Prescription pour la psychothérapie: il reste beaucoup à faire

Organisationen der Ärzteschaft
Édition
2021/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20342
Bull Med Suisses. 2021;102(5152):1720-1722

Affiliations
a Dre, présidente de la Société suisse de psychiatrie et de psychothérapie SSPP; b Dr, vice-président de la SSPP; c Dipl. féd. pharm. EPF, vice-présidente de Swiss Mental Health Care SMHC; d Pr, président de SMHC

Publié le 21.12.2021

Le passage au modèle de la prescription pour la psychothérapie fournie par les psychologues est précipité: les cantons ne disposent d’aucun instrument de pilotage et la formation postgraduée clinique prévue est insuffisante. Ces zones d’ombre doivent impérativement être éclaircies avant l’entrée en vigueur du modèle de la prescription afin d’éviter une multiplication des prestations.
Le 19 mars 2021, le Conseil fédéral a annoncé le remplacement du modèle de délégation par le modèle de prescription à partir du 1er juillet 2022. Dans le nouveau modèle, les psychologues psychothérapeutes peuvent fournir leurs prestations de façon autonome dans le cadre de l’AOS. Le Conseil fédéral a fixé l’objectif suivant: l’accès simplifié à la psychothérapie doit permettre de remédier à la pénurie de médecins en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, dans les régions périphériques, ainsi qu’en situation d’urgence et de crise et pour les personnes ­atteintes de maladies psychiatriques graves. Quelques mois plus tard, il s’avère que c’est un vœu pieux. Le calendrier pour la mise en œuvre est en effet bien trop serré. Compte tenu de la complexité et de la portée de ce changement de système, une révision de la LAMal aurait été indiquée. En lieu et place, le Conseil fédéral a choisi de procéder par voie d’ordonnance: six mois avant sa mise en œuvre, des questions fondamentales restent ouvertes concernant la prise en charge ciblée, la sécurité, la qualité et les coûts. Les zones d’ombre sont trop nombreuses et le système de santé est aujourd’hui menacé par le risque d’une prise en charge inappropriée parallèlement à une hausse des coûts incontrôlée, alors même que les politiques débattent intensivement des volets I et II de mesures visant à freiner la hausse des coûts, qui doivent permettre de réaliser des économies dans tous les ­domaines du système de santé.

Ce qui se passe au plan politique

Le Conseil fédéral a fixé la date du changement de système, alors que le Conseil des Etats n’a pas encore délibéré au sujet de la motion de la Commission de la santé publique du Conseil national, qui réclame une gestion de l’admission des psychologues au niveau ­légal. La SSPP et la SMHC se sont ainsi adressées aux membres de la Commission de la santé du Conseil des Etats, donnant lieu à une audition en présence des associations concernées le 19 octobre 2021. A la suite de cela, les membres de la commission ont recommandé au Conseil des Etats d’accepter ladite motion. Ce dernier a finalement transmis la motion au Conseil fédéral le 6 décembre 2021. Contrairement à ce que la Fédération Suisse des Psychologues (FSP) a communiqué publiquement lors de cette audition, les débats n’ont pas porté sur le modèle de la prescription. La SSPP et la SMHC s’étaient rendues à cette audition avec une seule préoccupation: créer, grâce au changement de système, les conditions nécessaires pour améliorer la prise en charge des personnes présentant des maladies psychiatriques et ­éviter d’occasionner indûment des dépenses supplémentaires.
La motion sur le pilotage des admissions ne pouvant être mise en œuvre dans un délai aussi court, la Commission de la santé publique du Conseil des États a adressé mi-novembre 2021 un courrier au Conseil fédéral. Elle l’y enjoint à faire ce qui relève de sa compétence, déjà dans la perspective de l’entrée en vigueur de l’adaptation de l’ordonnance au 1er juillet 2022, afin de prévenir une croissance des volumes injustifiée et garantir une prise en charge de qualité.

