8e symposium MedEd de l’ISFM à Berne

L'avenir est au numérique et à l'interprofessionnalité

FMH
Édition
2021/50
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20299
Bull Med Suisses. 2021;102(50):1676-1680

Affiliations
Rédactrice

Publié le 15.12.2021

Cette année, le symposium MedEd de l’Institut suisse pour la formation mé­dicale postgraduée et continue (ISFM) a présenté les opportunités de la numé­risation pour la médecine ainsi que l’importance d’une interprofessionnalité ­effective. En outre, l’événement s’est penché sur les questions d’éthique professionnelle, qui, pendant le coronavirus, n’ont jamais été aussi urgentes pour la formation médicale.
La 8e édition du symposium MedEd a rassemblé plus de 200 personnes. Il s’agissait du premier symposium conduit sous la direction de la nouvelle présidente de l’ISFM, Monika Brodmann. L’ancien président et fondateur du symposium Werner Bauer a profité de l’occasion pour transmettre officiellement et «en toute confiance» la direction du MedEd à sa successeure. En fonction depuis février 2021, Mme Brodmann s’est déclarée très heureuse de sa nouvelle mission, qui par ailleurs requiert beaucoup de dynamisme. En tant qu’alpiniste passionnée, elle a comparé l’objectif de la formation postgraduée basée sur les compétences, que les medical educators s’efforcent d’atteindre aujourd’hui, avec le K2 – un sommet «que l’on ne peut gravir qu’en équipe».
Le K2, symbole d’une formation continue basée sur les compétences. Tous deux ne sont atteignables qu’en équipe.

Le travail d’équipe comme fil rouge

L’ensemble du symposium a été, à vrai dire, une réussite sur le plan du travail coopératif, non seulement en termes de choix thématique mais également en termes d’organisation, par l’intervention d’un grand nombre de conférencières et conférenciers [1]. En outre, l’invitée surprise, la présidente de la FMH Yvonne Gilli, a souligné, dans son allocution spontanée de bienvenue, la culture de coopération consciente et effective entre les organisations médicales «sœurs», la FMH et l’ISFM. Concernant le thème du symposium, Mme Gilli a reconnu que la numérisation posait de nouveaux défis aux médecins, mais que «la médecine reste un métier et celui-ci nécessite des instruments. Aujourd’hui, ces outils sont, entre autres, numériques et destinés à servir le corps médical ainsi que les patients.» Il s’agit d’une préoccupation pour laquelle l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et le corps médical s’engagent de concert depuis longtemps, comme l’a souligné le directeur suppléant de l’OFSP, ­Roland Charrière, dans son allocution. La plate-forme «Avenir de la formation médicale» offre dans ce but des possibilités d’échange appréciées et efficaces.

«Be a good role model»

Outre les outils numériques, la médecine dispose également d’outils éthiques, a déclaré Samia Hurst, directrice de l’Institut Ethique, Histoire, Humanité de l’Université de Genève, en ouvrant le premier exposé de la journée. «Les principes éthiques sont comme une boîte à outils immatérielle grâce à laquelle les patients nous font confiance.» Le serment d’Hippocrate inclut ces principes dans des termes clairs – à première vue, «but it is a little bit more complicated in practice», a commenté Mme Hurst. De nombreux dilemmes éthiques se posent car, pour le corps médical, aux obligations envers les patients s’ajoutent celles envers les proches, le personnel de formation, les supérieurs, l’employeur, les autorités, le public... et aussi envers sa propre santé. Toutefois, des dilemmes peuvent également se poser en cas de conflits d’intérêts de la part des médecins, ce qui peut mettre en péril la confiance des patients. Qu’est-ce que cela signifie pour la formation médicale? L’éthique est certes enseignée en médecine humaine, mais le facteur décisif serait une formation pratique et convaincante du point de vue qualitatif, axée sur l’acquisition des compétences nécessaires. «Cela a un coût mais nous devons insister sur ce point», a revendiqué Mme Hurst. Les jeunes médecins doivent apprendre concrètement à reconnaître et formuler les conflits éthiques et à y réagir de manière adéquate. Cette préparation pratique permettra probablement de mieux faire face aux comportements non professionnels, qu’il s’agisse du sien ou de celui d’un-e collègue de travail. Il ne suffit donc pas qu’une institution publie des directives éthiques; une culture de l’éthique effective doit aussi être instaurée. «Lorsque la théorie et la pratique se contredisent, vous en déduisez que les règles ne s’appliquent pas», a souligné Mme Hurst, en lançant un appel au personnel de formation réuni: «You will be a role model – try to be a good one.»
Samia Hurst, directrice de l’Institut Ethique, Histoire, ­Humanité de l’Université de Genève.

