’assistance médicale au suicide comme une alternative à la violence des suicides. C’est ignorer que le suicide médicalement assisté a aussi des répercussions familiales et sociales que l’on ne doit pas banaliser.
A la peur de la mort qui envahirait les personnes résistantes à l’assistance médicale au suicide, j’opposerais la peur de perdre la maîtrise. Je me fais mourir de peur que la mort me surprenne. N’est-ce pas là une peur de la mort bien plus grande que celle de subir sa propre fin? Nous sommes dans un monde de pseudo- toute-puissance où la maîtrise de soi est un maître mot et sa perte, la pire des décadences. L’idée «qu’un jour chaque être humain capable de discernement sera libre de choisir le moment et les moyens de mettre fin à sa vie considérée comme ‘accomplie’» est effrayante et dangereuse. Sans négliger les divers questionnements éthiques que soulève une telle assertion (et ils sont nombreux), j’y retiendrai surtout le principe d’un Absolu qui ne dit pas son nom.
Dans le sillage de la tradition judéo-chrétienne à laquelle j’ai la grâce et la liberté d’adhérer, j’ose croire à une transcendance, à celle d’un Dieu qui dit que mon autonomie ne peut se comprendre que dans une relation, un Je et un Tu, où je ne me prends pas la vie mais la ­reçois et la donne. Dans ce contexte, être un objecteur de conscience devient une évidence.

Réplique à «Je crois que l’assistance au suicide ne fait pas partie des actes médicaux»

Le Dr Jacques Epiney est croyant, mais sa foi, que je respecte, n’est pas la mienne. Je me ­réfère plutôt à la tradition des Lumières. Nous n’avons pas choisi d’entrer dans la vie, mais nous avons la liberté d’en sortir dès lors qu’elle a perdu ce qui nous a fait l’aimer et qui lui donne son sens.
Une précision: j’ai apporté mon assistance à quelque 200 personnes en qualité de médecin et accompagnateur chez EXIT, pas comme médecin-traitant. Ces personnes n’avaient pas peur, en général, de la mort en tant que disparition, mais elles craignaient l’agonie et la dépendance qui la précèdent inévitablement et qu’un acte médical peut abréger. Médecins, professeurs ou autres mortels sont devant le même choix: laisser faire la nature, souvent cruelle, ou choisir de prendre la clef des champs. Eviter la perte de maîtrise, comme dit mon confrère, c’est une réalité, mais ne voulons-nous pas toute notre vie être responsables et fiers de nos actes?
La souffrance des proches et des soignants, souvent alléguée en cas de suicide assisté et préparé, n’est qu’une fable. Tristesse et soulagement cohabitent toujours comme en cas de mort naturelle et la préparation au deuil, nécessaire dans tous les cas, permet à chacun de préparer sa propre mort, naturelle ou assistée.
«O Herr, gib jedem seinen eignen Tod» (Rilke)