De nombreux points à clarifier

Il faut dès à présent engager des mesures pour éviter de devoir corriger les dérives après coup. Ce sont autant de questions ouvertes auxquelles il faut impérativement répondre avant que le modèle de la prescription n’entre en vigueur, que nous présentons ci-dessous.

Gestion des admissions

Les cantons doivent impérativement être en mesure de gérer l’admission des psychologues psychothérapeutes avant que le modèle de la prescription n’entre en vigueur. Dans le contexte actuel, cela entraînerait une augmentation des prestations dans tout le pays. Ainsi, l’offre dans les villes, qui est déjà suffisante, ­serait encore étoffée. Cela conduirait inévitablement à une multiplication des prestations, sans que la situation ne soit pour autant améliorée dans les endroits ou les secteurs effectivement concernés par la pénurie: en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, pour les personnes atteintes de maladies psychiatriques graves, dans les régions périphériques, ainsi qu’en ­situation d’urgence et de crise. Si l’accès au marché ambulatoire continue de ne pas être réglementé, le problème de pénurie de personnel qualifié qui se pose déjà dans les institutions psychiatriques, qui ont une obligation de prise en charge globale, risquera de s’aggraver encore. Chaque année, environ 400 psycho­logues terminent leur formation postgraduée leur donnant le droit d’exercer la psychothérapie psychologique à titre indépendant. A titre de comparaison: le nombre de médecins qui achèvent chaque année leur formation postgraduée de médecin spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et sont soumis à une double réglementation ne représente même pas la moitié de cet effectif.

Formation postgraduée clinique

Avant que le modèle de la prescription n’entre en ­vigueur, il faut réglementer la formation postgraduée en pratique clinique des psychololgues psychothérapeutes: à l’heure actuelle, les contenus de cette formation n’ont pas été définis et son financement n’est pas assuré. En outre, l’OPAS/OAMal ne prévoit qu’une ­année d’expérience pratique clinique dans un établissement de formation postgraduée certifié par l’ISFM. Ceci est insuffisant pour soigner des maladies psychiques de façon largement autonome, ce qui est pourtant l’objectif visé. Les psychologues indépendants doivent avoir étudié tout l’éventail des maladies psychiatriques pendant leur formation postgraduée. Ceci car dans le modèle de la prescription, le ou la psychiatre n’intervient qu’après 30 séances. Dans le ­modèle de la délégation en revanche, le soutien du ou de la médecin spécialiste et la collaboration sont assurés dès le début de la thérapie.
De plus, une expérience suffisante en pratique clinique dans des institutions psychiatriques et psychothérapeutiques certifiées par l’ISFM est également indispensable: en effet, dans le nouveau modèle, les ordonnances sont aussi établies par des médecins de premier recours qui ont généralement peu d’expérience dans le diagnostic et le traitement des maladies psychiatriques. Il est donc éminemment important que les psychologues psychothérapeutes apprennent à déceler avec certitude les troubles psychiques graves. Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera possible de satisfaire dès le début à la qualité des indications et aux exigences relatives à la qualité et à la sécurité du traitement, ainsi que d’éviter les erreurs de traitement. Enfin, l’expérience clinique a une importance capitale en cas d’intervention de crise et de traitement d’urgence, préci­sément là où surviennent les problèmes de prise en charge en raison de la pénurie, auxquels le Conseil ­fédéral entend remédier avec le modèle de la pres­cription.

Sous-financement

Si leur expérience clinique est insuffisante, les psychologues psychothérapeutes se concentreront forcément sur les cas légers. Cela comporte le risque que la prise en charge psychiatrique ambulatoire, tant en pratique privée qu’au niveau institutionnel, doive gérer plus de cas graves, alors même que le système tarifaire actuel ne rémunère pas de façon adéquate les coûts des traitements ambulatoires pour les personnes présentant des maladies psychiatriques graves et complexes. Aujourd’hui déjà, les services ambulatoires des institutions ne peuvent être exploités de façon rentable que grâce aux subventions cantonales sous forme de ­prestations d’intérêt général. La pression financière sur les traitements psychiatriques ambulatoires des personnes gravement malades augmentera.