L’interprofessionnalité fait école

Dans l’exposé suivant, Thomas Fassier et Patricia Picchiottino, respectivement directeur et directrice suppléante du Centre interprofessionnel de simulation (CiS) à Genève, ont donné un aperçu de leur travail. «Nous devons enseigner la médecine de manière interprofessionnelle à tous les niveaux de formation – non seulement pour garantir la sécurité des patients, mais aussi pour relever les défis démographiques, climatiques et épidémiologiques de demain», a déclaré M. Fassier, convaincu. Les rôles CanMEDS ont ouvert la voie à la coopération interprofessionnelle en décrivant les rôles assumés par les médecins dans leur métier. Ils sont entre-temps également utilisés dans de ­nombreuses professions paramédicales. Cependant, Mme Picchiottino a précisé qu’il appartient à l’équipe d’apporter une attention particulière à la définition de ces rôles. «Il s’agit du seul moyen d’instaurer une acceptation mutuelle de la collaboration interprofessionnelle et un cadre commun, au sein duquel tous les ­spécialistes d’une équipe peuvent s’exprimer.» Afin d’apprendre l’interprofessionnalité, divers instruments sont à disposition: outre l’entraînement à la simulation, on retrouve, par exemple, les jeux de rôle, le suivi ou le shadowing. M. Fassier a souligné que «l’interprofessionnalité est perçue comme une nécessité majeure pour la relève médicale et paramédicale». En témoigne notamment la fondation en 2019 de la Swiss Youth Health Alliance, une alliance d’organisations d’étudiant-e-s dans le domaine de la santé. Son appel à davantage de formatrices et formateurs prêchant l’interprofessionnalité doit être entendu, selon M. Fassier.
Patricia Picchiottino et Thomas Fassier, respectivement directrice suppléante et directeur du Centre interprofessionnel de simulation (CiS) à Genève.

Opportunités de la numérisation

Le fait que les compétences numériques aient leur place dans l’ensemble des facultés de médecine est une bonne nouvelle selon Thomas Sauter, responsable de la télémédecine d’urgence à l’Hôpital de l’Ile de Berne et co-orateur du troisième exposé. ­Selon lui, la participation active des étudiants à l’apprentissage en ligne est essentielle pour qu’ils puissent bénéficier de la numérisation. «Car, souvent, les digital natives manquent de compétence dans le traitement des contenus virtuels.» C’est pourquoi la plate-forme d’apprentissage en ligne «enotfallmedizinlearning.ch» n’est pas conçue comme un outil pédagogique figé, mais comme un environnement d’apprentissage dynamique fournissant les bases pour une acquisition ­autonome de connaissances, offrant la possibilité de donner des retours et de partager ses propres découvertes professionnelles. Les outils in teractifs et les éléments de gamification tels que les quiz ou les classements ont également un effet motivant, a expliqué M. Sauter. La composante ludique se retrouve également dans la formation basée sur la simulation présentée par sa co-conférencière Tanja Birrenbach, responsable du groupe de travail Virtual Reality Insel Simulation (ViSL) de la télémédecine d’urgence à l’Hôpital de l’Ile. Les simulations de réalité virtuelle (RV) sont bien adaptées à la formation médicale pour traiter certains thèmes, a expliqué Mme Birrenbach. Par exemple, pour un entraînement des compétences simples telles que la réalisation d’un frottis Covid ou encore des interventions vitales difficiles ou coûteuses à simuler dans la vie réelle. En outre, la formation par simulation RV est très efficace, reproductible et indépendante du temps et du lieu. De plus, elle permet un retour d’information et génère de grandes quantités de données pour la recherche ou les examens. «Néanmoins, la RV n’est pas une solution miracle pour la formation de demain», a admis Mme Birrenbach. Les plans de recherche sont ­encore très hétérogènes, le nombre de sujets est faible et de nombreuses questions se posent encore sur les ­mesures rapportées par les patients. Pourtant, Mme Birrenbach et M. Sauter s’accordent sur le fait que la numérisation est une opportunité en médecine et dans l’enseignement, moyennant un certain sens critique dont il convient de faire usage.
Thomas Sauter, responsable de la télémédecine d’urgence à l’Hôpital de l’Ile de Berne.
Tanja Birrenbach, responsable du groupe de travail ­Virtual Reality Insel Simulation de la télémédecine ­d’urgence à ­l’Hôpital de l’Ile de Berne.

