A propos d’autotests

Zu guter Letzt
Édition
2021/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20231
Bull Med Suisses. 2021;102(44):1470

Affiliations
Prof., Dr rer. soc., rédacteur Culture, histoire, société

Publié le 03.11.2021

Dans son roman La montagne magique, Thomas Mann fait référence à la «sœur muette», un thermomètre non gradué auquel le personnel soignant pouvait apposer une graduation pour lire le résultat et qui restait ainsi «silencieux» pour les patients afin d’éviter toute simulation de fièvre.
En 1850, le thermomètre marqua l’avènement de la ­médecine moderne basée sur les tests et les mesures. Quand le médecin suisse Aimé Mercier commercialisa son propre «thermomètre muet» en 1896 [1], les thermomètres médicaux à usage domestique étaient déjà largement utilisés.
A l’époque, une revue médicale le recommandait même pour les patients trop «curieux» alors qu’aujourd’hui, il est relégué au rang de curiosité. Synonyme d’autoritarisme, il fait référence à une relation médecin-patient unilatérale basée sur le contrôle, le ­monopole du savoir et de l’action, dénuée de confiance envers le patient. Comme souvent, cette dérespon­sabilisation s’est faite au prétexte de la bienveillance. Dissimuler leur température était censé protéger les patientes trop «susceptibles».
Aujourd’hui, la notion de «consentement éclairé» interdit aux médecins de taire les résultats de mesures ou de tests. Ce mécanisme ne se retrouve plus que dans certains parcomètres spéciaux qui n’affichent pas le temps restant déjà payé par l’automobiliste précédent de sorte que la place est payée deux fois.
Le thermomètre non gradué fut un échec et les patients se sont rapidement mis à mesurer eux-mêmes de nombreux paramètres, en plus de la température: poids, pression sanguine, hormone de grossesse, sans compter tout ce qu’un smartphone est à même de mesurer aujourd’hui [2].
Cela doit permettre de rendre la patientèle davantage responsable de sa santé, à l’instar de la mesure quotidienne du taux de glycémie par les diabétiques. Une telle charge peut faire réagir certaines personnes critiques envers l’approche néolibérale consistant à déléguer aux «clients» la responsabilité de leur santé.
Dans la pratique, ce système attribue certes la responsabilité aux patients, mais de manière sélective et contrôlée. Quand la situation devient «critique», la confiance dans les données fournies par la patientèle a ses limites.
C’est ce que montre le recours aux tests rapides anti­géniques dans le cadre du COVID-19. Des réserves ont été émises en amont quant à savoir si l’on pouvait «faire confiance» à la population, pointant la perte de contrôle épidémiologique des autotests. Pour lutter contre la pandémie à l’échelle individuelle, des kits de 5 tests gratuits par personne et par mois ont néanmoins été proposés.
Le 13 septembre 2021, le Conseil fédéral a imposé, avec le certificat basé sur la règle des «3G» (testé, guéri ou vacciné), les tests «officiels» pour accéder à la vie publique, aux piscines couvertes, aux bibliothèques, etc. Un test antigénique rapide à domicile – pourtant identique – n’était pas suffisant, car on ne peut pas trop faire confiance non plus.
Au même moment, l’Autriche misait sur les autotests (sans surveillance vidéo) pour obtenir ce précieux sésame. Les résultats chargés via une application et un code QR permettaient d’obtenir un certificat «Do-it-Yourself» [3]. Par la suite, les autorités viennoises sont revenues en arrière et le reste de l’Autriche n’a pas manqué de suivre avec l’augmentation des admissions aux soins intensifs.
La Suisse s’est montrée plus timorée en matière d’auto­tests et l’idée n’a pas vraiment fait son chemin. On peut spéculer sur les motifs: monopole, sécurité, autorité, manque de confiance ou augmentation «bienveillante» de la pression vaccinale?
Dans nos sociétés, les autotests permettent de mesurer la confiance [4] ou la méfiance qu’un système de santé accorde aux patients ou qu’un gouvernement accorde à «son peuple».
Le thermomètre non gradué d’antan n’existe plus que dans les musées, mais il suffit de regarder autour de soi pour voir que c’est seulement sa forme qui a changé.
eberhard.wolff[at]emh.ch
1 Mörgeli C. «Die stumme Schwester». Ein Fieberthermometer in der Weltliteratur. Pneumologie. 2007;61:31–4.
2 Références supplémentaires dans Wolff E. Das «Quantified Self» als historischer Prozess. Die Blutdruck-Selbstmessung seit dem frühen 20. Jahrhundert zwischen Fremdführung und Selbstver­ortung. Medizin, Gesellschaft und Geschichte. 2018;36:43–83.
3 Par exemple www.selbsttest.tirol
4 Ritzmann I. Vertrauen als Mittel zur Patientenbindung – Historische Blicke auf eine ärztliche Strategie. In: Baer J, Rother W (eds.). Vertrauen. Basel: Schwabe; 2015, p. 131–51.