Pénurie de personnel qualifié

Si les professionnels exerçant en ambulatoire au sein des institutions et les psychiatres en pratique privée sont de plus en plus confrontés à une concentration de patients atteints de maladies psychiques graves, l’attrait diminuera pour les groupes professionnels concernés, notamment pour la relève dans le domaine médical et des soins. Cette répartition ­asymétrique de la charge de travail contribuera à aggraver la pénurie de personnel qualifié dans les institutions psychiatriques. Avec la multiplication des prestations non réglementée prévue sur l’ensemble du territoire, le risque que les ressources soient transférées des cas graves vers les cas plus légers est particulièrement grand.

Evolution des coûts

Le surcoût de 167 millions de francs annoncé par l’OFSP est nettement sous-estimé et s’appuie sur des chiffres et des faits qui ne sont pas représentatifs. Des bases chiffrées fiables doivent donc être établies. Mais il ne suffit pas de surveiller l’évolution des coûts. Sans une gestion efficace des admissions par les cantons, ce ­domaine affichera une croissance des coûts de la santé incontrôlée sans la contrepartie visée, à une époque où la pression des coûts est déjà énorme dans le système de santé.

Un report du changement est nécessaire

Six mois avant le changement de système et le passage du modèle de la délégation à celui de la prescription, des incertitudes fondamentales demeurent concernant la prise en charge ciblée, la sécurité, la qualité et les coûts.
Dans ces conditions, les objectifs fixés par le Conseil ­fédéral et visant à remédier à la pénurie dans la prise en charge psychiatriques et psychothérapeutiques resteront un vœu pieux. Une révision de la LAMal serait indiquée compte tenu de la complexité et de la portée du changement de système. Toutefois, il reste une chance de mettre en œuvre le changement de système par voie d’ordonnance de façon à réduire la pénurie de médecins en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, dans les régions périphériques, ainsi qu’en situation d’urgence et de crise, et plus généralement pour les personnes atteintes de maladies psychiatriques graves. Le changement de système prévu pour le 1er juillet 2022 doit être reporté à une date ultérieure, afin d’avoir le temps de créer les conditions nécessaires empêchant une prise en charge inappropriée et une augmentation injustifiée des dépenses. Les questions relatives à la gestion des admissions et à la formation postgraduée des psychologues doivent impérativement être clarifiées avant l’entrée en vigueur du modèle de la prescription. Si cela n’est pas fait et si les psychologues psychothérapeutes ne sont pas préparés aux nouvelles conditions du modèle de la prescription pendant leur formation postgraduée, il y a un grand risque de prise en charge inappropriée pour les personnes atteintes de maladies psychiatriques graves. Les problèmes rencontrés lors de la prise en charge doivent être déter­minants pour la mise en œuvre, et il convient de tenir compte des aspects liés à la qualité et à la sécurité, ce qui englobe le financement et la conception d’une ­formation postgraduée clinique adéquate.

L’essentiel en bref

• Le 1er juillet 2022, le modèle de délégation pour les prestations en psychothérapie fournies par des psychologues sera remplacé par le modèle de prescription, conformément à la décision du Conseil fédéral. Cela devrait permettre d’éviter les pénuries de soins.
• Du point de vue de la SSPP et la SMHC, cette modification soulève des questions au niveau de l’admission, de la formation postgraduée clinique et du financement, ainsi qu’en matière de pénurie de personnel qualifié et de l’évolution des coûts.
• La SSPP et la SMHC plaident pour un report dans le temps du changement de modèle, afin de clarifier ces questions de manière adéquate et d’éviter des coûts supplémentaires inutiles.
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