La multidisciplinarité comme nouvelle norme

Après une courte pause de midi marquée par des discussions intenses, les personnes présentes ont pris part à quatre ateliers organisés en parallèle:
– «La réalité virtuelle dans l’éducation» [2]
– «Comment donner un bon feed-back clinique dans le cadre de la formation postgraduée?» [3]
– «Conflits interprofessionnels: expérimentez la simulation!» [4]
– «Les objectifs généraux de formation, parent pauvre de la formation postgraduée?» [5]

ISFM Award 2021: les lauréat-e-s

Lors du 8e symposium MedEd a également eu lieu l’annonce des lauréates et lauréats de l’ISFM Award 2021 pour un engagement exceptionnel dans la formation postgraduée. Ce prix est décerné sur la base de nominations effectuées par d’anciennes et anciens médecins-assistant-e-s. Les personnes et équipes suivantes ont été récompensées cette année:
Personnes: Dr méd. Dr rer. nat. Steffen Stoewer; Monsieur Boris Jung, Psychiatrische Klinik Münsterlingen; Prof. Ekkehard Hewer; Dr méd. Christopher Müssig; Madame Sandra Möhr; Dr méd. Kai Oliver Jensen; Dr méd. MPH Mathias Schlögl; PD Dre méd. Franca Wagner; Dre méd. Pia Bircher; Prof. Jörg Beyer; Dre méd. Yvette Stöckli; Dre méd. Carolie Kretschmer, Monvia Gesundheitszentrum Luzern; Dre méd. Charlotte Seer; Dr méd. Severin Pinilla; Prof. Dr méd. Dr h.c. Omer Dzemali; Dre méd. Priska Grünig.
Equipes: Médecine interne générale, Gesundheitszentrum Fricktal, Laufenburg; Centre d’urgence pour enfants et adolescents (NZKJ), Hôpital de l’Ile de Berne; Médecine interne générale, Doktorzentrum Wettingen (DZW); Urologie, Hôpital cantonal de Baden; Radio-oncologie, Hôpital cantonal de Saint-Gall; Chirurgie de la colonne vertébrale et orthopédie, Centre suisse des paraplégiques, Nottwil.
Le quatrième exposé a ensuite mis en lumière la relation complexe entre le corps et l’esprit. Selma Aybek, médecin adjointe en neuropsychosomatique à l’Hôpital de l’Ile de Berne, a défendu son sujet, injustement méconnu, comme un exemple d’interprofessionnalité. «La neuropsychosomatique n’est ni de la mauvaise psychiatrie ni de la mauvaise médecine. Elle traite simplement du lien entre ces deux domaines», a-t-elle expliqué. Ainsi, ce que l’on désignait autrefois comme «hystérique» ou «psychosomatique» est désormais nommé concrètement «trouble neurologique fonctionnel». «D’après certaines études, cette expression à consonance neutre est centrale pour les personnes touchées», déclare Mme Aybek. «Cela donne le sentiment que leur problème est pris au sérieux et qu’on ne se contente pas de leur donner un diagnostic psychiatrique.» Des facteurs psychologiques tels qu’un stress excessif peuvent être à l’origine de troubles dysfonctionnels, mais les facteurs sociaux et génétiques jouent également un rôle. Outre les mesures psychiatriques, la physiothérapie est donc prometteuse pour le traitement. Mme Aybek a souligné que le travail multidisciplinaire de la neuropsychosomatique bénéficie désormais d’une reconnaissance internationale et que le Conseil européen de la recherche a publié 15 postes de doctorat en recherche dans ce domaine dans toute l’Europe. «Passez le mot – nous avons besoin de relève!»
Selma Aybek, médecin adjointe en neuropsychosomatique à l’Hôpital de l’Ile de Berne.

Incontournable

Le symposium MedEd de cette année s’est achevé sur une note passionnante avec un débat présidé par ­Monika Brodmann. Avec ses invitées Cinzia Zeltner et Elisabeth van Gessel, elle a abordé le thème de «l’interprofessionnalité, tiraillée entre la sécurité des patients et l’économie». Au cours du débat, il est rapidement apparu que, même si l’interprofessionnalité coûte plus cher à court terme, le système de santé en a besoin de toute urgence et le fait est qu’«elle est déjà là», de toute manière, comme l’a fait remarquer Mme Zeltner. Les responsables de l’OFSP en charge du dossier de l’interprofessionnalité ont déclaré que les régions périphériques connaissant des problèmes d’approvisionnement avaient depuis longtemps reconnu le potentiel du task shifting et mettaient déjà beaucoup en pratique l’interprofessionnalité dans leur travail quotidien. Cela permet d’améliorer la qualité médicale et probablement de réduire les coûts à long terme. Une position que Christoph Bosshard, vice-président de la FMH, défend encore davantage: «Il est inutile de se poser la question des coûts – nous manquerons de médecins avant que l’argent ne vienne à manquer. L’interprofessionnalité est incontournable.» L’interprofessionnalité a, selon Mme van Gessel, directrice et fondatrice du CiS, un fort potentiel dans le job enrichment, que connaît déjà par exemple le personnel soignant grâce au task shifting. «Mais il faut davantage d’innovation», a demandé Mme van Gessel, «davantage de nouvelles professions; il faut une interprofessionnalité qui implique les patients et les proches et qui est surtout déjà intégrée dans la formation.» Une vision puissante qui doit encore ouvrir la voie à une nouvelle réalité professionnelle dans laquelle l’interprofessionnalité est idéalement aussi inscrite dans la loi. La discussion engagée au MedEd a montré que les premiers pas sur cette voie ont déjà été faits.
(de gauche à droite) La présidente de l’ISFM Monika Brodmann s’entretient avec Cinzia Zeltner de l’OFSP ainsi qu’avec la directrice fondatrice du CiS Elisabeth van Gessel.
fabienne.hohl[at]wirktext.ch
1 Les présentations des exposés et des ateliers sont disponibles à l’adresse suivante : https://www.siwf.ch/fr/projets/symposium-meded.cfm
2 Direction: Prof. Thomas C. Sauter, MME, médecin adjoint, Service universitaire des urgences, Hôpital de l’Ile, Berne ; professeur en télémédecine d’urgence, Université de Berne / Dre méd. Tanja Birrenbach, MME, cheffe de clinique, Service universitaire des urgences, Hôpital de l’Ile, Berne ; chaire de télémédecine d’urgence, Université de Berne.
3 Direction: Dr méd. Martin Perrig, MME, médecin-chef, responsable de l’unité de lits, Clinique universitaire de médecine interne générale, Hôpital de l’Ile, Berne / Dr méd. Christian Schirlo, MME, responsable du Centre d’études, Sciences de la santé et médecine, Université de Lucerne / Dr Andrea Meienberg, médecin cadre, Policlinique médicale, Hôpital universitaire de Bâle / KD Dre méd. Anke Scheel-Sailer, médecin adjointe paraplégiologie, médecine physique et rééducation, Centre suisse des paraplégiques, Nottwil.
4 Direction: Dre méd. Nadia Bajwa, MHPE, Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), Université de Genève, Faculté de Médecine / Dr méd. Thomas Fassier, MPH, MHPE, PhD, directeur du Centre interprofessionnel de simulation (CiS) / Patricia Picchiottino Zofka, MAS, directrice adjointe du Centre interprofessionnel de simulation (CiS), Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) / Jean-Pierre Bosson, chargé de formation et de recherche, Centre interprofessionnel de simulation (CiS).
5 Direction: Dr méd. Werner Bauer, past president de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM), Berne / Dre méd. Patrizia Kündig, vice-présidente, Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (ASMAC) / Prof. Markus Furrer, médecin-chef, directeur médical et chef du département de chirurgie, Hôpital cantonal de Coire / Prof. Rouven Porz, PhD, directeur Éthique médicale et formation médicale, Clinique universitaire, Hôpital de l’Ile, Berne.